La proposition de loi Sécurité globale passe le cap de l'Assemblée
La "proposition" de loi Sécurité globale a été adoptée en première lecture à l’Assemblée à une large majorité. Pour autant, les débats ont été particulièrement vifs sur l'ensemble du texte, et pas seulement "autour des drones et des caméras" sur lesquels l’attention des médias s’est focalisée. Même ses partisans concèdent que de nombreuses mesures doivent encore être retravaillées, donnant une nouvelle fois corps aux critiques sur la "malfaçon législative".
Adoptée ce 24 novembre en première lecture à l’Assemblée nationale à une large majorité (388 pour, 104 contre, 66 abstentions), la "proposition" de loi Sécurité globale vient de franchir la première étape du processus législatif.
Un processus législatif discutable
Un processus raccourci, puisque le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le texte. Ce qui ne manque pas d'étonner, puisqu’une première version de cette proposition, déposée au début de l’année, avait jusqu'ici été laissée lettre morte. Et qui semble regrettable, compte tenu de l’important travail qui reste à conduire, de l’aveu même des parlementaires, mais aussi d'un Premier ministre appelant les futurs débats parlementaires à prendre "le soin de l'améliorer davantage et de clarifier ce qui mérite encore de l'être". Un message semble-t-il bien reçu au Sénat, qui a déjà fait part de son intention de "corriger" le texte.
"Sur la forme, nous aurions apprécié que les débats soient un plus ouverts et que les amendements soient davantage pris en considération par le gouvernement", a déploré le député Christophe Naegelen (UDI, Vosges) – limites d’un parlementarisme "rationalisé" maintes fois dénoncées. L’élu, qui a remis l’an passé un rapport remarqué sur les forces de sécurité, a également regretté que "le texte n’ait pas été examiné en amont par le Conseil d’État, ce qui aurait sans doute permis d’éviter plusieurs problèmes". Il en aurait été autrement si le texte avait été formellement déposé par le gouvernement, son véritable auteur.
Des débats nourris sur les images des forces de l'ordre, les drones, les caméras mobiles…
Nul doute que la consultation en amont du Conseil d’État sur le désormais célèbre article 24 du texte – relatif à la diffusion manifestement malveillante du visage ou de tout élément permettant l’identification des forces de l’ordre – aurait été précieuse. L'article, comme l'ensemble du texte, sera finalement soumis en aval au Conseil constitutionnel, que le Premier ministre a annoncé vouloir lui-même saisir. Un article –– contesté d’emblée, parmi d'autres, par le Défenseur des droits – qui aura "été entièrement réécrit en séance afin de prévenir les risques d’inconstitutionnalité, mais cela n’empêchera probablement pas la censure du texte par le Conseil constitutionnel", souligne et pronostique le député Éric Diard (LR, Bouches-du-Rhône). La mesure a notamment été étendue aux agents de police municipale, ignorés par le texte initial. Pour autant, même corrigé, cet article cristallise encore les oppositions : Hervé Saulignac (Soc., Ardèche) dénonce un article "inopérant et [qui] va produire du contentieux à l’infini", Stéphane Peu (GDR, Seine-Saint-Denis) le jugeant "d’aucune utilité pour protéger les policiers […], par contre, très efficace pour brider un peu plus la liberté d’expression et celle de la presse".
Ce n’est pas, loin s’en faut, la seule disposition qui a suscité le débat. Ainsi, notamment, de l'extension du déport des images de vidéoprotection aux agents de police municipale, du régime applicable aux caméras piétons (étendu là encore aux polices municipales) ou encore de "l’encadrement" des caméras embarquées sur les drones, dont Éric Diard s’interroge sur la constitutionnalité, "car il n’apporte pas assez de garanties en matière de respect de la vie privée". Un avis partagé par Christophe Naegelen, qui juge que l’article pose "un véritable problème de conscience […]. Nous aurons besoin de la navette parlementaire pour y revenir. Le fait de n’avoir exclu que les domiciles des lieux pouvant faire l’objet de prises de vue aérienne laisse techniquement en suspens beaucoup de questions", explique-t-il. Autre disposition contestée, la suppression des crédits de réduction de peine à la suite d’infractions sur des personnes exerçant certaines missions de service public – y compris les agents de police municipale, qui font partie des professionnels ajoutés au dispositif.
… des arbres qui cachent une forêt d'interrogations plus profondes
Au-delà de ces diverses mesures spécifiques, la philosophie globale du texte ne fait pas l’unanimité. "Au terme de nos débats en première lecture, loin de répondre à la promesse de clarifier et de distinguer les rôles des différentes forces de sécurité, la proposition de loi les superpose et désorganise un peu plus encore le service public. Le risque est grand que s’accélère le transfert de responsabilités vers les polices municipales, mais aussi vers les officines privées, que votre loi ne régule en rien", dénonce Stéphane Peu. Un risque également pointé par l'Association des petites villes de France (APVF) qui, si elle "se félicite de la volonté des parlementaires de renforcer les prérogatives des polices municipales […], souhaite que ces nouvelles compétences ne conduisent pas à un désengagement progressif des forces de sécurité nationale dans les territoires". Ou encore par Villes de France : "les maires des villes moyennes veulent éviter un schéma à plusieurs vitesses et continuer à agir en complémentarité – et non en substitution – de la police nationale ou de la gendarmerie", insiste l'association, qui "renouvelle son souhait que l'État clarifie sa vision et sa doctrine d'emploi de l'ensemble des acteurs de la sécurité dans le cadre de ce débat".
À droite, la critique se fait "responsable et constructive", selon les mots d'Éric Diard, qui estime que la proposition "manque certes d’ambition mais elle va dans le bon sens", même si "elle ne s’attaque pas à la réponse pénale de la justice". Christophe Naegelen se félicite pour sa part qu'elle permette "d'expérimenter l’élargissement du domaine d’intervention des policiers municipaux sur la voie publique", donnant un socle aux annonces estivales de Jean Castex en la matière. "Ils pourront dorénavant constater des infractions telles que la vente à la sauvette, le défaut de permis de conduire ou l’occupation abusive", souligne-t-il, avant de concéder : "Il faut cependant reconnaître que certains points du texte restent à améliorer au cours de la navette parlementaire", visant notamment la réduction du seuil de vingt agents exigé pour participer à l’expérimentation prévue "afin de permettre aux petites communes et intercommunalités d’y être associées" (l'APVF plaide pour un seuil de 10 agents). L'élu relève également que le texte sécurise "la création de brigades canines de police municipale en les dotant d’un cadre juridique clair" ; Dimitri Houbron (Agir ensemble, Nord) se réjouissant ici de l'ajout de la nécessaire prise en compte du bien-être animal. L'élu du Nord se félicite en outre que le texte permette aux gardes champêtres de recourir aux appareils photographiques dans le cadre de la lutte contre les atteintes aux propriétés rurales et forestières et note "l’engagement du ministre de l’Intérieur de prendre divers décrets pour permettre aux policiers municipaux d’avoir accès au fichier des véhicules volés, en lien avec leurs compétences en matière routière, mais surtout au fichier des personnes recherchées" (les amendements pour permettre l'accès à différents fichiers ayant été rejetés au motif que la question est de nature réglementaire). Autre mesure concrète introduite, la possibilité pour les policiers municipaux de quitter le territoire de leur commune afin de conduire un individu à l’hôpital en cas d’ivresse publique manifeste.
Le texte "marque, par ailleurs, une véritable montée en puissance de l’échelon intercommunal dans le domaine de la sécurité", relève enfin Christophe Naegelen – notamment en encourageant la mutualisation des services de police municipale grâce aux syndicats intercommunaux à vocation unique. Une tendance qui, là encore, ne fait pas l'unanimité. "C’est aux maires d’apprécier ou non, en fonction de la situation locale, la pertinence d’un transfert de cette compétence à l’EPCI", affirme une APVF "opposée à l'intercommunalisation des politiques de sécurité".
À noter, enfin, "la création de la police municipale de Paris, soit un tournant historique et trop souvent occulté dans nos débats", selon les mots de Dimitri Houbron.
Référence : proposition de loi relative à la sécurité globale. |