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Carte judiciaire - L'APVF dénonce un "déménagement du territoire"

La réforme de la carte judiciaire contestée devant le Conseil d'Etat : une trentaine de maires de petites villes ont déposé mardi un recours contre les deux décrets prévoyant la fermeture de 256 juridictions.

La semaine dernière, le nouveau secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire, Hubert Falco, promettait une "grande carte" des chantiers en cours, "ville par ville et département par département". De son côté, l'Association des petites villes de France (APVF) a commencé à préparer la sienne. Justice, défense, hôpitaux, trésoreries : tout doit y figurer, excepté les commissariats et gendarmeries qui font eux aussi l'objet d'un redéploiement. "C'est impressionnant", s'étonne Gérard Gouzes, le maire socialiste de Marmande, en découvrant ce document provisoire. Les élus des petites villes n'ont toujours pas digéré la réforme de la carte judiciaire qui doit se traduire par la suppression de 23 tribunaux de grande instance, 178 tribunaux d'instance et 55 tribunaux de commerce. Comme Gérard Gouzes, ils sont une trentaine, de gauche et de droite, à avoir déposé, mardi 15 avril, un recours devant le Conseil d'Etat contre la suppression du tribunal de leur commune. "Depuis l'été dernier, la position de la Chancellerie n'a pas bougé d'un iota, a dénoncé Gérard Gouzes, mardi, lors d'une conférence de presse. Cette réforme, dont on ne conteste pas l'utilité, a été menée à la hussarde." Et l'édile de Marmande d'ironiser : "La désertification et la métropolisation sont en train de s'accentuer, on assiste à un déménagement du territoire." Une évolution qui, selon l'association, est en "totale contradiction" avec l'évolution démographique des communes concernées.

"Révolte du monde rural et semi-rural"

Les élus contestent avant tout le manque de "concertation" et les "critères mécaniques utilisés par la Chancellerie". De fait, le comité consultatif mis en place le 27 juin 2007 n'a plus été réuni depuis. Ils jugent aussi que l'"égalité de l'accès au service public de la justice" n'est pas assurée par la réforme dont la justice de proximité serait la première à faire les frais.
Le député-maire UMP d'Altkirch (Haut-Rhin), Jean-Luc Rietzer, qui voit les services publics fermer un à un dans sa commune, ne cache pas sa colère. "C'est un coup de poignard", a-t-il lancé, alors qu'en 1993 cette petite commune de 5.500 habitants a déjà connu la suppression d'un régiment, puis du bureau de sécurité sociale en 1999. "Je ne suis pas contre la réforme, il faut être réaliste. En tant qu'élu frontalier, je vois ce qui se passe en Allemagne, en Suisse. Notre pays doit s'adapter, alléger ses coûts de structures", explique-t-il, regrettant d'avoir été mis devant le fait accompli "huit jours avant la venue de la garde des Sceaux qui n'est ensuite jamais revenue sur sa décision malgré la position des chefs de cours". "Au total, dans le département, sur 377 communes, 160 n'auront plus de justice de proximité", s'est-il inquièté.
L'APVF entend ainsi faire passer un message au moment de la réforme de la carte hospitalière et de la réforme militaire. "On va droit à l'échec : nous aurons une révolte du monde rural et semi-rural", a mis en garde Jean-Luc Rietzer. D'autant qu'au delà de l'action menée sous l'égide de l'APVF, plusieurs recours individuels ont été déposés. C'est notamment le cas du député (PS) et président du conseil général de Saône-et-Loire, Arnaud Montebourg.
Le Conseil d'Etat pourrait être amené à se prononcer d'ici à la fin de l'année 2008, alors que la réforme sera effective au 1er janvier 2009 pour les tribunaux de commerce et au 1er janvier 2010 pour les tribunaux d'instance et de grande instance.

Entre 500 et 900 millions d'euros de travaux

Selon l'avocat de l'APVF, Alain Monod, le Conseil d'Etat sera amené à contrôler deux aspects. Tout d'abord, la légalité externe, c'est-à-dire la procédure mise en place pour conduire la réforme, notamment les règles de consultation. Sur la légalité interne ensuite :  le juge administratif devra se pencher sur chaque cas individuel. "Il y a un certain nombre de situations qui sont juridiquement extrêmement critiquables", estime l'avocat, prenant pour exemple la suppression du tribunal de grande instance de Guingamp qui doit rejoindre celui de Saint-Brieuc. "Ce tribunal a été entièrement refait il y a deux ans, alors que Saint-Brieuc est dans l'incapacité totale d'accueillir son personnel." Les cas comme celui-ci seraient nombreux, sachant que 55% des locaux des tribunaux sont mis à disposition gracieusement par les communes. Les transferts de personnel risquent de se heurter à un manque de place. Selon Gérard Gouzes, "le coût des travaux nécessaires pourrait s'élever entre 500 et 900 millions d'euros".
La nomination d'Hubert Falco changera-t-elle la donne ? Pour les dossiers à venir sans doute. "Notre méthode est l'anti-carte judiciaire", a récemment déclaré Gérard Larcher au moment de remettre ses conclusions sur l'hôpital. Le livre blanc sur la Défense fera l'objet d'une large concertation : les associations d'élus rencontreront le ministre de la Défense dès la semaine prochaine.

 

Michel Tendil