La solidarité territoriale au chevet des petites entreprises
Alors que le fonds national de solidarité devrait connaître un nouvel assouplissement en fin de semaine, plusieurs régions ont décidé de lancer un fonds complémentaire pour soutenir leur tissu économique local sous forme d’avances remboursables. Baptisés "fonds de résistance" ou de "résilience", ces initiatives reposent sur un partenariat inédit entre la région, les départements, les intercommunalités et la Banque des Territoires.
Semaine après semaine, les prévisions du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s'assombrissent. Auditionné en visioconférence par le Sénat, lundi 6 avril, il a déclaré que la France allait connaître sa pire récession depuis la guerre. "Le chiffre de croissance le plus mauvais qui ait été fait par la France depuis 1945, c'est en 2009 après la grande crise financière de 2008 : -2,2%. Nous serons vraisemblablement très au-delà cette année", a affirmé le ministre, insistant sur "l'ampleur du choc économique" auquel le pays est confronté. Autant dire que même la loi de finances rectificative votée mi-mars, tablant sur une récession de 1% cette année, n’est déjà plus à jour.
La déflagration est mondiale : la Coface prévoit une augmentation des défaillances d’entreprises de 25% à l’échelle de la planète. En France, depuis un mois, l’État et les régions sont à la manoeuvre pour éviter le maximum de pertes, en particulier à travers le fonds de solidarité ouvert le 1er avril aux TPE, indépendants et professions libérales. "1,5 million d’entreprises y ont déjà fait appel en quelques jours", a indiqué le ministre devant la commission des affaires économiques du Sénat. "Il représente aujourd'hui un engagement budgétaire de 1,7 milliard d'euros par mois (soit 500 millions d’euros de plus que le budget prévisionnel, ndlr). Il sera évidemment reconduit au mois d'avril."
Bruno Le Maire s’est également engagé auprès des sénateurs à revoir les critères d’éligibilité de ce fonds "d’ici la fin de la semaine" (à noter que depuis vendredi le seuil d’éligibilité a déjà été abaissé de 70% de pertes de chiffre d’affaires à 50%). "En particulier, la période de référence pour le calcul de la baisse du chiffre d’affaires (aujourd’hui, le mois de mars 2019) devrait être élargie afin de faciliter et d’amplifier le recours aux subventions de ce fonds ; de même, une prise en compte spécifique des professions aux rythmes particuliers de revenu (comme les architectes, par exemple) devrait être prévue", développe le Sénat dans un communiqué diffusé à l’issue de cette audition.
La contribution des régions comptabilisée en investissement
Par ailleurs, les régions ont obtenu du ministre de pouvoir comptabiliser en investissement leur contribution de 250 millions d’euros à ce fonds. Ce qui leur permettra notamment de recourir à l’emprunt. C’est une bouffée d’oxygène, car "les régions sont très sollicitées actuellement pour faire face à la crise, ce qui va grever leur capacité d’investissement, d’autant qu’elles vont faire face à une très forte baisse de la TVA cette année et de la CVAE l’an prochain", explique à Localtis Jules Nyssen, le délégué général de Régions de France.
Alors que la Fédération française de l’assurance s’est engagée à apporter quelque 200 millions d’euros au fonds de solidarité, le gouvernement a ouvert la possibilité de contributions aux autres collectivités et aux donateurs privés. Une "plateforme" permettra prochainement de recueillir les dons de particuliers ou d’entreprises. Certaines intercommunalités sont déjà sur les rangs, comme la communauté de Pontivy (Morbihan). Mais "il n’est pas simple de convaincre les intercommunalités d’abonder un fonds national dont elles ne sont pas sûres de voir les effets sur leur territoire", tempère Nicolas Portier, délégué général de l’Assemblée des communautés de France (ADCF) qui, depuis le début de la crise, se livre à une recension méticuleuse des initiatives des intercommunalités pour soutenir leurs entreprises. Jusqu’ici, ces dernières se trouvaient dans une situation particulièrement inconfortable, dans l’attente d’un deuxième tour des élections probablement reporté à l’automne. Elles intervenaient en "affaires courantes", mais l’ordonnance du 1er avril visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales leur permet à présent de délibérer à distance, se félicite-t-il.
Fonds de résistance
Les régions n’entendent cependant en rien céder leur rôle de chef de file économique. Au contraire. Certaines d’entre elles ont trouvé le moyen de faire vivre la solidarité territoriale au profit des entreprises en allant plus loin que le fonds de solidarité national. L’objectif : instaurer une sorte de "voiture balais" pour n’oublier personne en chemin. C’est le Grand Est qui a pris les devants en annonçant la semaine dernière la création d’un "fonds de résistance" doté de 44 millions d’euros destiné à soutenir la trésorerie des TPE de moins de 10 salariés (non éligibles au fonds de solidarité) et aux associations. Le fonds repose sur un partenariat "inédit" entre la région, les 10 départements, les 149 intercommunalités et la Banque des Territoires. La région s’est engagée à apporter 2 euros par habitant, soit environ 11 millions, chacun des quatre groupes de partenaires ayant accepté d’en faire autant. "L’affaire a été montée en trois jours. C’est une démarche historique : l’urgence oblige tout le monde à agir vite et tout le monde a joué le jeu", se félicite Patrick François, le directeur régional de la Banque des Territoires.
Les aides seront versées directement par la région. Elles prendront la forme d’avances remboursables (dans un délai d’un an avec un remboursement en quatre fois) de 5.000 à 10.000 euros aux petites entreprises, sans le moindre intérêt. Le montant pourra aller jusqu'à 30.000 euros pour les associations et les structures du secteur non-marchand. À ces aides pourra s’ajouter une "prime d’activité" forfaitaire pouvant monter jusqu’à 5.000 euros "destinée à aider les entreprises en fonctionnement dans un secteur d’activité jugé essentiel à verser une prime à leurs salariés". L’instruction des dossiers se fera au plus près des territoires, dans des comités impliquent les trois niveaux de collectivités. "L’idée c’est vraiment de décentraliser le comité d’engagement à l’échelle du département voire, parfois, des intercommunalités. La métropole de Strasbourg par exemple a tout à fait les moyens de mobiliser sa technostructure", souligne Patrick François.
Les partenaires entendent cibler tout particulièrement l’hôtellerie, la restauration, les services en milieu rural, le commerce de proximité, les circuits courts, les start-up du numérique… "Il faut permettre à ce tissu économique de tenir pendant la bourrasque. Ce qui nous conduira peut-être aussi à renforcer notre relation avec ce tissu-là. Ce fonds légitime d’autant plus notre action sur les territoires où l’on a construit des actions depuis des années, notamment à travers Action coeur de ville. Il ne faudrait pas que tout ce travail soit mis à mal", développe Patrick François.
"Unir nos forces pour sauver nos petites entreprises"
Cet appel à la solidarité territoriale a fait mouche et plusieurs régions ont décidé d’en faire autant, toujours avec le soutien de la Banque des Territoires. C’est le cas de Paca avec le fonds "Covid Résistance" ou de la région Pays de la Loire qui a annoncé, le 3 avril, la création d’un "fonds territorial de résilience" fonctionnant sur le même principe. "Ni la région ni aucune collectivité ne peut faire face seule aux difficultés qui se présentent à nous. Unir nos forces pour sauver nos petites entreprises – nos commerçants, artisans, indépendants, et TPE – qui sont le poumon économique de nos territoires : tel est l’objet de l’appel que j’ai lancé auprès des collectivités et des grandes entreprises", a déclaré la présidente de la région, Christelle Morançais, à cette occasion.
L’intérêt de ces fonds est aussi de sécuriser l’intervention économique des autres collectivités, en particulier des départements. "Il est tout à fait possible d’utiliser le levier économique dès lors qu’on reste dans le cadre des schémas régionaux. Alors, certes, on est un peu borderline, mais je ne pense pas que cela pose de problème de contrôle de légalité au regard de l’urgence de la situation", explique Jules Nyssen. D’autant que si la loi Notr est assez restrictive, la loi Engagement et Proximité du 27 décembre 2019 permet aux départements de soutenir une entreprise sinistrée dans une commune classée en état de catastrophe naturelle. On n’est pas tout à fait dans ce cas de figure. Mais on s’en rapproche.
Pourtant, alors que les mesures de confinement sont vouées à se prolonger, les élus demandent à avoir une plus grande marge de manoeuvre économique et financière. Christophe Bouillon, le président de l’Association des petites villes de France, avait ainsi écrit au Premier ministre, le 26 mars, pour lui proposer que "les communes désireuses, et en situation financière de le faire, puissent soutenir directement les entreprises locales et que ces aides soient considérées comptablement comme des subventions d’investissement". "Le temps est à la bienveillance, à la solidarité et à la cohésion. Or, ces derniers jours, de nombreux élus locaux nous font part des limites de leurs pouvoirs en la matière, de leur besoin de pouvoir débloquer des fonds rapidement tout en préservant leurs finances", avait-il relevé. En quelques semaines, on est passé des considérations sur la "loi 3D" à la généralisation du système D.