Aménagement numérique - La dynamique des réseaux d'initiative publique est enclenchée
Les 9es rencontres "territoires et réseaux d'initiative publique" (Trip 2013) organisées par l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca) avec l'appui du département Développement numérique des territoires de la Caisse des Dépôts, les 26 et 27 novembre à Paris, marquent un changement de phase stratégique, avec le passage, pour près de la moitié des départements, du stade projet au déploiement des réseaux très haut débit. L'impulsion attendue est enfin donnée via le guichet du Fonds national pour la société numérique (FSN), très sollicité en ce moment. Progressivement, les territoires se concentrent sur la préparation et le lancement des travaux. L'observatoire des RIP proposé par l'Avicca, dont les résultats sont traditionnellement présentés au cours de ces rencontres, donne un aperçu de l'ampleur du chantier et des zones de risques.
Les régions assurent leur part d'engagement
L'appétence - voire même parfois une certaine impatience - des collectivités territoriales est perceptible. Le flux de dossiers de demandes de subventions n'a d'ailleurs pas été interrompu depuis l'ouverture du Guichet FSN, à la fin du premier semestre 2013. Si bien que 17 projets (23 départements) ont déjà obtenu un accord préalable de principe, pour un engagement de 432,2 M€ (1). Un accord important qui permet de lancer les travaux. Les premières attributions de marchés sont tombées avec l'Auvergne (375 M€ pour la première phase), l'Oise (135 M€), l'Eure-et-Loir, le Cher, la région Paca, la Vendée et la Seine-et-Marne. Les appels d'offres tiennent également le rythme avec le Loiret (140 M€), la Bretagne (100 M€) ou encore la Loire (285 M€).
Fait intéressant, le débat sur le chef de filat "aménagement numérique", entre la région et le département, qui a animé le Parlement au cours de ces derniers mois, ne semble pas avoir affecté l'implication des régions dans le financement des RIP. Beaucoup négocient la mobilisation des fonds Feder sur le très haut débit (Aquitaine, Auvergne, Bretagne, Centre, Corse, Franche-Comté…) et participent financièrement à la maîtrise d'ouvrage (Bretagne, Centre, Corse, Limousin). Quant aux montants dédiés au très haut débit, ils sont très variables : de 50 M€ en Midi-Pyrénées à 280 M€ en Bretagne.
Une pente difficile pour les départements ruraux
L'arrivée des premiers départements ruraux vient un peu écorner l'enthousiasme suscité par le décollage du Plan et par le taux de redistribution des aides. La Haute-Saône, département très rural, avec 80% de communes de moins de 500 habitants, ne pouvait pas se permettre de partir sur du FTTH en direct. Le conseil général a préféré franchir un premier palier en construisant un réseau optique de collecte, fortement maillé sur le territoire, et une desserte en technologie VDSL 2 pour obtenir un très "haut débit moyen" supérieur à 30 Mbps. Les premières prises FTTH seraient programmées vers 2020 pour ne couvrir que les 2/3 du département en 2025.
Le programme a été conçu de manière astucieuse, notamment pour limiter les investissements non réutilisables dans les phases suivantes, mais le président du département, Yves Krattinger, assure qu'il ne pouvait faire plus financièrement. Aussi, on peut raisonnablement s'interroger sur les capacités des conseils généraux les plus ruraux (près d'un tiers) à suivre la marche du plan au rythme prévu. En Haute-Saône, le très haut débit intégral ne sera pas atteint au mieux avant 2030. Il conviendra donc de surveiller les départements "à la peine" au regard de l'addition à régler car on peut prévoir aussi des difficultés de commercialisation ultérieurement.
La "box" Numéricable peut-elle relever la perspective de croissance des RIP ?
Devenu le plus important vecteur du très haut débit, le câble attire l'attention. Mais quelle sera sa place dans le dispositif d'ensemble ? Pour l'instant, les initiatives restent assez disparates : certaines collectivités se désengagent du câble à la fin des contrats de DSP tout en conservant la propriété de l'infrastructure (projet de 170.000 prises pour les Sivu de la communauté urbaine de Lille) ; d'autres, au milieu de leur contrat DSP, modernisent le réseau (Epari dans le Rhône, Sipperec en Ile-de-France).
Mais le principal événement de 2013 reste l'arrivée de Numéricable sur le réseau du syndicat de l'Ain (SIEA). En proposant sa plate-forme de services aux abonnés via le réseau FTTH et sa box vers 400 communes, l'opérateur crédibilise le RIP local et envoie un signal fort à ses concurrents, préfigurant d'autres initiatives de même nature. Il pourrait, par sa présence, stimuler la concurrence et inciter les autres grands opérateurs à accélérer leur entrée.
Les collectivités assurent les 2/3 du risque
La question économique reste la variable clé. Les RIP devront être attractifs pour faire venir les opérateurs et les fournisseurs d'accès. La présence des plus grands acteurs fera à la longue basculer les plans sur la bonne ou sur la mauvaise trajectoire, car la prise de risques publique demeure élevée sur ce dossier. Comme le rappelle Patrick Vuitton, délégué général de l'Avicca, "sur les 20 milliards du plan France Très Haut Débit, la construction et l'exploitation des réseaux d'initiative publique représenterait les 2/3 du risque". Autrement dit, pour 1 euro d'investissement, les collectivités espèrent 2 euros de retour des opérateurs venus utiliser les réseaux. "Si le ratio n'est pas atteint, l'addition sera sévère", prédit-il.
De quoi inciter l'Avicca à se mobiliser sur les facteurs de réussite. Or il est encore un peut tôt pour qualifier la tendance. Les seuls points d'appui dont les observateurs disposent sont les premiers résultats de la commercialisation. Ils donnent toutefois encore assez peu d'éléments fiables puisque le décollage ne fait que commencer.
Vitesse de déploiement et taux de pénétration : deux critères essentiels
La vitesse de déploiement constitue le principal moyen d'élargir la base des usagers éligibles. Or le rythme annuel de production, en référence aux quatre derniers trimestres, se situe à 750.000 prises. Un chiffre encore inférieur à l'optimum attendu puisque pour tenir les objectifs de 80% de couverture en 2022, il faudrait rapidement tripler la production et passer à 2,5 millions de prises annuelles raccordables. Contrainte qui supposerait, selon l'indicateur du Sycabel (2), le quintuplement des budgets et des commandes industrielles car la zone de faible densité donne lieu à des longueurs moyennes de lignes plus élevées qu'en milieu urbain. Malgré des temps de procédures assez longs entre le dépôt des dossiers, le lancement et les attributions des appels d'offres, le Plan serait toujours dans la course quant aux délais.
Une fois les réseaux installés, l'appétence des clients à basculer d'une technologie vers l'autre devient le critère décisif. Or le taux de pénétration du FTTH plafonne à 16,5% (second trimestre 2013) et connaît des évolutions à la marge d'un trimestre à l'autre. L'examen rapproché de la commercialisation des RIP esquisse toutefois quelques tendances : "Aujourd'hui, certains petits réseaux - quelques milliers de prises – atteignent parfois la barre des 50% de pénétration, mais il est difficile d'en tirer des leçons et d'extrapoler", fait remarquer Patrick Vuitton. Les résultats recueillis sur des réseaux plus importants confirment le caractère déterminant "du facteur temps et du nombre d'opérateurs présents". Le RIP de Laval, ouvert depuis 12 mois, obtient 10,6% de pénétration mais avec Orange en solo et sur 12.850 prises installées. Le syndicat de l'Ain obtient 12,7% avec 77.400 prises déployées et uniquement avec de petits opérateurs locaux - il conviendra d'ailleurs de mesurer "l'effet Numéricable" lorsque le fournisseur d'accès internet aura atteint sa vitesse de croisière commerciale. Manche Numérique obtient un taux de 23,3% avec la présence de Orange et de SFR. Quant au réseau de Pau, doyen des réseaux FTTH, il se rapproche des 30% mais a connu de nombreuses vicissitudes au cours de ses huit années d'existence.
Guerre fratricide ou retrait organisé du cuivre ?
Malgré la difficulté à interpréter les résultats, l'Avicca voit deux scénarios se dessiner. Le premier reposerait sur la concurrence frontale entre les deux boucles locales cuivre et fibre. Ce qui provoquerait sans doute d'importants dégâts. "La présence d'un opérateur verticalement intégré détenant 100% de parts de marché sur l'offre de gros, près de 100% de parts de marché sur le réseau téléphonique commuté et au moins 50% de parts de marché sur internet dans les zones d'initiative publique crée une situation d'instabilité assez forte pour les RIP avec le risque de voir se créer une opposition entre les collectivités territoriales et l'Etat premier actionnaire de l'opérateur", s'inquiète Patrick Vuitton.
Le second scénario consisterait à mettre en œuvre un mécanisme organisé d'extinction du réseau de cuivre. En attendant les conclusions de la mission Champsaur qui planche sur le sujet, l'Avicca propose quelques mesures partielles et conservatoires dans le but d'effacer les coûts liés à la création puis à la gestion de deux réseaux séparés et concurrents. Par exemple arrêter la construction, pour les immeubles collectifs ou les nouvelles zones d'habitat, des réseaux cuivres dans les territoires ou la fibre est installée. Le surcoût est en effet de 150 euros par logement. "En outre, les communes concernées triplent le génie civil pour passer des réseaux cuivre qui bientôt ne serviront plus à rien. Les bonnes nouvelles viennent de l'expérimentation d'extinction du cuivre à Palaiseau qui confirme la migration des trois quarts des abonnés d'Orange sur le FTTH et une utilisation plus étendue des services proposés (voir notre article du 31 octobre). L'annonce de l'extinction rapide du cuivre a conduit les clients d'Orange à accepter une migration rapide.
Autres points de vigilance
Outre l'extinction du cuivre, il est urgent d'avancer sur les derniers sujets en suspens tels que l'articulation entre les RIP de première et de seconde génération, la construction et l'homogénéisation des offres de co-investissement, la possibilité pour les RIP de proposer des services FTTo dans les zones AMII ou, encore, de préciser quelles seraient les conditions d'utilisation du réseau de collecte d'Orange. En somme, des changements légers par rapport à ceux déjà opérés, mais qui contribueraient à mettre un peu d'huile dans les rouages.
L'impact économique des RIP : bref aperçu
L'étude de l'Avicca et celle de la Caisse des Dépôts consacrée à "l'évaluation de l'impact territorial des RIP" qui sera publiée intégralement à la mi-décembre (nous y reviendrons à ce moment-là) confirment le poids économique croissant des réseaux publics et leur impact positif sur les économies locales, malgré une conjoncture défavorable. Quelques éléments à retenir en attendant un développement approfondi :
- Les RIP de première génération voient leur chiffre d'affaires progresser de 19% en 2013, par rapport à 2012.
- Près d'1 million d'usagers finaux grand public (lignes activées DSL) transitent par les RIP.
- Sur leurs territoires, ils connectent 29% des entreprises et 68% des services publics via la fibre.
- La part des entreprises connectées au FTTH passe de 8% (zones où Orange est seul représenté) à 25% (présence du RIP + Orange), soit un effet multiplicateur de 3 fois.
- Leur effet sur l'emploi est mesurable, avec 0,5 point en moyenne de chômage en moins pour les RIP et un taux qui bondit à 1,3 point dans les zones d'activité où les RIP sont présents.
- La Firip (Fédération des industriels des RIP) identifie déjà 3.000 créations d'emplois directs et en prévoit 9.000 nouvelles d'ici à 2015.
(1) 13 projets sont en instruction et 9 sont examinés par le Conseil national de concertation FTHD
(2) Sycabel : syndicat professionnel des fabricants de fils et câbles électriques et de communication