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Social - La CJUE autorise une obligation de résidence pour les bénéficiaires du droit d'asile, mais sous de strictes conditions

Dans un arrêt du 1er mars 2016, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) prend une position qui pourrait avoir des conséquences importantes dans la répartition territoriale de l'installation et de la prise en charge des bénéficiaires d'une protection internationale au titre du droit d'asile. Même si le cas traité par la Cour - concernant l'Allemagne - est un peu différent, on peut penser, par exemple, à la répartition des mineurs isolés étrangers (MIE) ou à celle des demandeurs d'asile.

Deux dispositions contradictoires

En l'espèce, la CJUE se prononce sur un renvoi préjudiciel dont elle était saisie par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale allemande, l'équivalent du Conseil d'Etat). Dans l'affaire en cause, la question posée porte sur la compatibilité entre deux dispositions juridiques. D'une part, la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, faisant obligation aux Etats membres de permettre aux personnes auxquelles ils ont octroyé le statut de bénéficiaire de la protection subsidiaire de circuler librement sur leur territoire, dans les mêmes conditions que celles réservées aux autres personnes non-citoyennes de l'UE qui y résident légalement.
D'autre part, une disposition du droit allemand prévoyant que, lorsque les bénéficiaires de la protection subsidiaire perçoivent des prestations sociales, leur permis de séjour doit être assorti d'une obligation de résider dans un lieu déterminé (autrement dit une obligation de résidence). Cette obligation est justifiée à la fois par le souci d'une répartition équitable de la charge financière (l'essentiel des dépenses étant supporté par les Länder) et par l'objectif de faciliter l'intégration des personnes non citoyennes de l'UE dans la société allemande, en évitant les concentrations.

Non à la préoccupation de l'équité budgétaire, oui à celle de l'intégration

La réponse de la CJUE n'est pas univoque. Ainsi, elle rappelle que la directive impose aux Etats membres de permettre aux personnes auxquelles ils ont octroyé le statut de bénéficiaire de la protection subsidiaire non seulement de pouvoir se déplacer librement sur leur territoire, mais aussi de pouvoir y choisir le lieu de leur résidence. Dans ces conditions, une obligation de résidence serait contraire à la directive. Ceci vaut tout autant lorsqu'il s'agit - comme dans le cas de l'espèce - de bénéficiaires de la protection subsidiaire percevant des aides sociales. Dans ce cas, il s'agirait en effet d'une restriction à l'accès de ces bénéficiaires à la protection sociale, prévu par le droit de l'Union.
Mais cette position claire et ferme est assortie d'un "en principe", qui en atténue quelque peu la portée. En effet, si elle exclut sans ambiguïté une obligation de résidence qui aurait pour seule finalité d'assurer une répartition équitable des charges liées aux aides sociales, la position de la CJUE n'est pas la même s'il s'agit d'assurer une meilleure intégration sociale des intéressés. En effet, la Cour estime que "la directive ne s'oppose pas à ce que les bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire soient soumis à une obligation de résidence en vue de promouvoir leur intégration, et ce, même si cette obligation ne s'applique pas à d'autres personnes non citoyennes de l'UE résidant légalement en Allemagne".
Pour éviter les utilisations abusives de ce motif, la CJUE précise que la juridiction allemande devra vérifier si les bénéficiaires de la protection subsidiaire percevant l'aide sociale sont davantage confrontés à des difficultés d'intégration que les autres personnes non citoyennes de l'UE résidant légalement en Allemagne et percevant l'aide sociale. Dans l'affirmative, une obligation de résidence pourra être envisagée, afin de réduire cet écart de traitement et de favoriser l'intégration des intéressés.

Jean-Noël Escudié / PCA
 

Références : Cour de justice de l'Union européenne, arrêt conjoint C-443/14 et C-444/14 du 1er mars 2016, Kreis Warendorf/Ibrahim Alo et Amira Osso c/Region Hannover.