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La difficile rentrée de l'instruction en famille nouvelle version

Passée d'un régime de simple déclaration à un régime d'autorisation accordée par l'Éducation nationale, l'instruction en famille suscite en cette rentrée 2022 de vives inquiétudes chez les parents concernés. En cause notamment : une proportion importante de refus dans certaines académies. Des ordonnances du juge des référés ont suspendu de nombreuses décisions administratives et esquissé les contours de ce qui peut être exigé ou non des familles.

"Certains font une croix sur un choix de vie, beaucoup de gens s'organisent pour partir à l'étranger, d'autres vont entrer en désobéissance civile." Walerian Koscinski, représentant de l'association Les Enfants d'abord, qui regroupe les familles de plus de 4.500 enfants instruits à la maison, ne décolère pas après que de nombreuses demandes d'autorisation d'instruction en famille (IEF) ont été refusées ces derniers mois.

C'est que l'IEF connaît en cette rentrée 2022 un tournant historique. Depuis 1882, l'instruction obligatoire en France pouvait être donnée soit dans un établissement public ou privé, soit dans la famille. Cette dernière modalité revêtant la simple forme d'une déclaration à la mairie et au rectorat, ceux-ci se chargeant d'en contrôler le bon déroulement.

Il y a un an, l'article 49 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République bouleversait cet équilibre. L'instruction obligatoire est désormais donnée dans les seuls établissements scolaires. Et ce n'est que "par dérogation" et "sur autorisation" de la direction académique qu'elle peut être dispensée dans la famille.

"Non" très massif

Pour obtenir cette autorisation, les parents ne peuvent invoquer que quatre motifs :

  • l'état de santé ou le handicap de l'enfant ;
  • la pratique d'activités sportives ou artistiques intensive ;
  • l'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;
  • l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif et à condition de justifier de la capacité de la personne chargée d'instruire l'enfant à assurer cette instruction dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant.

C'est ce quatrième motif qui, en cette rentrée 2022, date d'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, cristallise toutes les tensions.

Interrogé par la députée de l'Indre-et-Loire Fabienne Colboc le 2 août 2022 devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, a reconnu que si les trois premiers motifs ne posaient pas de difficultés, "le quatrième motif suscite des incompréhensions". Et de nombreux refus, puisqu'à l'échelle nationale près d'une demande sur deux (47%) est rejetée. De plus, ces refus se concentrent sur quelques académies. "Nous péchons au niveau du ministère car il y a des écarts très forts, des contrastes très forts entre académies et départements quant aux réponses qui sont fournies, a déploré le ministre de l'Éducation nationale. Dans certains départements, c'est un non très massif, dans d'autres départements, les services académiques fournissent des réponses plus ouvertes. Nous devons absolument équilibrer les choses à l'échelle du pays pour éviter ces écarts."

Si Pap Ndiaye ne désigne pas les recteurs les plus réfractaires à l'IEF, Walerian Koscinski pointe du doigt l'académie de Toulouse. "Soixante-quinze recours contre des décisions de refus sont actuellement pendants devant le tribunal administratif de Toulouse", précise cet ancien journaliste qui a mis sa carrière entre parenthèses pour instruire ses enfants à la maison. L'académie de Toulouse n'est pas seule dans le collimateur des défenseurs de l'IEF. Dans un courrier adressé au ministre de l'Éducation nationale le 19 août 2022, un collectif réunissant vingt-deux associations cite l'académie de Dijon.

Capacité d'instruire

Ces refus ont un mérite immédiat : celui d'avoir porté de nombreux cas devant le juge des référés dans le but, pour les familles qui se sont vu opposer un refus, de suspendre les décisions de l'Éducation nationale. Et si ces référés ne tranchent pas le litige sur le fond, elles esquissent néanmoins les contours de ce que les recteurs seraient ou non en droit de demander aux familles au titre du quatrième motif.

Sur la capacité de la personne chargée d'instruire l'enfant à assurer cette instruction dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant, l'ordonnance du tribunal administratif de Versailles (16 août 2022, n°2205496) estime, pour suspendre la décision de refus de l'académie, que celle-ci est entachée d’une erreur d’appréciation de nature à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité eu égard notamment à la circonstance que l’instruction de l'enfant doit être assurée par sa grand-mère, professeur des écoles à la retraite. Le TA de Grenoble (30 août 2022, n°2205300) met pour sa part en avant le fait que la personne chargée de l’instruction de l'enfant présente la capacité d’instruire, dès lors qu’elle est titulaire d’un diplôme de l’École polytechnique ainsi que d’un doctorat. Enfin, le TA de Toulouse (26 août 2022, n°2204434) retient que les personnes chargées de l’instruction d'un enfant présentent la capacité d’instruire, le père étant titulaire du baccalauréat et d’un CQPM (certificat de qualification paritaire de la métallurgie) dans l’aéronautique et sa mère titulaire d’un brevet professionnel en coiffure, mais aussi le fait que ces qualifications ont permis aux deux frères de l'enfant d’acquérir les enseignements attendus et d’obtenir des contrôles satisfaisants. Pour le juge, les parents sont bien "en mesure de permettre à [leur enfant] d’acquérir le socle commun de connaissance, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation". On le voit, différents types et niveaux de diplômes peuvent attester de la capacité d'instruire, de même que l'expérience préalablement acquise à travers l'instruction en famille d'autres enfants.

Deux critères

Sur la situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, le TA de Grenoble, pour ordonner la suspension d'une décision de refus, met en avant un projet pédagogique élaboré en fonction de la situation propre à l'enfant "qui comprend les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie attendus pour un enfant de trois ans et qui organise son temps du travail et ses activités en fonction de ses capacités et de son rythme d’apprentissage".

In fine, le juge a estimé qu'il n'existait que deux critères sur lesquels les autorités administratives compétentes pouvaient fonder leur décision : la capacité d'instruire et l'existence d'un projet pédagogique comprenant les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie attendus pour l'enfant. Certaines décisions vont jusqu'à préciser que "la loi n’a pas conditionné l’existence d’une situation propre à l’enfant à la démonstration de l’impossibilité de la prise en charge de l’enfant par l’institution scolaire". Dans son refus, une commission académique avait en effet retenu que "les modalités d’instruction présentées dans le projet éducatif sont prises en compte dans le cadre d’une scolarisation au même titre que les besoins affectifs, émotionnels, physiologiques et cognitifs". Autrement dit, les parents peuvent faire valoir leur droit à instruire leur enfant en famille, y compris quand l'enfant a la possibilité d'être inscrit dans une école et que ses besoins peuvent y être pris en compte.

Les jugements au fond de ces affaires confirmeront-ils ces premières ébauches ? C'est ce qu'espèrent les défenseurs de l'instruction en famille.