La Cour des comptes appelle à bûcher sur la trajectoire financière de l’ONF pour préserver la forêt publique

L’Office national des forêts (ONF) doit perpétuer ses missions historiques et assurer une gestion durable de la forêt dans un contexte de désordres climatiques qui implique de réviser les modèles jusque-là adoptés. Dans un rapport thématique dédié à l’établissement au défi de la transition écologique, la Cour des comptes met en évidence une soutenabilité financière fragile, dépendante des cours du bois mais aussi du soutien croissant de l’État, avec des tensions sur les ressources humaines, qui nécessite de prioriser les objectifs dans le prochain contrat pluriannuel et de préciser les moyens associés.

"En l’état actuel de ses capacités, financières et humaines, l’Office national des forêts (ONF) ne sera pas en mesure de répondre seul aux enjeux de la transition écologique, notamment ceux liés au changement climatique, sans une aide pérenne de l’État ou d’autres financements encore à trouver", et ce compte tenu du "statu quo" sur la contribution des collectivités au financement du régime forestier, a déclaré Pierre Moscovici, premier président de l'institution, en présentant à la presse, ce 19 septembre, les conclusions du rapport consacré à l’ONF et au défi de la transition écologique. 

Ce rapport d'initiative citoyenne, qui intervient dans le prolongement de son enquête sur "la structuration de la filière forêt-bois" réalisée en 2020, suit également les réflexions sur la gestion durable de la forêt métropolitaine, objet d’un chapitre du dernier rapport annuel de l'institution. Au nombre de trois, les recommandations qui l'accompagnent "sont peu nombreuses mais concernent des sujets stratégiques", pour l’ONF, et "plus largement, pour ce bien commun que sont nos forêts publiques", a relevé Pierre Moscovici dans son allocution. 

L’établissement qui gère 25% de la surface forestière de métropole, est doté d’un budget de plus de 900 millions d’euros et d’un effectif de 8.043 agents fin 2023. 2,9 millions d’hectares appartenant à d’autres propriétaires forestiers publics que l’Etat, notamment des collectivités territoriales, représentent environ les deux tiers des surfaces forestières dont la gestion est assurée par l’ONF dans le cadre du régime forestier. 

Des forêts publiques vulnérables

25.000 hectares de forêt domaniale et autant de forêt des collectivités ont été détruits entre 2018 et 2021. De fait, les forêts subissent de plein fouet les effets des désordres climatiques, et souffrent de sécheresses répétées, d’une moindre croissance des arbres, d’attaques parasitaires (scolytes) et d’incendies. Avec des conséquences importantes pour les propriétaires forestiers publics et l’ONF, confrontés à la fois à une baisse des volumes annuels de bois à vendre - de 19% en forêt domaniale et de 4% dans les autres forêts publiques depuis 2017 -, ainsi qu’à un effort de reboisement sans précédent - et parfois contesté -, soutenu par l’État dans le cadre du plan de relance et de France 2030.

"Poser la question de la capacité de l’ONF à faire face à la transition écologique est donc très pertinent", remarque Pierre Moscovici. Les défis à relever par l’établissement sont nombreux et complexes, et pas uniquement financiers. "L’ONF doit aussi rendre les peuplements forestiers plus résistants. Pour cela, il doit trouver de nouvelles essences, adapter ses modes d’intervention en forêt et réduire au maximum les dégâts provoqués par le gibier, notamment sur les jeunes arbres. Il doit aussi trouver des plants disponibles, et la main-d’œuvre capable d’en assurer la plantation", développe le plus haut magistrat de la rue Cambon. 

Un contexte de grande incertitude

Une vraie gageure d’autant que la gestion forestière s’effectue désormais dans l’incertitude. "Jusqu’à la fin des années 2010, la planification des actions à mener dans une forêt, comme des coupes ou, au contraire, l’absence d’intervention, pouvait encore être réalisée sur 15 à 20 ans. Mais cela n’est plus possible aujourd’hui. C’est trop long, c’est inadapté aux évolutions plus rapides et moins prévisibles qu’auparavant des forêts". C’est pourquoi l’ONF s’est engagé, en lien avec ses tutelles et la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR), dans un processus "non encore abouti", note la Cour, pour faire évoluer les documents de gestion et les rendre "plus agiles, plus adaptés à ces enjeux".

L’établissement expérimente aussi le concept de "forêt mosaïque" par la diversification des essences ou des modes de sylviculture. Le changement climatique a également remis en lumière les "services environnementaux" rendus par les forêts. À l’inverse de la sauvegarde de la biodiversité, enjeu identifié de longue date sur le terrain, la contribution des forêts publiques au cycle du carbone et à sa valorisation "ne fait pas encore l’objet de déclinaisons opérationnelles dans la gestion de l’ONF", faute de connaissances suffisantes. 

L’ONF moins dans le rouge

C’est le message positif de la Cour : "La situation financière de l’ONF est en cours d’amélioration", notamment sous l’effet conjoncturel de la hausse du cours du bois. Les recettes tirées de la vente de bois domaniaux (40% de son chiffre d’affaires) ont contribué à réduire l’endettement de l’établissement à 271,3 millions d’euros fin 2023, après un pic à près de 400 millions d’euros en 2020 et 2021. Une dynamique également due à l’augmentation des subventions de l’État pour le régime forestier des autres forêts publiques - le versement compensateur a été porté à 147,9 millions d’euros en 2023 pour absorber une partie de l’insuffisance de couverture des charges liées aux forêts des collectivités - et à un soutien accru de l’Etat aux missions d’intérêt général de l’ONF, historiquement déficitaires (passant de 29,44 millions en 2017 à 67,24 millions d’euros en 2023). Ces hausses ne suffisent cependant pas à couvrir l’ensemble des charges supportées par l’établissement, et les missions d’intérêt général de préservation "restent complexes à suivre et à piloter". 

La Cour recommande tout d’abord "de fiabiliser l’estimation des coûts affectés aux missions d’intérêt général". Les Sages questionnent aussi les réductions d’effectifs (-12,3% depuis 2013), autre levier pour contrer un niveau d’endettement élevé, au point que "les moyens humains de l’établissement apparaissent désormais insuffisants pour répondre aux missions croissantes qui lui sont assignées". Le nombre d’agents nécessaires et leur répartition par statut et compétences – entre fonctionnaires, agents de droit privé et ouvriers forestiers – mériterait d’être "documentés", alors que des tensions sont notamment apparues sur le marché des emplois forestiers. 

Clarifier les critères requis par le régime forestier

C’est l’objet de la deuxième recommandation des magistrats qui intéresse particulièrement les collectivités. "La soutenabilité financière de l’ONF reste fragile", martèle la Cour. Et certaines stratégies engagées doivent faire l’objet d’une attention particulière. À commencer par l’extension du régime forestier (+215.000 hectares d’ici fin 2025) poursuivie dans le contrat État-ONF, et pas totalement financée à ce jour. Concrètement, elle est estimée à 70 agents et à 7 millions d’euros supplémentaires par tranche de 100.000 hectares. Une question sensible, l’Etat ayant renoncé à augmenter la contribution des communes forestières pour ne pas rompre la dynamique de partenariat ONF-FNCOFOR.

La couverture des charges associées à l’extension du régime forestier "reste donc, en l’état, tributaire de l’État et des capacités de l’ONF à redéployer ses effectifs", remarque la Cour, qui invite à "clarifier les critères requis pour bénéficier du régime forestier" (surfaces, potentialités, enjeux, etc.), et ce "d’autant plus que les surfaces à rattacher sont le plus souvent situées dans des régions à faibles potentialités forestières et contribueront donc à la marge à son financement". 

Des contrats d’approvisionnement pas totalement maîtrisés

Également dans le viseur de la Rue Cambon les contrats d’approvisionnement qui s’inscrivent depuis 2012 dans une dynamique de croissance. Pour amortir les effets des fluctuations des cours, assurer un débouché pour les bois issus des forêts publiques et favoriser le maintien des entreprises locales de transformation (sciages, panneaux, papier), l’État, l’ONF et la FNCOFOR se sont accordés depuis 2012 sur un objectif de développement des contrats d’approvisionnement, porté à 75% des volumes de bois domaniaux et à 35% des volumes de bois issus des autres forêts publiques d’ici 2025. "Cet objectif est en passe d’être atteint (64,6% en forêt domaniale et 32,9% en forêt des collectivités en 2023) mais plus sous l’effet de la baisse des volumes de bois disponibles que d’une croissance de la demande", souligne le rapport. Des paramètres essentiels "ne sont pas maîtrisés", que ce soit le prix des bois vendus ou les coûts de production, note la Cour, qui souligne que l'intérêt financier pour l’établissement "reste mal évalué". 

D’autres financements encore à trouver

Le rythme de renouvellement annuel en forêt domaniale devrait passer de 12.000 ha/an à 21.000 ha/an jusqu’en 2050. La moitié devra être reconstituée par plantation, contre un quart aujourd’hui. Le coût des reboisements pourrait atteindre entre 100 et 120 millions d’euros par an pour les seules forêts domaniales (contre 44,2 millions aujourd’hui). Celui des replantations en forêts des collectivités atteindrait également environ 120 millions annuellement. La Cour avance ces chiffres avec prudence car les prévisions de risques et de dépérissements "doivent être affinés et consolidés". Une certitude : avec son schéma de financement, l’ONF ne sera pas en mesure de répondre au renouvellement des forêts publiques à cet horizon. C’est tout le modèle économique fondé sur le principe historique voulant que "le bois paie la forêt" qui est à repenser.

"Sans diversification de ses sources de financement, l’établissement restera tributaire d’un appui renforcé de l’État", résume la Cour. Et les autres pistes sont bien fragiles. Le paiement des services environnementaux forestiers pourrait être envisagé. Mais la Cour a constaté que ces paiements demeuraient à mettre en œuvre bien que leur développement soit prévu par la stratégie nationale de la biodiversité 2030. En l’état, ces services génèrent plus de charges que de ressources pour l’ONF. Quant à augmenter la contribution des collectivités au financement du régime forestier : "Cela n’est pas prévu, au moins à court terme, le statu quo est préféré aujourd’hui par l’État et les communes forestières", balaye Pierre Moscovici. La situation dégradée des finances publiques appelle "à une priorisation des objectifs assignés à l’établissement dans son futur contrat d’objectifs [qui s’appliquera à compter de 2026] et à l’adaptation de ses moyens humains et financiers afin qu’il puisse y répondre", appuie la Cour dans une dernière recommandation.