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La loi "anticasseurs" sujet de vives tensions à l'Assemblée

A la veille de l'acte XII des gilets jaunes, les députés ont achevé, vendredi, l'examen de la proposition de loi "anticasseurs". Au même moment, le Conseil d'Etat a rejeté une demande de suspension de l'utilisation des lanceurs de balles LBD. Dans ce contexte houleux, un syndicaliste de la police dénonce la gestion du maintien de l'ordre.

Il n’y a pas que dans la rue que les manifestations génèrent de la tension. A la veille de l’acte XII des gilets jaunes, les députés ont achevé, vendredi 1er février, l’examen en première lecture de la proposition de loi sénatoriale "anticasseurs", dans un climat houleux, avant le vote définitif prévu le 5 février. Le texte avait été déposé cet automne par le sénateur LR Bruno Retailleau en réponse aux débordements commis par les "black-blocs" le 1er mai 2018. Les dernières révélations de Médiapart sur l’affaire Benalla ont envenimé ces ultimes discussions, au point que le rapporteur du texte Alice Thourot (LREM, Drôme) a accusé le banc de la France insoumise d’alimenter la "théorie du complot". 
Au fil des trois jours de discussions, l’Assemblée a largement remanié la version sénatoriale votée au mois d’octobre, au-delà de ce qui avait déjà été modifié en commission des lois. Ils en ont profité pour changer l’intitulé du texte qui vise désormais à "renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations". 
On a souvent entendu lors de ces débats des arguments déjà avancés lors des récentes lois antiterroristes. "Faisons attention, mes chers collègues ! Comprenez-vous l’utilisation qui pourra être faite, un jour, de ce dispositif par un éventuel régime autoritaire ?", a ainsi pu déclarer Charles de Courson (UDI, Marne), l’un des plus fervents opposants au texte. Les députés ont amendé l’article 1er sur la prévention des violences dans les manifestations, qui autorise les fouilles de bagages et de véhicules "sur les lieux d’une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats", notion venue remplacer celle de "périmètre" prévue dans le texte initial. Une réécriture qui se veut plus proactive ; elle vise à tenir compte de la mobilité des forces de l’ordre (non cantonnées à un périmètre) et des cas de manifestations non déclarées. A noter que le dispositif n’autorise pas les contrôles d’identité. "Il ne s’agit pas de remettre en cause la liberté de manifester mais de la protéger", a défendu Alice Thourot, en réponse à Charles de Courson.

Interdiction de manifester

Les mêmes arguments ont été brandis de part et d’autre au sujet de l’article 2 qui instaure une interdiction de manifester. "Il y a des personnes dont le comportement présente une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. Leur interdire de manifester a du sens dans le droit français", a déclaré Christophe Castaner. Le gouvernement a soumis un amendement prévoyant des améliorations : l’interdiction ne pourra pas être liée à une condamnation pénale, l’appartenance à un groupe violent ne pourra être retenue, une obligation de pointage est instaurée, l’interdiction peut être prise pendant une durée d'un mois.  "Où sommes-nous, mes chers collègues ? C'est la dérive complète. On se croit revenu sous le régime de Vichy. Oui mes chers collègues, je dis bien le régime de Vichy", a une nouvelle fois fustigé Charles de Courson.
Autre disposition sujette à une vive polémique : le fichage. La proposition de loi prévoit désormais d’inscrire au FPR (fichier des personnes recherchées) les personnes interdites de manifester à l’issue d’une décision de justice, alors que les sénateurs prévoyaient la création d’un fichier spécifique, sur le modèle des interdits de stade. "Si nous adoptons un fichier spécifique, nous ne saurons pas nécessairement comment le matérialiser, ni surtout comment en permettre l’accès. Or le FPR permet de créer une mention dédiée aux brutes identifiées comme telles et visées" par une interdiction administrative de manifester, a justifié Christophe Castaner. "C’est tout de même fou ! Sur la base de soupçons, on interdira à un individu de manifester, avant de l’inscrire au FPR pour les mêmes raisons. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? On croit rêver ! On est dans un mauvais film ! Ces dispositions sont insupportables !", s’est insurgé Ugo Bernalicis (Nord) de La France insoumise. Les députés ont ensuite précisé le nouveau délit de "dissimulation du visage", afin de le rendre plus opérationnel. 
Parmi les dernières dispositions discutées vendredi figurait le principe du "casseur-payeur". L’Etat pourra se retourner au civil contre toute personne ayant participé aux faits dommageables, sans qu’il y ait besoin d’une condamnation pénale. Ce qui pour les députés LFI est la porte ouverte à des "sanctions collectives". Alors que le rapporteur a défendu au cours des discussions un texte "d’équilibre", les députés LR ont parfois cherché à le muscler. Ils ont ainsi essayé en vain de revenir à la version du Sénat reposant sur présomption de responsabilité civile collective en cas de condamnation au pénal pour des violences contre les personnes ou des atteintes aux biens. Ils ont aussi proposé, sans succès, d’imposer des peines planchers contre les auteurs de violences contre les forces de l’ordre. Les députés ont aussi inséré dans le code pénal une "peine d’interdiction de participer à des manifestations" d'une durée maximal de trois ans pour les auteurs d’infractions lors de manifestations (article 6).
On notera enfin que le député Meyer Habib a tenté de faire adopter un amendement prévoyant de pénaliser le geste de la "quenelle" popularisé par l’humoriste Dieudonné.

"Escalade de la violence"

Au moment où les députés achevaient l’examen du texte, le Conseil d’Etat a rejeté, ce vendredi, les demandes de suspension de l'usage du lanceur de balles de défense (LBD) dans les prochaines manifestations de "gilets jaunes", estimant que le risque de violences rendait "nécessaire de permettre aux forces de l'ordre de recourir à ces armes". Cette requête avait été déposée par plusieurs syndicats et particuliers. Alors que les députés LFI ont demandé un rapport "précis" au gouvernement sur l’usage des armes de désencerclement au gouvernement, le ministre a rappelé dans l'hémicycle que des discussions auraient lieu prochainement à l’Assemblée sur ce thème, à l’initiative de La France insoumise. "Chaque fois que la doctrine d’emploi est détournée ou n'est pas respectée, cela s’appelle une faute", a martelé le ministre. "Si un maire qui sait qu’il y a une manifestation dans sa commune nous sollicitait pour qu’il n’ y ait aucune force de l’ordre, nous pourrions l’entendre aussi, dans le cadre d’un échange de responsabilités que nous pourrions trouver", a-t-il avancé. Mercredi, sur les ondes de Sud Radio, le secrétaire général du syndicat de police Vigi Police Alexandre Langlois a mis en cause la hiérarchie policière dans les débordements des dernières manifestations.  "N’oubliez pas de porter plainte contre notre hiérarchie, a-t-il lancé aux manifestants blessés (ceux qui n'ont rien à se reprocher) par un tir de LBD. Sinon on va sacrifier des pions." "Le metteur en scène qui est derrière n'est jamais inquiété et renouvellera la scène tous les week-ends", a-t-il ajouté. Le policier a notamment dénoncé le manque de formation concernant le LBD ; les recours les plus fréquents visant, selon lui, des policiers de la BAC qui ne tirent que cinq balles tous les trois ans. Il a aussi dénoncé le démantèlement du renseignement territorial sous Nicolas Sarkozy et la doctrine du maintien de l’ordre, "une vision à l’aveugle qui forcément engendre des dommages collatéraux", et une "escalade de la violence".