Pêche - La réforme de la pêche passée à la moulinette par les Etats
Il aura fallu toute la journée du 12 juin et la majeure partie de la nuit aux vingt-sept pays de l'UE pour détricoter dans les détails les propositions de réforme du secteur de la pêche, proposées en juillet 2011 par l’exécutif européen.
Les Etats ont bataillé ferme pour obtenir ce qu’ils voulaient, c'est-à-dire des critères environnementaux moins stricts et une plus large marge de manoeuvre dans la mise en place au plan national. La commissaire européenne en charge du dossier, Maria Damanaki, l’a reconnu lors de la conférence de presse qui s’est déroulée à 4 h 30 du matin le 13 juin : "Notre proposition était plus ambitieuse."
La ministre danoise de la pêche, Mette Gjerskov, dont le pays assure la présidence de l'UE, s’est montrée relativement optimiste malgré tout. Après "de longues et dures négociations", l’Europe se dirige bel et bien vers "une pêche durable", a-t-elle indiqué.
Système volontaire
L’accord politique finalisé dans la nuit du 12 au 13 juin acte l’interdiction des rejets à la mer de toutes les prises, comme le souhaitait Maria Damanaki. Mais les Etats ont obtenu qu’elle se fasse graduellement, au moins jusqu’en 2018 pour l’Atlantique et 2019 pour la Méditerranée.
Egalement proposée par Bruxelles, la date-butoir pour régénérer les stocks a été repoussée. Elle a bien été fixée à 2015 mais uniquement dans les zones de pêche "où cela est possible", et reportée à 2020 pour les autres.
Pour réduire la taille de la flotte sans que l’UE n'ait à mettre la main à la poche, la Commission avait imaginé que les marins-pêcheurs pourraient devenir propriétaires de leurs quotas de prises et pourraient les revendre à leur guise.
Arguant d’un risque de "privatisation" des mers et de la concentration des quotas entre les mains des plus gros industriels, de nombreux Etats dont la France ont obtenu que ce système soit mis en place de façon "volontaire".
Légère régionalisation
Maria Damanaki a été également obligée de reculer sur la suppression des aides à la flotte. Les discussions budgétaires sur le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche pour la période 2014-2020 débuteront en octobre prochain.
La gouvernance de la politique commune de la pêche, jugée trop centralisée par les acteurs du secteur, sera revue au profit d’une plus grande régionalisation. L'accord n'entre pas dans les détails, si ce n’est que "le compromis introduit aussi un modèle alternatif de régionalisation dans lequel les Etats membres adoptent des mesures nationales via une coopération nationale".
La création de deux nouveaux conseils consultatifs régionaux a été actée pour la Mer noire et les régions ultrapériphériques de l’UE. Mais le texte ne donne aucune précision sur le renforcement de leur pouvoir, qui constitue pourtant une vieille demande des professionnels de la pêche.
Position française ambiguë
Dans un communiqué de presse aux accents victorieux, le nouveau ministre français en charge du dossier, Frédéric Cuvillier, s’est réjoui que "nombre de propositions faites par la France" aient été reprises. Dans le cas du report de la date-butoir pour la mise en place de la régénération des stocks, Paris a bataillé ferme, à l'instar de ce qu'avait fait le gouvernement précédent.
Selon une source diplomatique, la position française a mis un peu de temps à être clarifiée. "Vers 3 heures du matin, le ministre a demandé une pause pour pouvoir appeler Paris […] mais lors des déclarations finales, on ne savait pas s’il était pour ou contre le texte."
Selon cette source proche du dossier, le paragraphe sur les rejets reste difficilement acceptable. "La France aurait préféré une déclaration de bonnes intentions, sans date."
Dans son communiqué, Frédéric Cuvillier, originaire de Boulogne-sur-Mer dans le Nord-Pas-de-Calais, un important port de pêche, insiste sur le fait que "le principe d’un pourcentage minimum de rejets autorisés a été retenu" et rappelle que le principe de l’ajustement à la hausse des quotas a aussi été inclus.
Opposition des Verts
Pour l'eurodéputé UMP Alain Cadec c'est, en revanche, "une très mauvaise nouvelle de voir que les Etats membres soutiennent ce principe [de l'interdiction des rejets] irréaliste et inapplicable". Ramener toutes les prises à terre nécessiterait en effet de renouveler une bonne partie de la flotte française et de trouver des débouchés pour les poissons non commercialisables.
A l’inverse, Europe écologie-Les Verts, allié du gouvernement socialiste, estime que "les ministres fuient face aux enjeux considérables d'une réforme indispensable à la politique de la pêche".
Pour l’organisation de défense de l’environnement Greenpeace, les ministres européens ont raté une "occasion pour se mettre d’accord sur une politique commune de la pêche qui mettrait fin à la surpêche des océans".
Conseil divisé
Le texte final constitue un "accord politique" mais ne recueille en rien l’unanimité des Etats membres. Les Pays-Bas et la Suède ont refusé de le soutenir. Les deux pays considèrent que les mesures pour réduire la taille de la flotte de pêche européenne sont insuffisantes.
Malte, le Portugal et la Slovénie ont rejeté le document qui accorde, selon eux, trop d’importance aux critères environnementaux.
Divisés, les Etats vont désormais entamer les négociations avec le parlement européen, lequel affine encore ses positions. Lors de la conférence de presse du 13 juin au matin, Maria Damanaki n’a pas caché son intention de s’appuyer sur le parlement pour essayer de contrecarrer le point de vue des Etats.
Jean-Sébastien Lefebvre / EurActiv.fr
Le Sénat se positionne sur la réforme de la pêche
Alors que les ministres de la Pêche négociaient, mardi 13 juin, à Luxembourg une position commune, à Paris, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté deux résolutions relatives à la réforme de la politique commune de la pêche.
Les sénateurs ont exprimé leur refus de voir se mettre en place un système d’échange de quotas tel que proposé par la Commission européenne et réaffirmé le caractère "public" de la mer. La date de 2015 pour la régénération des stocks leur paraît prématurée. Les élus préfèrent 2020 et demandent des efforts budgétaires en vue d’améliorer les expertises scientifiques.
Selon les sénateurs, il est nécessaire de renforcer les prérogatives des conseils consultatifs régionaux "qui devraient participer à l’élaboration des plans pluriannuels de gestion de la ressource".
Sur la problématique spécifique des régions ultrapériphériques (DOM-COM), les élus estiment que "l’application indifférenciée des règles […] entrave le développement du secteur de la pêche". Ils veulent utiliser la réforme actuelle comme "une opportunité à saisir pour prendre en compte les réalités" des régions éloignées, conformément à ce que prévoit le Traité de Lisbonne.
Ils souhaitent en particulier déroger à l’interdiction des aides à la construction, à l’autorisation des subventions de fonctionnement et maintenir les mécanismes financiers actuels.