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La dévitalisation des villes moyennes : un phénomène occidental

La France n'est pas un cas isolé face à la dévitalisation des centres de villes petites et moyennes : le phénomène est partagé par de nombreux pays, que ce soit le Canada, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l'Allemagne ou le Japon. Car il est à la conjonction de plusieurs enjeux mondiaux : métropolisation, décroissance, vieillissement de la population, désindustrialisation... C'est ce que montre une étude de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts. Si ces pays se sont longtemps détournés du problème et l'ont même encouragé, ils sont tous, à différents niveaux, engagés dans des politiques de reconquête et de réparation.

Si la France a poussé jusqu’à la caricature l’essor des grandes surfaces en périphérie, la dévitalisation des centres de villes petites et moyennes est un constat partagé par la plupart des pays occidentaux. Le phénomène est en effet à la jonction de plusieurs facteurs : "métropolisation, décroissance, désindustrialisation, vieillissement, réformes territoriales de l’État, mutations commerciales", indique une étude de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts intitulée "Villes petites et moyennes, évolutions et stratégies d’action – comparaison internationale" (il s'agit en réalité de la synthèse d'un travail plus vaste mené en 2018). Cette catégorie de villes - dites aussi intermédiaires en raison de leur rôle de centralité secondaire - "auraient du mal à adapter leurs économies et leurs marchés de l’emploi aux transitions technologiques qui favoriseraient les grandes concentrations urbaines", souligne cette étude qui s’appuie sur une "revue de littérature", puisant dans les exemples du Japon, des États-Unis, du Canada, de la Grande-Bretagne ou encore du Japon.

Que ce soit en Europe ou en Amérique, ces villes ont généralement "un profil plus industriel" (avec une ou deux industries dominantes), et ont donc subi de plein fouet la désindustrialisation quand les grandes villes se sont spécialisées dans "l’économie de la connaissance". Autre point commun : le vieillissement de la population, particulièrement sensible au Japon et en Allemagne. "Au Japon, toutes les capitales de département seront amenées à stagner ou perdre des habitants d’ici 2030", indique l'étude.

Effacement de l'aménagement du territoire

Or qu’on fait les pouvoirs publics ? Plutôt que d'apporter des mesures correctives, ils ont accentué la "périphérisation" tout en renforçant les métropoles vues comme des "locomotives" du développement économique. En France, en Grande-Bretagne ou au Japon, on a assisté à un "effacement des principes de rééquilibrage du développement territorial". Dans le même temps, depuis les années 2000, "les politiques de rationalisation des services publics ont eu des effets négatifs sur l’emploi des villes petites et moyennes". États-nations battus en brèche, nouvelle division internationale du travail : les villes moyennes ont été sacrifiées sur l’autel de la mondialisation des approvisionnements et du New Public Management.

À partir des années 1970, les élus ont les yeux de Chimène pour la grande distribution entraînant le déclin du petit commerce, moins compétitif que les chaînes franchisées qui, elles, s’installent en banlieue où elles trouvent un foncier plus abordable : la Belgique enregistrera ainsi une perte de près de 50% de ses petits commerces entre 1947 et 2015… C’est que les grands centres commerciaux ont aussi été vus comme des "produits financiers spéculatifs", plus rentables que les produits d’immobilier d’entreprise.

En France comme au Japon le manque de maîtrise de l’étalement urbain et le "laisser faire" dans l’attribution des permis de grandes surfaces sont sous le feu des critiques. En Amérique du Nord, c’est plutôt le modèle de société fondé sur la voiture qui est mis en cause. Mais l’Allemagne a, elle, su maintenir une réglementation contraignante pour les grandes surfaces et protectrice des petits commerces. Résultat : elle a préservé un équilibre avec un chiffre d’affaires du commerce qui se répartit équitablement entre périphérie, centre-ville et quartiers (un tiers chacun). En France, la périphérie concentre 62% du chiffre d’affaires du commerce contre 25% en centre-ville et 13% dans les quartiers. "En général, le relâchement dans l’attribution des permis de construire caractérise les contextes où les grands groupes commerciaux promettent la création d’emplois (…) venant compenser la perte d'emplois manufacturiers..." Tout ceci a entraîné une hausse de la vacance commerciale dans 90% des villes moyennes. Et entre 2000 et 2019, le Royaume-Uni a perdu 15.000 enseignes en centre-ville, avec un taux de vacance national oscillant entre 14 et 16%.

Une priorité dans tous les pays étudiés

La situation est devenue telle que la revitalisation des centres-villes – qui se traduit en France avec le plan Action cœur de villes – est aujourd’hui "une priorité dans tous les pays étudiés". "Le souci de juguler l’étalement urbain et l’exurbanisation du commerce est devenu omniprésent", soulignent les auteurs.
Historiquement, quatre phases se sont succédé dans cette prise de conscience. À partir de années 1960, les municipalités ont cherché à faciliter le stationnement pour rendre leur centre plus attractif. Puis elles ont essayé de concurrencer les banlieues ont tentant d’installer leurs propres centres commerciaux en centre-ville. Face à l’échec de ces deux stratégies, elles ont essayé de redonner une "identité" aux centres, ça a été en France la grande époque des rues piétonnes qui, dans de nombreux endroits sont aujourd’hui désertées. Depuis les années 2010, on se veut plus pragmatique et on cherche à voir ce qui marche, en mettant en avant les atouts spécifiques du centre par rapport à la périphérie, en renforçant son identité (c’est notamment une priorité du maire de Libourne, Philippe Buisson). On a cessé de considérer qu’un investissement massif sur une "locomotive" suffisait à revitaliser un centre. L’élaboration d’un "plan local d’action" reposant sur une concertation offre un horizon aux investisseurs. Surtout on voit de plus en plus apparaître des politiques de "resserrement urbain" ("smart downsizing" dans les pays anglo-saxons, "stadtumbau" en ex-Allemagne de l’Est). Au Japon, une politique menée depuis 2014 sous l’égide d’un ministre de la revitalisation régionale permet de limiter la construction ou la réhabilitation de grands équipements publics ou commerciaux en dehors de périmètres prédéfinis avec les municipalités. Mais cette "re-concentration urbaine" s’apparente parfois à une "politique d’austérité spatiale" car elle suppose de concentrer les investissement sur des zones présélectionnées.
L'étude indique aussi que pour de nombreux auteurs, "il n'est pas crédible ni souhaitable que les quartiers commerçants retrouvent leur configuration passée" et qu'il vaut mieux "concentrer les efforts sur la réorientation et le renouvellement des commerces".