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Coopération transfrontalière - La Commission cherche à soulager les Eurorégions de leurs tracas

Recrutement de personnel compliqué, délais prohibitifs, malentendus comptables... Bruxelles veut faire adopter de nouvelles règles pour huiler les rouages de la coopération transfrontalière. Voici en avant-première l'essentiel des mesures.

L'Etat, éternel empêcheur de tourner en rond. Qu'il s'agisse de la gestion des fonds structurels ou de la coopération transfrontalière, la complainte des responsables locaux demeure la même. Dans ce dernier domaine, la Commission va tenter de faciliter la vie des régions réunies en "Groupement européen de coopération transfrontalière" (Gect). Une dénomination très administrative qui recèle en réalité des projets très concrets comme la réalisation d'une ligne de tramway entre Strasbourg et Kehl, ou la création d'un Master en droit européen commun aux universités de Toulouse et Barcelone.
Grâce aux Gect, les territoires souhaitant travailler ensemble peuvent se doter de moyens financiers communs, recruter du personnel et prendre des décisions collectives. "L'entité est capable de gérer seule le budget et il y a beaucoup d'avantages. Il est par exemple plus simple d'apposer une seule signature plutôt que de devoir en récolter 4 si le Gect comprend 4 régions", résume Alfonso Alcolea, administrateur au Comité des régions. C'est aussi un bon levier pour les municipalités dépourvues des capacités administratives nécessaires à leur développement économique. Pour les 160 petites communes rurales portugaises et espagnoles regroupées au sein de l'Eurorégion Duero Douro, le Gect prend tout son sens.

Système à la carte

Mais les promesses d'efficacité ne sont pas tenues. A l'issue d'une consultation réalisée en 2010, le Comité des régions avait dressé l'inventaire des grandes difficultés rencontrées par les architectes des Gect. Brouillard dans le régime de sécurité sociale des salariés, autorisations des administrations nationales longues à venir, conflit dans la prise en charge des risques financiers en cas de dette…
Dans son projet de règlement qu'EurActiv.fr s'est procuré, la Commission européenne tente de répondre à ces doléances, en assouplissant notamment les contraintes qui pèsent sur le personnel. Bruxelles propose un système à la carte où les employés devraient pouvoir choisir entre le régime du pays où le Gect a élu domicile, ou bien conserver le système de leur pays d'origine, ou encore opter pour celui du territoire où ils exercent leurs fonctions.
La première voie, - la seule qui prévale aujourd'hui -, est à l'origine de situations ubuesques, où il n'est pas rare de voir un employé espagnol en poste à Barcelone cotiser et payer ses impôts en France tout en étant traqué par le fisc de son propre pays. Une double imposition en somme, pourtant interdite par une convention bilatérale entre Paris et Madrid.
La coopération de part et d'autre des frontières n'existerait pas sans la volonté politique des élus, mais les obstacles juridiques refroidissent plus d'un enthousiaste. Les négociations entre la Pologne et la République tchèque sur la création d'une Eurorégion ont par exemple longtemps achoppé sur le partage des responsabilités financières. La Commission tranche donc le débat en faveur de l'application de la "responsabilité limitée" en cas de dette, chaque fois que le droit national de l'un des territoires membres du Gect prévoit ce régime.
En contrepartie, les Etats membres peuvent exiger de l'Eurorégion qu'elle prenne "une assurance appropriée", écrit la Commission.

Posture surprenante

Sans le feu vert des autorités nationales, aucun Gect ne peut voir le jour. Si la procédure ne peut excéder trois mois, l'expérience locale montre qu'elle s'éternise, parfois jusqu'à un an. Un délai qui nourrit le découragement des équipes et retarde la mise en œuvre des projets.
Informée du problème, la Commission adopte une posture surprenante, en apparence indulgente : la contrainte des trois mois ayant été rarement respectée, "la période devrait par conséquent être étendue à six mois". Voilà pour le côté doux de l'éponge, l'autre face est plus rugueuse. Au-delà des 6 mois, toute absence de réponse des Etats sera assimilée à une autorisation.
La réforme du statut des Eurorégions donnera peut-être l'occasion à la France de leur réserver un meilleur accueil. Pour Philippe Mestre, directeur de l'Eurorégion Pyrénées-Méditerranée, "la France commet une entrave au règlement des Gect et n'a pas facilité sa mise en œuvre". Une attitude qui, selon lui, mériterait un recours en justice. Le pays fait encore une fois figure d'exception : plutôt que de reconnaître les Gect comme une nouvelle entité à part entière, la France a préféré leur confier le statut de syndicat mixte… "On crée un Eurocampus pour les étudiants et l'Etat assimile notre activité à du ramassage de poubelles", se désole Philippe Mestre.

"Nous sommes un ovni"

Le mot peut faire sourire, mais le modèle retenu par la France est loin d'être anodin. Première incidence, toute Eurorégion comprenant un partenaire français est tenue d'enregistrer son siège en France. S'ensuivent des tracasseries comptables, où le Trésor public se déclare inapte à régler les factures espagnoles présentées par les partenaires de l'Eurorégion Pyrénées-Méditerranée. Même les tickets de péage non traduits sont retoqués.
Plutôt que d'appliquer les règles françaises, les membres du Gect "pourraient être soumis à une comptabilité qui leur est propre", estime Philippe Mestre, qui avoue consacrer 80% de son temps à la paperasse, contre 20% pour les projets.
L'outil est certes jeune, mais la déclinaison très nationale choisie par la France ne facilite pas sa compréhension, ni sa diffusion. "Quand j'ai dit à l'Urssaf et au Trésor public que nous avions créé un Gect, personne ne savait ce que c'était. Nous sommes un ovni dans le paysage administratif français", observe le directeur de l'Eurorégion Pyrénées-Méditerranée.
L'Etat n'est pas le seul à devoir évoluer. A l'échelle de l'UE, la coopération territoriale est le troisième pilier de la politique régionale, mais l'enveloppe se limite à 2,5% des fonds accordés aux 27 (900 millions d'euros en France entre 2007 et 2013). D'autres programmes (Erasmus, Pierre et Marie Curie…) imposent des critères souvent trop restrictifs pour pouvoir financer les actions des Eurorégions à vocation éducative (double-diplôme par exemple) ou de recherche et d'innovation.
Pour certains, la solution consisterait à affecter aux Eurorégions un pourcentage minimum de l'enveloppe nationale de fonds structurels remise à chaque Etat. Dans son projet pour 2014-2020, la Commission européenne a accepté d'accorder cette faveur aux villes, mais n'a pas osé faire coup double avec les Eurorégions.