Joigny : conjuguer insertion professionnelle et transition alimentaire (89)

Au cœur de l’Yonne, Joigny fut, dans les années 2000, l’une des communes de France les plus touchées par la révision générale des politiques publiques (RGPP). Après avoir assisté à la fermeture de son service de chirurgie et de sa maternité, la ville a vu partir son commissariat, ses deux tribunaux puis l’armée, perdant près de 500 emplois publics et 1 000 à 1 200 habitants. Après une décennie qualifiée de « meurtrière » par le maire Nicolas Soret lors d’une audition au Sénat, la commune se réinvente. Renouvellement urbain à la Madeleine, quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), installation d’un pôle de formations sur l’ex-site militaire, revitalisation du centre-ville… labellisée Petite ville de demain, Joigny a amorcé sa mue.

Mais les défis restent majeurs. Selon l’Insee, le taux de chômage dans la commune avoisinait 24 % en 2019, et près de 33 % pour le quartier de la Madeleine. Les Jardins du coteau sont ainsi nés d’une triple ambition, explique Nicolas Soret : « créer une structure d’insertion par l’activité économique permettant aux plus fragiles de remettre les pieds sur terre ; relocaliser l’alimentation, en agriculture biologique, pour la restauration collective et notamment les cantines scolaires ; trouver une utilité à des terrains inconstructibles, soumis au risque d’inondation ou de ruissellement, préemptés par la mairie ».

La réflexion engagée, la commune identifie deux parcelles de 2,4 hectares en lisière du quartier de la Madeleine. Elle candidate à deux appels à projet nationaux – Quartiers fertiles de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et Inclusion et ruralité de la Mutualité sociale agricole (MSA) associée au ministère du Travail – et est lauréate de chacun début 2021. Pour Nicolas Soret, ce sont les financements associés à ces appels à projets « qui ont tout rendu possible ».

Tremplin vers l’emploi

En juin 2021, l’association Les Serres des Prés, filiale du groupe d’insertion Vitamine T, est choisie par Joigny pour porter le projet. Étude des sols, nivellement, installation d’un système d’irrigation, achat de matériel… « Après les travaux d’installation et l’obtention de l’agrément chantier d’insertion, la production, sur les terrains mis à disposition par la ville, démarre en mars 2022 », explique Alix Bell, cheffe de projet aux Jardins du coteau. Accompagnés par une cheffe de culture et une conseillère en insertion socioprofessionnelle à mi-temps, ils sont au départ six salariés en insertion à faire leurs premiers semis. Un an plus tard, ils sont neuf, dont deux originaires de la Madeleine – quatre femmes et cinq hommes âgés de 24 à 61 ans. Ils devraient être 16 en 2024, 20 à 25 en 2025.

Jeunes sans qualifications, bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), seniors en difficulté, réfugiés… tous sont demandeurs d’emploi du Jovinien, envoyés par un travailleur social. Ils sont en CDD d’insertion de 4 mois, à 28 heures hebdomadaires, renouvelable pour 24 mois maximum.

« L’objectif, c’est de les accompagner socialement pour lever les freins à l’emploi - financiers, psychologiques, liés à la mobilité, l’âge, l’état de santé… De construire avec eux un projet professionnel, pas forcément dans le maraîchage biologique ! Oui, récolter les fruits et légumes que l’on a fait pousser de ses mains aide à reprendre confiance en soi. Mais l’idée, c’est de préparer une sortie positive, une formation ou un emploi, quels qu’ils soient », souligne Alix Bell. En un an, une seule personne n’a pas accroché. Une autre a déjà pris son envol : formation puis CDI intérimaire dans la logistique.

Du bio dans les assiettes

Depuis les premières récoltes, en juillet dernier, les Jardins du coteau ont un petit marché sur site tous les mardis matin - l’occasion de prendre pied à la Madeleine. Il sera complété par une journée portes ouvertes le samedi 13 mai de 10 heures à 16 heures et des mises en relation pour que les salariés des Jardins participent à des ateliers cuisine organisés dans le quartier.« Hors marché sur site, on livre une Amap [association pour le maintien d’une agriculture paysanne de proximité], la cantine d’un lycée d’enseignement adapté, on travaille avec les Restos du cœur… et on développe les partenariats pour, dans quelques mois, pouvoir livrer les cantines scolaires de la ville », ajoute Alix Bell. Nicolas Soret sourit. C’est bien là l’un des objectifs pluriels des Jardins du coteau. Il faudra certes attendre encore un peu – question de volume notamment. « Aux Jardins, 1,5 hectare est déjà en culture, dont 770 m2 de serres. La totalité des 2,4 hectares de la parcelle devraient être en culture d’ici fin 2023. Et la ville travaille sur la mise à disposition de nouveaux terrains, pour atteindre environ 4 hectares, et produire ainsi quelque 25 tonnes de fruits et légumes. »