La gendarmerie renforce son action auprès des maires ruraux
Déploiement du plan contre les violences faites aux élus, nouveaux enquêteurs environnement, "diagnostics de vulnérabilité" des mairies contre les attaques cyber : la gendarmerie intervient tous azimuts pour soutenir les maires ruraux souvent démunis dans un contexte de recrudescence des violences.
L'exécutif, qui cherche à reconquérir la ruralité, est aux petits oignons avec les maires frappés par une épidémie de violences depuis quelques années. Le matin même de l'ouverture du congrès des maires ruraux à l'Alpe d'Huez, vendredi 29 septembre, Philippe Chardin, maire de la petite commune de Cléry-le-Grand (Meuse), était violemment agressé par un de ses administrés alors qu'il intervenait sur un dépôt sauvage. Ce qui n'est pas sans rappeler la mort du maire de Signes (Var), Jean-Mathieu Michel, quatre ans plus tôt. "C'est un épisode supplémentaire de cette litanie insupportable qu'on constate", a commenté le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, devant les maires ruraux, vendredi, lors de leur congrès à l'Alpe d'Huez.
"Le premier défi c'est la montée de la violence", a déclaré Christophe Béchu, avant même la planification écologique dont il a la responsabilité, pendant que sa collègue Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, s'épanchait sur le sujet dans Paris Match (voir notre article du 29 septembre). Selon l'ancien maire d'Angers, cette recrudescence de tensions remonte à la crise du Covid et aux confinements successifs. Elle est aujourd'hui exacerbée par la cherté de la vie, estime-t-il. Certains renvoient à la crise des gilets jaunes. Le climat très tendu lors de la réforme des retraites n'a pas aidé. D'autres évoquent une crise profonde de l'autorité... mais c'est l'incendie du domicile du maire de Saint-Brevin, Yannick Morez suivi de sa démission, qui avait conduit le gouvernement à réagir avec le plan contre les violences faites aux élus, présenté en mai dernier (voir notre article du 17 mai 2023). Depuis, le plan s'est vu renforcé après l'attaque du domicile du maire de L'Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, au moment des émeutes urbaines du début de l'été (voir notre article du 7 juillet 2023).
Certains élus semblent vivre un divorce avec une partie de leurs administrés. "Nos administrés, on les a connus un peu différents, un peu moins revendicatifs. On est dans la société du zapping, ils veulent des réponses tout de suite", a analysé Michel Fournier, le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). "La colère, elle existe mais elle se fonde souvent sur des déraisons…" Le président du département de l'Isère, Jean-Pierre Barbier, invite pour sa part à ne pas minimiser la crise actuelle. "On est heureux de voir arriver des gens dans nos communes, mais on est inquiets", alerte-t-il, renvoyant à l'augmentation du prix du carburant et à la création des zones à faibles émissions dans les grandes villes. "Tout ceci limite l'accès des ruraux aux soins, à l'éducation, au travail... Il faudrait s'y pencher sérieusement. (…) Cette colère peut être grave."
Déjà 2.300 faits recensés en 2023
Les chiffres semblent lui donner raison. "Nous avons déjà 2.300 faits recensés (violences verbales et physiques, ndlr), soit autant que sur toute l'année 2022", indique à Localtis Hélène Debiève, cheffe du tout nouveau centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (Calae), créé dans le cadre du plan gouvernemental. Une augmentation qui tient pour une part à la "libération de la parole" depuis que les maires sont incités à porter plainte, nuance-t-elle cependant. Ce qui est aujourd'hui facilité par le déploiement de 3.400 "référents atteintes aux élus" déployés dans les commissariats et gendarmeries. Mais l'année 2022 s'était déjà traduite par une augmentation de 30% des faits recensés.
Le Calae a tout d'abord vocation à donner une "vision partagée de la situation", que ce soit en zone de gendarmerie, de police ou à Paris. "Ces remontées permettent à la fois une vision sur les volumes mais aussi sur les catégories d'atteintes. On constate par exemple une évolution importante des menaces cyber, liées aux réseaux sociaux, ainsi qu'une augmentation des dégradations matérielles, dans le contexte de la réforme des retraites et des émeutes", explique Hélène Debiève. Derrière ce recensement, le centre propose aussi un accompagnement individuel des élus. Il travaille enfin avec les associations d'élus à "l'acculturation au risque" car certains maires "n'ont pas toujours conscience des dangers. Il faut qu'ils acquièrent les bons réflexes". Ils peuvent aussi s'inscrire au dispositif "Alarme élu" qui permet un traitement rapide de leurs appels au 17.
"Diagnostic de vulnérabilité" des mairies
À côté de ce plan, le gouvernement entend aussi agir sur la délinquance environnementale et les dépôts sauvages, source de bien des conflits. Depuis le 1er janvier, un commandement dédié a vu le jour : le Cesan (commandement pour l'environnement et la santé). Il coordonnera les quelque 3.500 enquêteurs environnement en cours de formation. Ces gendarmes enquêteurs - dont la création annoncée par le ministre de l'Intérieur lors des incendies de 2022 a été reprise dans le plan France ruralités - seront spécialisés dans plusieurs thématiques : déchets, pollutions, maltraitance animale, incendies et trafics de produits phytosanitaires. La gendarmerie vient également de réaliser un "Mooc" à destination des maires, pour les aider à y voir plus clair dans la législation et dans leurs compétences. D'une durée de trente minutes, il sera mis à disposition des associations d'élus.
Enfin, troisième axe : le dispositif Diagonal de lutte contre la cybercriminalité. 9.600 gendarmes ont été formés pour intervenir directement auprès des mairies pour leur fournir des "diagnostics de vulnérabilité". ""Il est important de faire le diagnostic des menaces potentielles de votre mairie", a aussi souligné Frédéric Massip, commandant du groupement de gendarmerie de l'Isère, devant les maires ruraux. "Lorsqu'une mairie est victime d'une menace, il est important de la signaler à la gendarmerie qui pourra délivrer les premiers conseils pour essayer de contenir l'étendue de l'attaque."
Police intercommunale
Le gouvernement a aussi annoncé qu'il soutiendrait la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, qui sera examinée en commission des lois à partir du 5 octobre. Le texte prévoit d'alourdir les sanctions (jusqu'à sept ans de prison et 100.000 euros d'amende) mais aussi de renforcer la protection fonctionnelle des élus. Enfin, il entend "mettre du bleu" dans la rue avec le déploiement des 238 gendarmeries dévoilées par le président de la République, lundi. Une "bonne nouvelle" saluée par Michel Fournier, qui se justifie selon lui "à la fois par une meilleure considération des habitants des territoires ruraux et d’autre part par l’émergence de nouvelles intensités et formes de délinquance observées sans oublier l’augmentation d’agressions d’élus plus exposés aux violences". "Après la suppression de 500 brigades en 15 ans et avec elle de la réduction de la présence opérationnelle de gendarmes, l’État prend acte qu’il est allé trop loin dans la réduction de la couverture du territoire laissant trop de 'trous dans la raquette'", souligne-t-il dans un communiqué.
Ce retour du "bleu" est d'autant plus apprécié que les communes rurales n'ont généralement pas les moyens de se doter d'une police municipale. Alors elles se regroupent parfois pour recruter un agent de police intercommunal. Ce à quoi travaille actuellement Alain Castang, maire de Rouffignac-de-Sigoulès, en lien avec la gendarmerie. Selon lui, il faut aussi mettre le procureur dans la boucle. "Si on travaille à ce triptyque, (...) on fait du bon boulot. Les dépôts d'ordure ont baissé de 70% depuis qu'on travaille de la sorte", a-t-il expliqué lors du congrès.