La Cour des comptes pointe les failles de la prévention du risque d’inondation en Île-de-France
Alors que les dommages d’une crue centennale sont potentiellement très élevés, la Cour des comptes épingle, dans un rapport rendu public ce 18 novembre, le manque d’objectifs ambitieux et coordonnés des collectivités territoriales d’Île-de-France en faveur de la prévention du risque d'inondation.
Dans un rapport public dévoilé ce 18 novembre, réalisé conjointement avec la chambre régionale des comptes d’Île-de-France, la Cour des comptes s’inquiète d’un risque majeur d’inondation en Île-de-France "dont la gravité est insuffisamment prise en compte par les collectivités locales et perçue par la population".
Le territoire de la métropole francilienne est particulièrement vulnérable à l’aléa des crues. Les dernières inondations d’importance de 2016 et 2018 - qui ont coûté respectivement 1,4 milliard et 150 à 200 millions d’euros - ont servi de piqûre de rappel. Une crue centennale de la Seine analogue à celle de 1910 (8,60 mètres au pont d’Austerlitz) pourrait avoisiner les 13 à 30 milliards d’euros de dommages directs, selon l’estimation de l’OCDE. Pour les seuls dommages assurés, elle serait comprise dans une fourchette de 16 à 28 milliards d’euros d’après la Caisse centrale de réassurance (CCR), ce qui dépasserait le seuil d’appel de la garantie de l’État lui étant accordée, fixé à 2,7 milliards d’euros. Un scénario qui ne prend pas en compte les effets des remontées de nappe et du ruissellement.
Mieux informer sur les inondations par remontées de nappe
La cinétique des crues de la Seine - le plus souvent lente - est aujourd’hui bien identifiée. Les inondations par débordement sont abondamment documentées à travers les plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) ou sur des sites internet dédiés (comme Géorisques ou Cartoviz-les zones d’inondation potentielles). Celles causées par les remontées de nappe et les ruissellements sur des temps plus courts (12 à 24 heures), notamment sur certains affluents de la Seine (grand et petit Morin, Loing), "plus difficiles à appréhender", ont en revanche longtemps été occultées alors qu’elles occasionnent environ le tiers des dommages assurés à l’échelle francilienne.
La Cour recommande donc que l’État diffuse auprès de tous les acteurs (citoyens, associations, entreprises, assureurs, élus, etc.) les informations disponibles sur ce risque, y compris sur les inondations par remontées de nappe, mieux connues depuis peu. Des travaux de modélisation de la nappe dans Paris et la petite couronne, lancés dans le cadre du Papi (programme d'action de prévention des inondations) de la Seine et de la Marne franciliennes, ont notamment été livrés en mai dernier.
Un suivi des actions locales à améliorer
La région Île-de-France est aujourd’hui entièrement couverte par des documents de planification relatifs au risque d’inondation. Toutes les communes situées dans les 16 territoires à risque d’inondation du bassin sont actuellement couvertes par un plan de prévention des risques inondation. Deux stratégies locales de gestion du risque inondation (celle dite "de la métropole francilienne" et celle de Meaux) ont par ailleurs été adoptées ainsi que huit Papi.
Pour améliorer le suivi de l’avancement de ces programmes, la Cour recommande l’ouverture d’une base de données, au plus tard en 2025, compilant les différentes actions et leur état d’achèvement. L’Association des maires de France (AMF) s’y est montrée jusqu’ici réticente, craignant que soient pointées du doigt les collectivités "mauvaises élèves". La Cour invite également à vérifier régulièrement le niveau de perception du risque d’inondation par la population francilienne au moyen d’un indicateur inclus dans ces Papi.
Un risque sous-financé
Le bilan tiré par les acteurs eux-mêmes en 2021 relève la faiblesse des moyens financiers du Papi au regard des enjeux d’une crue centennale. Pour la Cour, la faible mobilisation du fonds de prévention des risques naturels majeurs (dit fonds Barnier) en Île-de-France est révélatrice d’un manque d’engagement des collectivités locales. De 2009 à 2021, le montant cumulé de ses engagements s’est élevé à 65 millions d’euros et celui de ses dépenses à 23 millions d’euros, "soit des niveaux très inférieurs aux dépenses d’autres régions concernées par le risque d’inondation", alors que les dommages potentiels sont bien supérieurs, insiste le rapport.
Les outils de planification locale sont largement en cause. Pour la Cour, les collectivités doivent dimensionner les financements des Papi - qui ont vocation à terme à se substituer à la stratégie locale de gestion du risque d’inondation - en fonction d’objectifs chiffrés de réduction des dommages. Au regard du faible respect par les communes de leurs obligations légale de réaliser des plans communaux de sauvegarde (60% des communes en sont dotées en Île-de-France), elle invite ces Papi à soutenir davantage en ingénierie les communes pour la gestion de crise.
Une gestion morcelée des digues
C’est un autre point de difficulté relevé par la Cour. En Île-de-France, la métropole du Grand Paris (MGP) apparaît désormais comme le principal gestionnaire des digues. À la suite de la loi Maptam de 2014, elle a pris en charge, "avec difficulté", remarque la Cour, la gestion d’environ 120 km de digues et murettes et doit faire face à un important chantier de "remise aux normes". Les souplesses offertes par le législateur ont été utilisées. Ainsi, le département du Val-de-Marne a conservé, par convention avec la métropole, la gestion de son propre réseau de digues tandis que celui des Hauts-de-Seine l’a transférée à la métropole. D’autres acteurs publics ou privés sont propriétaires de digues (départements, communes) ou de terrains d’assiette de systèmes d’endiguement (RATP, SNCF, VNF) et leur domanialité n’est pas toujours déterminée.
La Cour préconise donc de poursuivre sans délai le recensement des systèmes d’endiguement de la métropole du Grand Paris et d'adopter à brève échéance un plan de financement pour leur mise en conformité. Quant au projet de stockage temporaire de La Bassée, conçu à la jonction de la Seine et de l’Yonne, en complément des quatre grands lacs-réservoirs (Yonne, Seine, Marne et Aube), les investissements importants qu’il suppose suscitent également le débat.
Réduire la vulnérabilité de l’habitat
Autre levier de réduction de l’exposition au risque, les actions relatives aux zones d’expansion des crues sont "prometteuses", selon le rapport, mais "lentes et difficiles à réaliser, notamment en raison de la nécessaire concertation avec les agriculteurs". La Cour table également sur la réduction de la vulnérabilité de l’habitat, qu’elle appelle à renforcer particulièrement dans le contexte des nouveaux schémas de cohérence territoriale (Scot) et de leur mise en œuvre dans les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi). L’efficacité des PPRI à réglementer le développement de l’urbanisation en zone inondable s’est en effet révélée "limitée en pratique", constate la Cour. Des avancées sont en revanche à relever sur la réduction de la vulnérabilité des réseaux, mais le degré de préparation des opérateurs et des autorités organisatrices reste "très inégal" et des investissements majeurs doivent là encore être réalisés.
Défaut de pilotage
L’appui à la prévention du risque d’inondation en Île-de-France passe, selon la Cour, par un pilotage efficace d’une stratégie de gestion durable de la Seine à l’échelle du bassin. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. C’était certes l’ambition du plan Seine 2007-2013. Force est de constater qu'"il n’a pas entraîné l’adhésion effective des différentes parties prenantes, notamment des régions (hormis celle du Grand Est), à une vision commune du fleuve et à des objectifs partagés - contrairement aux plans Loire et Rhône-Saône", relève la Cour. Et la démarche n’a pas été renouvelée en 2014. L’échec du plan Seine reflète ainsi toute la difficulté de fédérer les acteurs territoriaux en amont et en aval de la métropole francilienne autour des questions de prévention des inondations. Dans ce contexte, la Cour propose in fine de placer le délégué à l’aménagement de la Vallée de la Seine sous l’autorité du préfet coordonnateur de bassin.
Plusieurs collectivités ont fait part à la Cour de leurs réactions aux conclusions du rapport. Le président de l’établissement public territorial de bassin Seine Grands Lacs, Patrick Ollier, a notamment insisté sur la préparation d’un second Papi pour la période 2023-2029 traduisant "un renforcement d’ambition, y compris sur le renforcement de la vulnérabilité". Sous la casquette de président de la MGP, il a défendu "une prise en charge des systèmes d'endiguement en un temps record".