Instruction en famille : les saisines de la médiatrice de l'éducation nationale explosent

Les saisines de la médiatrice de l'éducation nationale relatives à l'instruction en famille ont connu en 2023 une augmentation spectaculaire. Si aucune explication claire n'explique ce phénomène, la fin du régime dérogatoire octroyé à certains enfants à la rentrée prochaine, en septembre 2024, pourrait l'amplifier.

En 2023, les saisines relatives à l'instruction en famille (IEF) reçues par la médiatrice de l'éducation ont été multipliées par dix par rapport à 2022, selon le dernier rapport de l'institution publié le 17 juillet 2024. En substituant au principe de l'instruction obligatoire celui de la scolarisation obligatoire, la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021 a considérablement modifié le paysage de l'IEF. Celle-ci est passée d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation par l'autorité académique exigeant que chaque demande soit appuyée sur des motifs limitativement définis par la loi. Ces nouvelles règles ont entraîné de nombreux refus, lesquels ont, dans un certain nombre de cas, entraîné la saisine de la médiatrice de l'éducation nationale.

Dans le détail, 54% des saisines concernent un refus d'autorisation d'IEF, 15% portent sur l'inscription au Cned (Centre national d'enseignement à distance, dispositif dont peuvent profiter, sous conditions, les enfants instruits en famille) et 11% sur le contrôle pédagogique mené une fois par an par les services académiques. Les autres motifs de saisine relèvent du handicap, de la réglementation, d'un désaccord entre parents ou de la scolarisation après l'IEF.

Les contours "flous" du quatrième motif

En ce qui concerne particulièrement les refus d'autorisation d'IEF, le rapport de la médiatrice souligne que, si les trois premiers motifs de recours (état de santé de l'enfant, pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ou itinérance de la famille) sont suffisamment "explicites" pour constituer un dossier sur la base de pièces "objectivables", les contours du dernier motif "sont plus flous, susceptibles d'interprétations diverses, et à l'origine d'une réelle incompréhension, voire d'une défiance de la part d'un grand nombre de familles". Ce quatrième motif prévoit d'appuyer une demande sur "l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif". C'est sur lui que les saisines ont principalement porté. 

Mais comment expliquer cet afflux soudain lors de la deuxième année de mise en œuvre de la réforme ? Le rapport de la médiatrice n'apporte pas de réponse. Deux éléments peuvent toutefois être mis en avant pour tenter de comprendre. Le premier est juridique. Une décision du Conseil d'État du 13 décembre 2022 a apporté des précisions sur le quatrième motif : "L'autorité administrative, saisie d'une telle demande, contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille et qu'il est justifié, d'une part, que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de cet enfant, d'autre part, de la capacité des personnes chargées de l'instruction de l'enfant à lui permettre d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture […]". Or, si depuis cette décision "des tribunaux ont eu l'occasion de se prononcer au fond", il est également possible que cette clarification ait pu servir aux parents de base juridique pour se tourner vers la médiatrice. 

Fin de la dérogation en 2024

D'un point de vue pratique, il n'est pas impossible qu'après une année 2022 durant laquelle leurs demandes d'autorisation d'IEF ont été refusées en nombre – 37,6 % de refus sur les 5.304 premières demandes effectuées au titre du motif quatre –, les parents se soient mieux organisés pour contester les décisions académiques. D'ailleurs, comme l'admet la médiatrice, "malgré un cadre plus restrictif et la charge que représente la constitution du dossier de demande comme l'ensemble des démarches administratives à réaliser pour l'obtenir, de nombreuses familles continuent à demander l'autorisation d'instruire leurs enfants en famille".

Cet afflux de saisines va-t-il se répéter, voire s'amplifier ? On peut le supposer. Alors que la loi a prévu une dérogation autorisant les enfants régulièrement instruits en famille et positivement contrôlés au cours de l'année scolaire 2021-2022 à poursuivre dans cette voie jusqu'à la rentrée de septembre 2024, "on peut s'attendre à ce que le nombre de dossiers à instruire par les services académiques connaisse une augmentation significative [en 2024], et il est probable qu'il en soit de même des saisines de la médiation", pointe le rapport.

Actuellement, 0,4% des enfants en âge d'être scolarisés – soit environ 50.000 enfants – sont instruits en famille.

› "Une culture du rapport de force" se développe à l'école

Sur un total de 19.102 saisines reçues en 2023 par la médiatrice de l'éducation nationale, 23% émanaient des personnels de l'éducation nationale et 77% des usagers (élèves, parents, étudiants). Si 88% des saisines de ces derniers portent sur l'enseignement public – et en particulier sur le second degré – on remarque sur un an une forte poussée des saisines ayant trait à l'enseignement privé hors contrat (+41%) et à l'enseignement supérieur privé (+40%).

En termes de motifs, 39% des saisines par les usagers concernent l'enseignement et la vie dans l'établissement, 25% les inscriptions et l'orientation, 22% les examens et concours d'entrée dans les écoles, et 14% les questions financières et sociales.

La médiatrice souligne que les saisines fondées sur l'enseignement et la vie dans l'établissement sont passées en première position, avec une très forte progression en 2023 : +19% en un an et un doublement en cinq ans.

"Dans des situations de plus en plus nombreuses, les médiateurs observent une dégradation de la relation entre l'école et les familles. Une culture du rapport de force, aux antipodes de l'alliance éducative nécessaire pour assurer l'accompagnement et la qualité du parcours de l'élève, semble se développer", pointe le rapport.