Île-de-France Mobilités : un rapport inter-inspections ravive les tensions financières

Jugeant dans un nouveau rapport la trajectoire financière d’Île-de-France Mobilités non soutenable, l’inspection générale des finances et l’inspection générale de l'environnement et du développement durable préconisent à leur tour d’augmenter – fortement – les tarifs des usagers et les contributions des collectivités. Suggérant également de stopper tout nouvel investissement, elles se montrent en revanche hostiles à la hausse du versement mobilité et peu favorables à la création de ressources nouvelles, pourtant souhaitées par l’établissement. Un rapport jugé "inquiétant" par l'autorité organisatrice des mobilités francilienne, qui accuse l’administration de minorer ses besoins de financement et insiste sur l’urgence d’une solution pérenne.

"La trajectoire financière d’Île-de-France Mobilités (IdFM) est, en l’état, non soutenable", juge un rapport de l’inspection générale des finances (IGF) et de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), publié ce 20 juin. Sans surprise. C’est déjà ce qu’elles avaient constaté en 2020, et l’on pouvait se douter qu’avec l’impact de la crise sanitaire, la situation ne s’était guère améliorée depuis. Les récentes et nombreuses passes d’armes entre IdFM, qui ne cesse de tirer le signal d’alarme, et l’État en attestaient (voir notre article du 12 octobre 2021), si besoin était. Mais dans la foulée d’assises organisées le 23 janvier dernier par IdFM et l’État (voir notre article du 24 janvier), le ministre Clément Beaune avait néanmoins tenu à demander aux deux inspections une actualisation de leurs travaux. D’aucuns considéraient que la consultation du récent rapport de la Cour des comptes (voir notre article du 17 février 2022) – estimant que "la soutenabilité de la dette d'IDFM au-delà de 2026 ne pourra être assurée sans recettes supplémentaires", et préconisant notamment une hausse des tarifs et des contributions des collectivités – aurait suffi. C’est ce que semble penser François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne et administrateur d’IdFM, qui juge ce nouveau rapport "au mieux inutile, au pire une insulte technocratique à l’égard de ceux mobilisés sur le sujet".

Des recettes "plus dynamiques", mais hypothétiques…

La cause de ce courroux ? Une minoration de ses besoins de financement, accuse IdFM. Aux termes de son rapport, l’administration estime son "besoin de financement complémentaire autour de 500 millions d’euros à court terme, et de l’ordre d’1,5 milliard d’euros à horizon 2031". Loin de l’estimation d’IdFM, qui évalue à 800 millions d’euros les besoins de nouveaux financements en 2024 (voir notre article du 24 janvier), et environ 2,5 milliards d’euros en 2031.

Pourquoi un tel écart ? Les auteurs du rapport parient notamment sur des "recettes plus dynamiques". D’une part, grâce à la hausse du rendement du versement mobilité acquitté par les employeurs franciliens de 11 personnes d’une part – une prévision jugée "très optimiste, visiblement trop", par IdFM. D’autre part, grâce à celle des recettes tarifaires. En l’espèce, l’administration "tient compte d’une revalorisation des tarifs au rythme de l’inflation" pour ses calculs, "contrairement à IdFM qui prévoit un gel complet des tarifs sur 10 ans", est-il précisé dans le rapport. IdFM conteste vertement "l’intégration d’une hausse du passe Navigo, qui n’a pas été négociée avec [elle], ni votée, alors qu’elle relève de sa seule compétence". Elle "refuse absolument des scénarios reposant sur des hausses abracadabrantesques des tarifs […] qui seraient socialement insupportables pour les habitants et écologiquement nuisibles". Le scénario paraît, il est vrai, d’autant plus improbable que le ministère lui-même y semble hostile. Interrogé par l’AFP, un membre du cabinet de Clément Beaune a indiqué que le ministère n’était pas opposé à des hausses de tarifs, sans partager pour autant la proposition de les indexer sur l’inflation ou "d’autres hypothèses beaucoup plus volontaristes". Et de préciser : "Le remède serait pire que le mal. Il ne faudrait pas qu’avec des augmentations tarifaires inconsidérées on en vienne à dissuader l’usage des transports publics." Rappelons que le ministre s’était lui-même déjà prononcé en décembre dernier "contre un passe Navigo qui explose".

… pour autant insuffisantes

Le rapport arrive à la conclusion que même potentiellement surévaluées, les recettes ne suffiront pas à couvrir des dépenses de fonctionnement elles aussi à la hausse, du fait du renchérissement des coûts du réseau existant, de son extension (le Grand Paris Express), d’autres offres nouvelles de transport et du service de la dette. Le rapport souligne que ce dernier se fait particulièrement pesant. "Le rythme des investissements d’IdFM a conduit à une dynamique d’endettement qui risque de devenir insoutenable dans les prochaines années", prévient même le rapport, en pointant par ailleurs "la capacité d’autofinancement limitée" d’IdFM.  

Gagner plus, dépenser moins

Pour "réduire l’impasse de financement", les auteurs du rapport préconisent une recette infaillible : "augmenter les recettes existantes et limiter les dépenses d’investissement nouvelles". Qui n’est pour autant nullement du goût d’IdFM.

Côté dépenses, la mission appelle "à une modération des investissements futurs, non encore lancés, tant que le modèle économique d’IdFM ne se sera pas stabilisé". Une solution qui tuerait notamment dans l’œuf la proposition de création d’un quatrième réseau de transport en Île-de-France que vient d’émettre François Durovray (voir notre article du 20 avril)

Côté recettes, creusant leur sillon, les auteurs du rapport estiment que "la politique tarifaire", à la main d’IdFM, "est un levier puissant", en observant que ses tarifs "demeurent inférieurs à ceux pratiqués dans d’autres agglomérations internationales" (84,10 euros pour un abonnement mensuel depuis l’augmentation de janvier - voir notre article du 7 décembre, contre 280 euros à Londres et Francfort ou 186 euros à Berlin). Outre leur indexation sur les prix, ils suggèrent une augmentation annuelle "régulière et modérée" des tarifs, doublée de "hausses supérieures" les années de mise en service de nouvelles liaisons. 

Les auteurs préconisent par ailleurs que les collectivités territoriales membres d’IdFM mettent davantage la main à la poche, d’autant que leur part dans le financement de l’établissement "pourrait s’éroder dans le temps". En tête, la région, les auteurs estimant que les transports représentent "une fraction moins importante des dépenses de fonctionnement" pour l’Île-de-France que pour ses consœurs. Plus largement, ils relèvent que la participation des collectivités est de 14% pour IdFM, contre 21% en moyenne pour les autres AOM, tout en observant que "le périmètre de compétence d’IdFM est plus large que celui des AOM urbaines de province". 

Ils sont en revanche circonspects (pour ne pas dire hostiles) à l’égard d’une hausse du versement mobilité, principale recette d’IdFM, dans la mesure où son taux est déjà dans la région "le plus élevé de France" et que "son augmentation nécessite une modification législative des taux plafonds". Surtout, "la hausse des taux plafonds alourdirait […] une taxe qui pèse aujourd’hui davantage sur le tissu économique en Île-de-France qu’ailleurs (pour un service également supérieur)", estiment-ils. Non sans rejoindre la position de Clément Beaune (voir notre article du 7 décembre). Mais pas celle d’IdFM, pour laquelle, "sans hausse du taux du versement mobilité, […] il n’y a pas d’équilibre d’exploitation possible des nouvelles lignes".

D’éventuelles nouvelles ressources sous conditions

"Si de nouvelles ressources devaient être mobilisées", les inspections préconisent de respecter alors les principes d’"additionnalité" (IdFM devant augmenter "régulièrement" tarifs et contributions des collectivités), de "crédibilité" (s’inscrire dans "une trajectoire pluriannuelle crédible de redressement financier") et de "limitativité" (les nouvelles ressources ne doivent pas être affectées à des dépenses nouvelles).

Les deux inspections estiment en outre que le soutien de l’État, déjà massif, "ne saurait être pérenne". S’il devait être prolongé, elles jugent nécessaire de le conditionner à l’engagement d’IdFM au redressement de la trajectoire financière de l’établissement. Ils notent que cette contribution pourrait prendre la forme d’un abaissement de la rémunération due par IdFM à la Société du Grand Paris pour l’usage des lignes et installations.

Par ailleurs, parmi les nombreuses propositions de nouvelles ressources émises çà et là, notamment par la présidente d’IdFM (voir notre article du 24 janvier), peu trouvent grâce aux yeux de l’administration. Les deux inspections semblent ainsi hostiles à l’abaissement du taux de TVA des transports publics urbains, compte tenu de son "impact négatif sur les finances de l’État". Vu sa dimension nationale, la mesure ne pourrait en outre selon elles "s’inscrire que dans une politique plus large en faveur des transports décarbonés". De même, si l’affectation du produit d’une ressource fiscale supplémentaire à IdFM leur paraît "possible, même si cela nuit au principe d’universalité du budget de l’État", elles estiment qu’elle devrait alors être "résiduelle" et en soulignent les "nombreux inconvénients". Il en irait ainsi d’une vignette automobile, "qui imposerait la création d’un nouveau circuit de collecte", d’une taxe sur les livraisons de colis, aux "périmètre et rendement incertains", ou encore des taxes additionnelles pour capter la plus-value immobilière que générerait l’extension du réseau des transports, jugées économiquement non pertinentes. Elles se montrent en revanche plus favorables à la majoration de taxes existantes "sur des modes de transport polluants ou sur les visiteurs", qui présente selon eux des avantages "en termes de mise en œuvre, de justification économique et de cohérence avec les objectifs environnementaux".

Menaces sur les JO

Loin des voeux de l'autorité organisatrice qui rappelle qu’elle "ne souhaite recevoir aucune subvention d’État, qui pourrait être remise en cause chaque année" – si ce n’est "l’abandon par l’État de la 'dette covid' de 2 milliards qu’il a imposée à IdFM" –, mais aspire à "une autonomie fiscale, c’est-à-dire la possibilité de fixer elle-même le taux de versement mobilité des entreprises". Rappelant l’urgence d’une solution, IdFM prévient : "Elle ne saurait adopter pour 2024 un budget déséquilibré et ne sera donc pas en mesure d’ouvrir en 2024 les prolongements d’Eole, de la ligne 11 et de la ligne 14, si les financements nécessaires ne sont pas durablement apportés." Et d’ajouter in fine qu’il "n’est pas question" que les transports supplémentaires induits par les JO "soient financés par les voyageurs du quotidien, mais bien par des recettes dédiées à cette fin".