Jean Castex en opération séduction devant les maires ruraux
Devant les maires ruraux réunis pour leur congrès à Villevallier dans l'Yonne, le 24 septembre, le Premier ministre a fait jouer la fibre locale, rappelant son passé récent d'élu de la montagne. À l'issue du troisième comité interministériel aux ruralités du quinquennat, il a défendu la mise en oeuvre de l'Agenda rural lancé au lendemain de la crise des gilets jaunes. Alors que le programme Petites Villes de demain, l'une des pièces maîtresses de cet agenda, est sur sa lancée, il n'a pas fermé la porte à un dispositif calibré pour les villages : "Villages d'avenir", comme le propose l'AMRF. Mais pour les élus, la résorption des déserts médicaux n'a pas été suffisamment prise en compte. Ils veulent en faire un enjeu de l'élection présidentielle.
"Je sais pour les avoir vécues toutes les difficultés qui sont les vôtres. (…) La seule chose que je regrette c’est d’avoir dû laisser - temporairement je l’espère - ma belle écharpe de maire." En ouvrant le congrès de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), vendredi 24 septembre dans le petit village de Villevallier, dans l’Yonne, le Premier ministre a fait jouer la fibre locale, en comparant les élus aux "hussards noirs de la République, un mélange de l’instit, du curé, du psychologue ou du psychiatre". L’ancien maire de Prades (Pyrénées-Orientales) n’ignore pas qu’il est venu apporter une caution rurale à Emmanuel Macron, secondé par son secrétaire d’État à la Ruralité, Joël Giraud ("Born and raised dans le rural", glisse-t-on, dans son entourage). Même si les deux hommes ont pris le train de l’Agenda rural en marche, puisque c’est Édouard Philippe qui avait lancé ce catalogue de 171 mesures (porté depuis à 181) à Eppe-Sauvage (Nord), lors du congrès des maires ruraux de 2019 (voir notre article du 20 septembre 2019), au lendemain de la crise des gilets jaunes. Deux ans plus tard, une bonne partie du chemin a été parcourue. 93% des mesures seraient déjà réalisées ou en cours de réalisation, assure-t-on à Matignon.
80% des communes rurales en croissance démographique
Conséquence de cet agenda couplé aux effets du Covid, le regard sur la ruralité est en train de changer, comme semblent le démontrer les sondages. "92% de nos concitoyens considèrent la France rurale comme celle qui est la plus agréable à vivre (…). 80% des communes rurales sont aujourd’hui en croissance démographique. Et contrairement à des idées reçues, 85% des personnes qui s’installent en milieu rural ne sont pas des personnes retraitées mais des personnes en activité. Ce sont des indicateurs qui ne trompent pas", a salué le Premier ministre, après avoir présidé le matin même le troisième comité interministériel aux ruralités (CIR) du quinquennat. L’occasion de dresser le bilan de cet Agenda rural dont la mesure la plus symbolique est le changement de définition du rural par l’Insee, dont il ressort par exemple que 30% des emplois industriels se situent en milieu rural. Mais la mesure la plus massive pour les communes rurales est sans doute le programme Petites Villes de demain (PVD) mobilisant 3 milliards d’euros sur la durée du mandat municipal. 1.209 communes sur les 1.600 sont d’ores et déjà labellisées. "Un peu plus du tiers ont moins de 3.500 habitants", a lancé Jean Castex, répondant ainsi au souhait de l’association de créer un dispositif ad hoc pour les villages. Une idée à laquelle il s’est montré ouvert. "Villages d’avenir ? Allons-y, travaillons sur villages d’avenir", a-t-il déclaré à l’adresse de Michel Fournier, le président de l‘AMRF, sur un ton de complicité.
Aménités rurales
Il a aussi rappelé qu’à son arrivée, il s’était présenté comme le "Premier ministre des territoires". Leitmotiv qu’il entend depuis faire entendre dans l’application du plan de relance. À cet égard, les derniers calculs du gouvernement montrent que 8,4 milliards sur les 100 du plan de relance vont directement irriguer les territoires ruraux, notamment à travers les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). C’est bien plus que les 5 qui avaient été comptabilisés l’an dernier. "Nous allons réarmer les territoires par la relance", a-t-il garanti. Quant à l'Agenda rural, il "mérite sans doute, cher président, d’être encore accéléré, amélioré", a-t-il dit à l’adresse de Michel Fournier qui demande à ce qu’il "ne reste pas figé". Le CIR a été l’occasion de lui donner un nouveau souffle. Ainsi du déploiement des "1.000 cafés" porté par le groupe d’économie sociale et solidaire SOS qui, suspendu par la crise, va reprendre. Les 100 premiers ouverts il y a deux ans sont toujours ouverts. 100 cafés supplémentaires vont voir le jour. Le déploiement des maisons France services avance à bon rythme et devrait dépasser les prévisions du président de la République (une par canton). 1.494 ont été labellisées à ce jour, on en attend 2.000 avant la fin de l’année. 80 bus France services sillonnent les territoires et 30 nouveaux vont être labellisés.
L’une des mesures chères à Joël Giraud est le financement de postes de volontaires territoriaux en administration (VTA) pour épauler les petites communes dans le montage de projets. 210 ont été recrutés, 800 le seront l’année prochaine (voir notre article de ce jour).
Plusieurs mesures ont été inscrite dans la loi, comme la prise en comptes des "aménités rurales", c’est-à-dire les bienfaits apportés par les communes rurales au reste du pays. Ainsi, la dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité, créée en 2019, voit, dans le PLF 2022 présenté mercredi 22 septembre, son montant passer de 10 à 20 millions d’euros (voir notre article du 21 septembre 2021). Elle va être étendue aux communes se trouvant dans les parcs naturels régionaux (PNR). Le Premier ministre s’est aussi félicité du financement du service postal universel dans ce même PLF à hauteur de 520 millions d’euros. Mais il a dû aussi faire preuve de pédagogie sur quelques irritants comme les nouvelles dispositions de la loi Climat et Résilience en matière de lutte contre l’artificialisation des sols. Celle-ci augmente "quatre fois plus vite que la population. Sans esprit d’Ayatollah, on peut se dire qu’on peut progresser", a-t-il argué. Il s’agit de "réduire de moitié le rythme de l’artificialisation en dix ans. On est des gens responsables et réalistes".
La santé "grande oubliée" de l'Agenda rural
Alors que la première journée de ce congrès devait être largement consacrée aux déserts médicaux et que beaucoup de maires réclament des mesures plus coercitives sur l’installation de médecins, le Premier ministre a défendu les mesures de l’Agenda rural et du Ségur de la santé. Selon le bilan du CIR, 2.053 assistants médicaux ont été recrutés, permettant de libérer du temps pour les médecins, de même que 160 médecins salariés. "Les médecins salariés seront recrutés uniquement en zone rurale", a assuré le Premier ministre. 1.889 maisons de santé ont été créées. La télémédecine a connu un boom depuis les premiers confinements, avec un rythme actuel d’1,5 million de consultations par mois. Au mois d’octobre, le gouvernement dévoilera son plan lié au "Ségur de l’investissement" dans les hôpitaux de proximité. Il reste que pour Michel Fournier, la santé est la "grande oubliée" de l'Agenda rural. Dans une déclaration commune signée à cette occasion, l'AMRF s'alarme, aux côtés de sept organisations de professionnels de la santé, du fait que "10% de la population française n'a plus de médecin traitant". Les signataires appellent "les candidats à l’élection présidentielle et tous les acteurs, de santé ou non, à s’engager à [leurs] côtés face à l’urgence absolue et la gravité de la situation".