Intelligence artificielle : un impact sur l’emploi encore difficile à mesurer

Le ministère de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique accueillait ce mardi 21 mai un séminaire "Politiques de l’emploi" dédié à l’impact de l’intelligence artificielle. Un thème d’actualité autant qu’un sujet d’études pour les juristes.

Le sujet est d’actualité ; tellement, estime Jean-Emmanuel Ray, professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, que l’on frôle parfois "l’overdose". Mais quel que soit le regard que l’on porte sur l’intelligence artificielle et ses interactions avec le monde du travail, "la révolution de l’espèce est en marche !". À la question - centrale - de savoir s’il s’agit d’une rupture technologique ou bien d’une rupture d’usage, l’universitaire livre un témoignage éclairant : 95% des étudiants utilisent Chat GPT "et y sont déjà acclimatés". Manière de dire qu’aucun retour en arrière n’est raisonnablement envisageable. Reste que l’avènement de l’IA appliquée au domaine du travail et de l’emploi soulève quelques interrogations.

"Jusqu’à présent, l’automatisation visait essentiellement les cols bleus", explique Jean-Emmanuel Ray. "Désormais, cela touche notre cœur de métier car une bonne IA est bien supérieure à un mauvais professeur". En résumé, la question ne serait plus de savoir si l’on est favorable ou pas à l’IA, "il s’agit juste d’une technologie capable du meilleur comme du pire". Le professeur de droit imagine ainsi "qu’il y aura moins de suppressions de postes que de suppressions de tâches", notamment les plus rébarbatives, laissant ainsi davantage de temps aux employés pour "se concentrer sur des tâches plus complexes".

La disparition des tâches fastidieuses ?

Franca Salis-Madinier, membre du Comité économique et social européen (Cese), secrétaire nationale de la CFDT Cadres et membre de la Commission gouvernementale de l'intelligence artificielle, estime pour sa part que les effets de l’IA sur l’emploi ne seront pas uniformes mais dépendront davantage "des secteurs et des statuts". Elle note dans l’Hexagone une certaine réticence, une peur même, "parmi les moins urbains et les moins diplômés" qui va nécessiter beaucoup d’accompagnement et d’acculturation. Et tous les métiers sont concernés ; des tâches seront supprimées et d‘autres transformées ou créées ; et les effets ne seront pas automatiques, prévient la syndicaliste, même si la perspective d’une réduction des tâches longues et fastidieuses reste "un élément positif qui peut renforcer l’intérêt du travail". À l’autre bout du spectre, c’est l’obsolescence accélérée des compétences et l’augmentation des cadences qui sont à craindre, ainsi que le renforcement de la surveillance des salariés dans l’exécution de leurs tâches.

Pour Grégoire Loiseau, professeur de droit à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste du droit social, du droit du numérique et de l’IA, le droit devra jouer son rôle en "adaptant les emplois" en fonction de leurs conditions nouvelles d’exercice : "et il y a une responsabilité immense des entreprises par rapport à ce travail d’adaptation et de formation pour permettre l’évolution des travailleurs dans leurs emplois", en lien avec l’appropriation des outils numériques.

Après l’automatisation des tâches, l’automatisation des idées

Quels pourraient alors être les effets de l’IA sur la création d’emploi ? Céline Antonin, économiste senior à l’OFCE, rappelle que les révolutions industrielles précédentes ont toutes rimé avec "automatisation des tâches". "Là, il y a un effet supplémentaire : c’est l’automatisation des idées ! Et il s’agit d’une rupture historique". Des tâches vont être déplacées de l’humain vers les machines, détruisant ainsi des emplois, alors même que les gains de productivité enregistrés pourraient permettre dans un second temps aux acteurs économiques d’en créer de nouveaux. "Un effet qui se vérifie plutôt jusqu’alors", confirme l’économiste, même si ceux-ci seront - comme cela a été observé à l’occasion de chaque révolution industrielle - décalés dans le temps. En conclusion, "le potentiel de l’IA va se déployer de manière graduelle", estime-t-elle.

Les premières études font apparaître des résultats variables en matière de croissance du PIB induit par un recours plus ou moins généralisé à l’IA. Angelica Salvi Del Pero, économiste à l’OCDE, souligne que l’effet de l’IA sur le monde du travail semble à l’heure actuelle "plutôt neutre", les employeurs adaptant les tâches et les fonctions à l’IA, en prenant notamment en compte les départs en retraite et départs volontaires dans leurs stratégies de déploiement. Quant à la qualité des emplois, si les travailleurs déclarent être plus productifs grâce à l’IA, ils sont aussi 50% à craindre pour leur emploi.