"La lutte contre le trafic de drogue, c’est du ressort de l’État !"
Le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU) organisait les 18 et 19 juin derniers la 7e édition de ses assises de la sécurité des territoires. Adjoint au maire de Bordeaux – ville qui préside le FFSU depuis octobre 2002 – chargé de la sécurité, de la prévention de la délinquance et de la médiation, Marc Etcheverry revient pour Localtis sur les éléments marquants de ces rencontres.
Localtis : Quels ont été pour vous les sujets marquants de cette 7e édition des Assises de la sécurité des territoires ?
Marc Etcheverry : Ces assises ont une nouvelle fois été vraiment très stimulantes, mais si je devais dégager deux sujets, je retiendrais en premier lieu les échanges sur la place et les évolutions de nos polices municipales, dans un contexte où elles sont de plus en plus sollicitées et où elles constituent désormais clairement la 3e force de sécurité en France. Mais aussi dans le contexte du Beauvau des polices municipales, désormais en suspens. En second lieu, je retiendrais les narcotrafics, puisque l’on a notamment eu une présentation par le sénateur Durain du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur ce sujet [v. notre article du 14 mai], lequel nous conduit à voir quelle est la place des collectivités locales dans ce domaine hautement régalien.
Le Beauvau des polices municipales a mis en lumière deux visions opposées sur le devenir de ces forces (v. notre article du 17 mai). Cette ligne de fracture se retrouve-t-elle au sein du FFSU ?
Nous avons au FFSU une ligne claire en la matière, qui est le refus du statut d’officier de police judiciaire (OPJ). Ce qui ne nous empêche pas d’avoir par ailleurs une réflexion sur l’évolution du cadre, parfois beaucoup trop contraignant et qui nous fait perdre du temps, dans lequel évoluent les polices municipales, ou sur des ajustements techniques pour correspondre aux réalités de nos villes et pour faciliter la vie de nos agents sur le terrain. Concrètement, je pense à certaines verbalisations, à certaines mises à disposition… Nous sommes pleinement ouverts à l’évolution de cadre. D’ailleurs, nous entamons une démarche pour faire des propositions très concrètes au prochain gouvernement en ce domaine d’ici la fin de l’année. Mais tout cela passe d’abord par un travail de clarification de la doctrine d’emploi des polices municipales.
Évoquez-vous ici un seul cadre qui serait commun à l’ensemble des polices municipales ?
Nous sommes foncièrement attachés à la libre-administration des collectivités – c’est comme cela que se sont construites les polices municipales, qui répondent à une réalité de territoires. Dans le même temps, on constate qu’il existe des prérogatives qui sont en théorie optionnelles mais qui deviennent majoritaires en pratique, au point précisément de remettre en cause cette libre-administration des collectivités. Quand c’est optionnel, on a tendance à aller vers le mieux-disant, et c’est un peu en ce sens-là que le statut d’OPJ à la carte proposé par Dominique Faure nous fait un peu peur. On est sur une ligne de crête entre la nécessaire et souhaitable libre-administration des collectivités et un cadre a minima partagé sur les prérogatives et le fonctionnement des polices municipales, qui permette d’avoir un dialogue coopératif et compétitif avec l’État.
Vous évoquiez le côté "hautement régalien" de la lutte contre les narcotrafics, sujet qui avait déjà beaucoup animé les travaux du dernier Forum européen pour la sécurité urbaine (v. notre article du 28 mars). Un avis du Comité des régions, adopté en plénière le 20 juin dernier, qui "constate avec inquiétude la multiplication dans les villes européennes des zones de non-droit liées au commerce de détail de drogues", insiste "sur la nécessité que toutes les villes disposent des ressources nécessaires pour assurer une présence suffisante de policiers locaux correctement formés". Qu’en pensez-vous ?
Avec Pierre Hurmic, président du FFSU et maire de Bordeaux, nous avons une position assez ferme sur le sujet : la lutte contre le trafic de drogue, c’est du ressort de l’État ! Or les échanges conduits lors des assises ont mis en avant une inquiétude partagée par toutes les villes : le désengagement progressif de ce dernier en la matière, par manque d’effectifs. Certes, les polices municipales doivent poursuivre leur action de police de proximité, d’ilotage, de tranquillisation de l’espace public. Nous, collectivités, nous engageons aussi sur le terrain de la prévention de la délinquance et de la médiation, en amont de la chaine, pour éviter que des jeunes basculent dans le trafic de stupéfiants, en leur proposant d’autres perspectives, en animant notre territoire. Mais lorsque l’on fait face à des filières organisées, c’est à l’État de prendre ses responsabilités. Le volet répressif, c’est la place prépondérante et primordiale de l’État.
Bordeaux s’apprête à signer avec l’État un contrat de sécurité intégrée, un dispositif "donnant-donnant" que ne goutait guère l’ancien président du FFSU Roger Vicot (v. notre entretien du 21 octobre 2020). Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
À Bordeaux, nous n’avons jamais changé de position. Nous nous sommes positionnés dès 2021 pour signer un tel contrat. Nous avons entamé un travail en ce sens avec la préfecture de Gironde en 2022, qui a abouti en juin 2023 avec l’envoi d’une version de travail au ministère de l’Intérieur. Mais entre juin 2023 et fin mai 2024, nous n’avons eu ni son ni lumière de la part du ministre, Gérald Darmanin. Cette situation a changé il y a seulement quelques semaines, avec une réponse de principe du ministre acceptant la signature de ce contrat. Sa version finalisée devrait être examinée en conseil municipal le 9 juillet prochain.
Faut-il voir dans cette signature un changement de position du FFSU (v. notre article du 30 mars 2021) à l’égard de ces contrats ?
Nous évoquions précédemment la libre-administration des collectivités et des options "à la carte". La signature d’un tel contrat en fait partie. Cela reste à l’appréciation de chaque maire. À l’image d’autres villes, comme Toulouse qui a signé un tel contrat [v. notre article du 9 octobre 2020], Pierre Hurmic estime qu’il est nécessaire d’avoir des renforts de police nationale à Bordeaux, pour diverses raisons : parce que Bordeaux est une grande ville attractive qui a vu sa population augmenter, parce que, malheureusement, on constate une tendance à la baisse des effectifs de police nationale depuis quelques années qui nous pénalisent, etc. Or ce contrat est précisément un moyen de répondre à ce désengagement de l’État, puisque le maintien des effectifs en constitue l’un des points fondamentaux. En l’espèce, non seulement on évite ce désengagement, mais on vient même renforcer les effectifs puisque le contrat prévoit l’ajout de 40 policiers nationaux sur notre territoire. Il répond donc à la volonté de Pierre Hurmic d’avoir plus de bleu dans les rues. De notre côté, on s’y engage depuis 2020 : nos effectifs de policiers municipaux ont augmenté de plus de 40%.
La dissolution a récemment eu raison du Beauvau de la prévention de la délinquance (v. notre article du 11 juin), qui devait contribuer à la définition de la nouvelle stratégie nationale de la prévention de la délinquance, sujet cher au FFSU (v. notre article du 25 mars 2019). Pendant la fermeture, les travaux continuent-ils pour autant ?
Actuellement, tout est en suspens. Les travaux sont a minima reportés sine die, mais il ne faut pas être devin pour penser que ce Beauvau risque d’être purement et simplement annulé.