La mixité sociale au collège améliore le bien-être des élèves mais pas leurs résultats
Selon une étude conduite à la suite d'une expérimentation menée dans plusieurs dizaines de collèges, l'augmentation de la mixité sociale dans les établissements n'a aucun impact sur les performances ou les comportements scolaires. En revanche, elle induit des effets positifs sur le bien-être des élèves et certains comportements sociaux.
Alors qu'un protocole d'accord est sur le point d'être signé entre le ministère de l'Éducation nationale et le secrétariat général de l'enseignement catholique pour favoriser la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat, une étude du Conseil scientifique de l'Éducation nationale (CSEN) publiée le 2 mai 2023 démontre les effets tantôt positifs, tantôt inexistants des premières expérimentations pour favoriser une plus grande mixité sociale au collège.
Dans son étude, le CSEN tire le bilan d'une initiative lancée à la rentrée de 2016 par le ministère de l'Éducation nationale (lire notre article du 18 mars 2016) qui visait à favoriser la cohésion sociale par le développement de relations sociales et amicales diversifiées et à promouvoir une plus grande égalité des chances en réduisant la ségrégation sociale entre les établissements scolaires. Sur la base du volontariat, des actions ont été menées pour favoriser la mixité sociale dans des collèges identifiés comme "particulièrement ségrégés". Ces actions ont pris différentes formes : création de secteurs multicollèges réunissant des secteurs de plusieurs collèges en un seul, avec affectation des élèves plus ou moins dirigée, modification de la sectorisation des collèges de manière à changer leur bassin de recrutement, fermeture ou ouverture d'établissements afin de reconfigurer les secteurs des collèges ou implantation de sections à recrutement spécifique (musique, bilangues, européennes, etc.) dans des collèges socialement défavorisés.
L'étude porte sur la comparaison entre les élèves de cinquante-six collèges "pilotes" engagés dans cette initiative et ceux de collèges similaires non engagés, dits "témoins". Les résultats sont analysés sous l'angle de la composition des collèges, des résultats et comportements scolaires, du bien-être personnel et du bien-être social des élèves.
Mixité : une progression "limitée"
En ce qui concerne la composition des collèges, l'étude note que les actions engagées ont "légèrement rapproché les collèges concernés d'une situation hypothétique de parfaite mixité sociale sur l'ensemble du territoire". En effet, alors qu'à l'échelle nationale, la proportion d'élèves de milieu défavorisé est de 64% et celle d'élèves de milieu favorisé est de 36%, parmi les collèges pilotes, les taux d'exposition des élèves d'un groupe social donné (favorisé ou défavorisé) aux élèves de l'autre groupe ont augmenté de manière significative par rapport aux collèges témoins, "ce qui signifie que la mixité sociale a progressé", pointe l'étude. Mais ce changement est jugé "limité" : le taux d'exposition des élèves défavorisés aux élèves favorisés est passé de 31% à 34% en trois ans, tandis que le taux d'exposition des élèves favorisés aux élèves défavorisés est passé de 52% à 57%.
Au chapitre de la composition des collèges toujours, les auteurs estiment que "les actions engagées en faveur de la mixité sociale n'ont pas provoqué un surcroît d'évitement". Les proportions d'élèves inscrits dans le secteur privé ou dans un collège public hors secteur, de l'ordre de 15% chacune, n'ont pas varié de manière significative dans les sites pilotes par rapport aux sites témoins à la suite de la mise en œuvre des actions en faveur de la mixité sociale.
L'étude explique cette "progression modeste de la mixité sociale" par le fait qu'"un grand nombre d'entre eux ne présentaient qu'un potentiel de changement limité" et que "les écarts de composition sociale entre leurs collèges étaient relativement faibles avant même le lancement des actions". D'ailleurs, parmi les sites "à fort potentiel", l'effet des actions sur la mixité sociale a été beaucoup plus important, avec un taux d'exposition des élèves défavorisés aux élèves favorisés de 32% dans les collèges pilotes contre 15% dans les collèges témoins, et un taux d'exposition des élèves favorisés aux élèves défavorisés de 49% dans les premiers contre 30% dans les seconds.
Indicateurs scolaires et non scolaires
Côté résultats scolaires, l'étude "ne constate pas d'impact significatif des mesures prises pour renforcer la mixité sur les performances des élèves au contrôle continu et aux tests standardisés". Autrement dit, "les élèves scolarisés dans un collège où la mixité sociale a substantiellement progressé n'ont pas vu leurs résultats scolaires évoluer de manière significative par rapport aux élèves des collèges témoins, quel que soit le milieu social des élèves". Les auteurs concluent donc à "une absence d'effet positif comme négatif de cette politique sur les apprentissages".
De la même manière, les comportements des élèves – envisagés à travers les absences, retards et sanctions – ne subissent "pas de différence significative entre les élèves des collèges pilotes et ceux des collèges témoins, quelle que soit leur origine sociale".
En revanche, "les actions en faveur de la mixité sociale ont eu un effet globalement positif sur les indicateurs non scolaires", estime le CSEN. L'"estime de soi scolaire" est ainsi "significativement plus élevée dans les collèges pilotes pour les élèves favorisés" et "les élèves des collèges pilotes sont, par comparaison avec les élèves des collèges témoins et quelle que soit leur origine sociale, plus optimistes sur le rendement de l'effort". Ce qui signifie, selon l'étude, "qu'ils ont davantage le sentiment de pouvoir influencer leur propre réussite".
Pas une panacée
S'agissant du bien-être social, les élèves de milieu défavorisé dans les collèges pilotes perçoivent le climat scolaire comme étant de meilleure qualité, se sentent davantage en sécurité dans leur collège et déclarent avoir de meilleures relations avec leurs amis. Pour les élèves favorisés, on ne constate aucun effet significatif négatif mais une légère augmentation de la qualité perçue des relations amicales. Pour les auteurs, cela indique que "l'amélioration des relations sociales des uns ne s'effectue pas au détriment de celles des autres". On observe encore que l'attitude vis-à-vis du travail en groupe les élèves de milieu défavorisé a progressé, "ce qui suggère que ces élèves sont plus enclins à coopérer", souligne l'étude. Tandis que les élèves favorisés adhèrent un peu plus souvent aux valeurs de solidarité.
L'étude conclut que "favoriser la mixité sociale au collège semble une politique pertinente pour favoriser le bien-être personnel et l'intégration sociale des élèves", mais que "cette politique ne modifie pas à court terme les performances scolaires et la discipline, ce qui suggère qu'elle ne constitue pas une panacée pour améliorer les performances des élèves de milieu défavorisé, comme pouvait l'espérer le ministère lorsque cette initiative a été lancée".