La lutte contre le décrochage scolaire, un axe majeur de la prévention de la délinquance des mineurs pour le Sénat
Dans un rapport consacré à la prévention de la délinquance des mineurs, le Sénat déplore la méconnaissance persistante du phénomène, qui rend d’autant plus difficile la construction d’une politique publique efficace, qui souffre par ailleurs toujours en aval d’un manque d’évaluation – singulièrement visés, les centre éducatifs fermés. Convaincus de la forte corrélation du phénomène avec l’échec scolaire, les rapporteurs plaident pour concentrer les efforts dans ce domaine, en appelant les collectivités à la rescousse. La PJJ reste néanmoins incontournable, même si elle gagnerait notamment à "parfaire" son articulation avec les magistrats et l’éducation nationale, elle aussi accusée de trop fonctionner "en silo".
Vingt ans après le rapport des sénateurs Carle et Schosteck, le Sénat s’est à nouveau penché sur le sujet de la délinquance des mineurs – dans un rapport qui n’a toutefois pas la même portée. Il fait le constat qu’en dépit des nombreuses réformes mises en œuvre en ce domaine, un certain nombre de problèmes demeurent.
Un phénomène toujours méconnu
À commencer par celui du manque persistant de connaissances sur ce phénomène : "Faute de commande politique, aucune photographie complète et actuelle de ce [dernier] n’est disponible", déplorent les quatre rapporteurs. Pis, ils dénoncent une "perte d’intérêt des pouvoirs publics à retracer l’évolution de cette délinquance". Et ce, en dépit de l’explosion des réseaux sociaux, qui "amplifieraient la violence, favoriseraient le passage à l’acte, voire conduiraient à l’augmentation de certains faits".
De même estiment-ils "qu’aucune conclusion ne peut être tirée des chiffres contrastés du ministère de l’Intérieur" – qui font état d’une hausse des atteintes aux personnes, compensée par une baisse des atteintes aux biens. Au regard du rapport de 2002, on pourrait émettre l’hypothèse qu’ils accréditent l’idée d’un développement de la "délinquance d’exclusion" – territorialisée, liée à l’explosion du trafic de stupéfiants et qui "transforme certains quartiers en véritables ghettos", dont les premières victimes sont "les pauvres" – qui prendrait le pas sur la "traditionnelle délinquance d’appropriation, qui se concentrait là où il y avait les richesses". Dans tous les cas, les sénateurs proposent de mettre en place un suivi statistique, sur l’ensemble de la chaine pénale et de publier des indicateurs annuels, de développer des enquêtes sociologiques sur les auteurs, d’améliorer le repérage des infractions liées au numérique ou encore d’évaluer le rôle des réseaux sociaux.
Diminution des condamnations prononcées
Le ministère de la Justice, lui, tient ses comptes. La proportion d’affaires mettant en cause des mineurs reste inchangée depuis 2000, représentant entre 3 à 4% des affaires traitées. En revanche, le taux de réponse pénale a fortement progressé, singulièrement entre 2000 et 2010. Mais il cache "des disparités importantes", estiment les rapporteurs : un taux de poursuite globalement inférieur de dix points à celui de l’ensemble des affaires ; une forte augmentation des alternatives aux poursuites (avec des rappels à la loi majoritaires) ; des sanctions éducatives peu prononcées et une diminution "lente mais continue" des condamnations. En revanche, le rapport regrette le manque d’informations relatives à la récidive et à la réitération, et plaide donc pour "des études plus fines" pour une "meilleure idée de l’efficacité du suivi judiciaire".
Fonctionnement en silo
Si les causes du phénomène sont multiples, les rapporteurs insistent comme leurs prédécesseurs sur sa corrélation avec l’échec scolaire, et invitent en conséquence à faire de la lutte contre le décrochage scolaire un "axe majeur" de la prévention. En l’espèce, les sénateurs point les efforts accomplis depuis 2002 par l’éducation nationale et les acteurs de l’insertion professionnelle. Las, si les acteurs sont multiples, ils "fonctionnent en silo", ce qui est d’autant plus préjudiciable que "leurs compétences se recoupent". L’éducation nationale est particulièrement visée, "trop peu d’établissements scolaires [ayant] le réflexe de contacter les missions locales". Les sénateurs demandent en conséquence d’assurer l’interopérabilité des systèmes d’information de suivi des jeunes décrocheurs, dont le nombre "demeure élevé". À l’inverse, ils saluent l’efficacité du dispositif "Cités éducatives", lancé en 2018, au sein duquel "le dialogue entre les différents acteurs est facilité". Ils mettent en avant ce qu’ils estiment être les conditions de la réussite : la définition d’objectifs issus de réflexions associant l’ensemble des partenaires, en prenant en compte la spécificité du territoire et le tissu de partenaires.
Collège unique, collège inique ?
Le rapport de 2002 se faisait particulièrement critique à l’égard du collège unique (rebaptisé "collège utopique"), l’érigeant même au rang de "co-producteur de délinquance". Si les rapporteurs ont cette fois la critique moins aiguisée, ils n’en jugent pas moins que "l’obligation scolaire s’imposant à tout mineur de moins de 16 ans rend plus difficile la prise en charge de jeunes en rupture avec l’école". Ils préconisent en conséquence de permettre à un élève de 15 ans d’avoir accès au parcours aménage de formation initiale. S’ils doutent de l’efficacité des classes relais, ils invitent à encourager "l’apprentissage par le faire et la pédagogie de projet", initiatives dont il est relevé que "certaines sont lancées en partenariat avec les régions".
Les collectivités à la rescousse
Les rapporteurs sont également convaincus de la nécessité "d’une prise en compte de tous les temps du jeune". Ils plaident ainsi pour que le rattachement des services de la jeunesse et des sports aux services académiques, au niveau déconcentré depuis le 1er janvier dernier, soit "désormais pleinement utilisé". Ils n’en soulignent pas moins l’importance de "lutter contre les germes de la délinquance au sein de l’école", alors que, "fait nouveau", l’école primaire n’est "aujourd’hui plus épargnée" par la violence. Les sénateurs recommandent de "mieux prendre en charge les élèves violents", notamment en instaurant une prise en charge systématique de tout élève exclu temporairement de son établissement, "dans le cadre d’un partenariat associant l’établissement, les collectivités territoriales et les associations du territoire" (le rapport saluant les "initiatives prises par de nombreuses collectivités en la matière"). Pour les "poly-exclus", ils proposent de prévoir dans chaque académie au moins un internat tremplin ou des places dédiées dans des internats classiques.
La PJJ, toujours incontournable et à la peine
Si le rôle et les missions de la protection judiciaire de la jeunesse ont fortement évolué depuis le rapport de 2002 (qui n’était pas tendre à son égard), son rôle reste "essentiel" dans la mise en œuvre des mesures éducatives décidées par le juge, soulignent les rapporteurs. Las, ils constatent "la permanence des difficultés anciennes et peut-être structurelles qui limitent leur efficacité". Les sénateurs relèvent que l’adaptation des mesures "à la réalité des territoires dépend souvent moins des besoins propres à chaque population que de l’offre publique ou élaborée par le secteur associatif habilité". Notamment en cause, le manque d’éducateurs spécialisés, parfois celui de moyens dédiés, et des délais de mise en œuvre trop longs, ce qui "conduit parfois à un sentiment d’impunité ou de faiblesse de la réponse pénale", mais aussi à rendre le métier d’éducateur moins attractif, entrainant "un recours accru à des contractuels, sous contrats précaires, parfois recrutés sur des critères faibles comme le ‘‘parcours de vie’’ et qui contribuent à la fragilité du suivi". Les rapporteurs recommandent également de "parfaire" l’articulation de la PJJ avec les magistrats et l’éducation nationale.
Manque d’évaluation, notamment des centres éducatifs fermés
Autre difficulté persistante dénoncée en 2022, "le manque d’évaluation de l’efficacité des mesures éducatives, le suivi se limitant généralement à leur exécution". Les sénateurs réclament en conséquence la mise en place d’un programme d’évaluation de ces mesures, et singulièrement celle des centres éducatifs fermés, dont ils estiment le succès si "inégal" qu’ils plaident pour la "réorientation des moyens destinés à la création de nouveaux centres vers le financement de la mise en œuvre de mesures existantes". Ils insistent également sur la nécessité de "faire du temps de placement judiciaire un temps d’apprentissage" – rappelant les obligations de l’État en la matière –, préconisant d’allonger le temps de scolarité et de favoriser des lieux de détention de taille modeste "pour des apprentissages sereins".