La restauration scolaire après Egalim : des objectifs difficiles à atteindre au 1er janvier 2022
L’AMF publie jeudi 10 décembre 2020 les résultats de son enquête exclusive sur la restauration scolaire du premier degré, après la loi Egalim. Seules 36% des collectivités répondantes pensent dès à présent pouvoir respecter les objectifs fixés au 1er janvier 2022.
En résumé, une restauration scolaire en produits de "qualité et durables" telle que définie dans la loi Egalim du 30 octobre 2018, ce n’est pas gagné. C’est ce qu’il ressort d’une enquête exclusive menée par l’AMF (1), publiée le jeudi 10 décembre 2020. L’enquête met en lumière des progrès indiscutables mais révèle aussi les difficultés de tout ordre pour atteindre les objectifs fixés par la loi au 1er janvier 2022. Seules 19% des collectivités respecteraient dès à présent l’obligation d’inclure dans les repas 50% de produits de qualité et durables en valeur d’achat, dont 20% de bio. Les scores sont bien meilleurs pour les villes de plus de 30.000 habitants qui atteignent respectivement 57% et 23%. Mais près d’une collectivité sur cinq ignore à ce stade la part des produits bio dans les repas servis. Seules 36% des collectivités répondantes pensent dès à présent pouvoir respecter les objectifs fixés par la loi au 1er janvier 2022...
Pour comprendre ce manque d'allant, l'enquête met en lumière une série de pistes : contraintes logistiques, manque d’information sur les offres locales, tout particulièrement pour les communes de moins de 10.000 habitants et les intercommunalités. L’insuffisance de l’offre de produits bio à l’échelle locale, les contraintes des marchés publics et l’incapacité des producteurs locaux à répondre aux cahiers des charges sont davantage relevées à mesure que s’élève la strate de population. L’enquête souligne aussi les difficultés des collectivités à privilégier les produits de qualité et durables locaux, qui ne peuvent être imposés au regard du droit européen, faute de structuration suffisante des filières à cette échelle.
Demande d’accompagnement renforcé de la part de l’État
Rien n’est simple pour ce service public facultatif... pourtant central. "64% des collectivités accueillent au minimum 75% des élèves scolarisés, dont 31% plus de 90%". L’enquête montre que "les élus ont conscience des enjeux que représente ce service public facultatif pour les enfants tant en termes de réussite scolaire, d’accès et d’éducation à une alimentation saine et équilibrée à un tarif adapté que de vivre ensemble". C’est pourquoi "les communes et les intercommunalités demandent un accompagnement renforcé de la part de l’État", rapporte le sondage. Cet accompagnement vise le financement, l’aide à la structuration des filières locales de produits de qualité et durables, l’assouplissement du code de la commande publique, le développement d’une offre de formation adaptée pour les personnels ou encore la lutte contre le gaspillage alimentaire. En conclusion, "les élus considèrent que les objectifs ambitieux de la loi Egalim nécessitent un temps d’adaptation et de mise en œuvre selon les territoires et les moyens et ressources disponibles localement".
Sans action spécifique, le surcoût c'est automatique
Parmi les difficultés rencontrées, le surcoût engendré par l’approvisionnement en produits de qualité et durables est largement invoqué par 73% des collectivités. Il est de 10% à 20% pour 55% d’entre elles. Pour le quart restant des collectivités, des actions spécifiques ont permis de neutraliser l’impact financier : conduite d’une politique de lutte contre le gaspillage alimentaire, réorientation de la politique d’achat vers des produits locaux, introduction du menu végétarien ou formation du personnel. Il ressort cependant de l’enquête que "l’appropriation de ces leviers potentiels nécessite des mesures d’accompagnement". À titre d’exemple, 43% des collectivités n’ont pas encore réalisé le diagnostic de lutte contre le gaspillage alimentaire en raison de contraintes logistiques.
Un reste à charge conséquent
De plus, la gestion du service de restauration scolaire a toujours représenté une charge importante pour les collectivités, les tarifs ne couvrant pas le coût du service. Il est de 7,63 euros (coût moyen global d’un repas, hors participation des familles), d’après les réponses apportées. Un coût proche de celui de 7,22 euros annoncé par les chefs de cantines bio, lors d’un récent webinaire consacré aux cantines bio (notre article du 1er décembre). Ses composantes les plus importantes concernent les charges de personnel, avec 3,46 euros et l’achat des denrées alimentaires, à hauteur de 2,78 euros. Le coût global s’élève jusqu’à 9,14 euros pour les communes de 2.000 à 9.999 habitants. Et redescend à 8,21 euros dans les villes de plus de 30.000 habitants. "Compte tenu des rares aides financières extérieures et de la part limitée des participations demandées aux familles, le reste à charge pour la collectivité demeure conséquent : au-dessus de 50% pour 69% des collectivités", souligne l’enquête qui évoque aussi "le phénomène des impayés auquel fait face une collectivité sur deux".
L'expérimentation du menu végétarien hebdomadaire pas concluante ?
Une autre dimension de la loi Egalim, concernant l’objectif d’une “diversification des sources de protéines incluant des alternatives à base de protéines végétales" est globalement partagé par les élus. Du moins, sur le papier. Pour transformer l'essai, ils réclament "un temps d’adaptation, des mesures d'accompagnement et des formations adéquates pour changer les pratiques". À tel point que les trois quarts des collectivités ne souhaitent pas que l’expérimentation du menu végétarien hebdomadaire se traduise à son terme, le 31 octobre 2021, par une obligation légale. Sans parler du fait que 56% des collectivités ne sont pas à ce jour informées de la mesure de la loi Egalim portant sur l’élaboration du plan de diversification des protéines, prévue pour les gestionnaires servant plus de 200 couverts par jour depuis le 30 octobre 2018.
"Complexification grandissante"
Enfin, les collectivités sont nombreuses à souligner la complexification grandissante de la gestion de ce service depuis plusieurs années. D’après l’enquête, l’organisation du service de restauration scolaire, relève encore très majoritairement de l’intercommunalité. La régie est le mode de gestion privilégié par plus de la moitié des collectivités répondantes (58%), tandis que la délégation de service concerne près d’un tiers d’entre elles (30%), 12% des collectivités optant pour un mode de gestion mixte. La répartition entre la régie (45%) et la délégation (41%) est davantage équilibrée pour les villes de plus de 30.000 habitants
Outre les choix concernant l’organisation, elles nombreuses à relever "un accroissement des normes relatives à la qualité des repas et du service, en particulier depuis la loi Egalim, un renforcement des exigences des familles sur les conditions d’accueil des enfants, ainsi qu’à une gestion plus prégnante des familles en situation de précarité sociale". La crise sanitaire impacte modérément l’organisation du service pour 58% des collectivités répondantes mais fortement pour 23% d’entre elles. "Ce contexte global inquiète un certain nombre d’élus, notamment de petites communes, qui s’interrogent sur leurs capacités techniques et financières à l’avenir pour maintenir l’organisation du service en régie", selon l’enquête.
(1) L’enquête, menée du 25 septembre au 16 octobre 2020, a fait l’objet de plus de 3.000 réponses de la part des communes ayant une école publique et des intercommunalités gestionnaires, soit un taux de retour de 14,5%.