Politique de la ville - La "relégation" : échec de la politique de la ville ou produit d'un système de développement à bout de souffle ?
Le thème de la relégation est sur le devant de la scène depuis les attentats. Le Premier ministre, Manuel Valls, reparle de "ghettos" et même d'"apartheid", pointant explicitement du doigt ce qu'il est convenu d'appeler "l'échec de 35 ans de politique de la ville". L'expression court les médias, et les élus de Ville & Banlieue ne s'y font pas. Pour eux, la relégation est le produit d'un système de développement caractérisé par l'individualisme, l'indécence des écarts de ressources, la consommation "devenue but ultime de la vie", la pauvreté des programmes de télévision, la recherche de la croissance "érigée comme un dogme", un pouvoir "prisonnier du monde de la finance"...
"Si la politique de la ville n'avait pas existé, la situation serait bien pire"
"Est-ce que les horribles événements de Charlie Hebdo, de Montrouge et de la Porte de Vincennes, ne montrent pas une faillite du système tout entier ?", interrogent les maires de Ville & Banlieue, dans une tribune publiée lundi 26 janvier sur leur site internet.
Agacés – sûrement même blessés – par ceux qui ne veulent voir dans ces tragédies que "l'échec de 35 ans de politique de la ville", ils affirment : "Si la politique de la ville n'avait pas existé, la situation serait bien pire en France".
Pour autant, eux non plus ne s'en satisfont pas jugeant que cette politique de la ville "n'a toujours été qu'une politique correctrice, car personne n'a jamais osé se poser les bonnes questions sur les causes de cette situation de relégation d'une partie non négligeable de notre territoire".
"Consommer est devenu le but ultime de la vie, et même bientôt le dimanche"
La relégation, c'est, pour ces maires de banlieue, le résultat d'une "société à bout de souffle. Où compétition entre tout et tous est le maître-mot, dès l'école. Où est permanente la recherche effrénée de gains toujours plus importants et atteignant des sommets d'écarts de ressources indécents et jamais vus. Où diviser pour mieux régner, et ainsi placer l'individualisme au firmament, est l'apanage des possédants.
Où consommer est devenu le but ultime de la vie, et même bientôt le dimanche.
Où seul l'audimat, et donc la publicité, font les programmes de la télévision (quand un média avoue que son travail est de "préparer du temps de cerveau disponible pour vendre du Coca pendant la publicité", dès lors, il est certain que ces cerveaux disponibles sont aussi réceptifs à n'importe quel discours extrémiste !)".
Mais aussi "Où la culture a été abandonnée dans les territoires qui en avaient le plus besoin" (voir aussi notre encadré ci-dessous).
"La croissance, érigée comme un dogme"
Une société également "où l'abandon de toute maîtrise du foncier, notamment dans les villes, depuis des décennies dans des logiques libérales, a exclu les habitants aux revenus moyens dans le périurbain et les populations les plus démunies dans les banlieues".
Bref "où toutes les décisions sont basées sur la recherche de la croissance, érigée comme un dogme, car ça serait la seule réponse à tous les problèmes, alors que les inégalités et les exclusions n'ont cessé de se creuser depuis 30 ans" et "où l'austérité imposée par un pouvoir prisonnier du monde de la finance compromet gravement le peu de modèle social qui nous restait, comme elle met en péril de nombreuses politiques publiques mises en place dans les collectivités les plus pauvres et où elles étaient particulièrement indispensables".
Valérie Liquet
Convaincre les élus de l’importance des valeurs de la culture
Réunis en conseil d'administration, les élus de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture ont rédigé, le 21 janvier, une déclaration dans laquelle ils appellent les élus – et pas seulement les élus à la culture - à "amplifier l’élan du 11 janvier 2015 dans les politiques culturelles". Extraits.
"C’est au plus près de chacun qu’il faut reconstruire notre imaginaire partagé, en dépassant les seules politiques de l’offre, en dépassant le clivage erroné entre l’accès aux arts et la médiation sensible vers la citoyenneté, en refusant un trop facile misérabilisme culturel qui évacue l’exigence de la qualité artistique".
"Il faut affirmer la nécessité de la parole libre, la déployer, tout de suite, dans l’émotion et par la sensibilité, puis avec le recul et dans l’intelligence, dans nos bibliothèques, dans nos théâtres, partout. La France est un pays d’expression. Personne ne doit être invisible, inaudible".
"C’est auprès des politiques, des élus qu’il faut oeuvrer. Les convaincre de l’importance des valeurs de la culture. Il n’y a pas encore unanimité. Elle tarde. Elle est urgente. Les élus doivent se dégager de leur peu de considération vis-à-vis de l’action associative ou de leur méfiance envers des expressions artistiques portant haut, sans compromis, leur exigence critique et sensible. Nous avons tous besoin de repères, d’outils de réflexion, d’outils d’émotion. Les élus à la culture doivent savoir parler à tous, à tous les élus, et tous portent un devoir de formation, pour optimiser leur engagement, pour savoir transmettre leur conviction que les enjeux culturels sont au coeur de tout projet politique, au coeur de tout projet démocratique."
V.L.