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Île-de-France : la gratuité des transports en commun battue en brèche par un rapport d'experts

Un rapport d'experts rendu public ce 2 octobre vient conforter l'opposition de la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, à la gratuité des transports publics.

C'est un rapport qui tombe à pic pour la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, opposée à la gratuité des transports publics. Présenté ce 2 octobre, il a été réalisé par un comité de huit experts indépendants parmi lesquels Gilles Carrez, député LR du Val-de-Marne, et Gilles Savary, ancien député PS de Gironde et spécialiste des transports, qui ont travaillé sous la présidence de Jacques Rapoport, ancien président de SNCF Réseau. Sa conclusion est sans appel : une telle mesure "ne répondrait à aucun des enjeux de la mobilité durable" et coûterait extrêmement cher.

"Une impasse", estime la présidente de région

Valérie Pécresse, qui dirige également Île-de-France Mobilités (ex-Stif), l'autorité organisatrice des transports de la région, avait commandé cette étude en avril, après que la maire de Paris, Anne Hidalgo (PS), avait lancé le débat en évoquant la nécessité de lutter contre la "voiture polluante". Le rapport "nous a montré que la gratuité des transports publics en Île-de-France serait une impasse et qu'elle ne résoudrait absolument pas la question de la pollution de l'air qui est une priorité de santé publique pour nous", a-t-elle déclaré ce mardi devant des journalistes. Les transports en commun en Île-de-France "sont saturés et vétustes", a-t-elle souligné. "Si vous mettez la gratuité, compte tenu de cette saturation, il n'y aura pas de report modal (de la voiture vers les transports publics, NDLR), parce que ceux qui prennent aujourd'hui leur voiture, c'est déjà plus cher pour eux ! Donc s'ils le font, c'est parce que soit ils n'ont pas d'offre, soit les transports ne sont pas assez confortables." "Et ne pas avoir d'argent pour financer des nouveaux transports, c'est une nouvelle impasse", a martelé Valérie Pécresse. "Or, on a un énorme besoin de financement."

Un effet minime sur la qualité de l'air 

La présidente de région dit avoir lancé cette étude sans idées préconçues, mais elle s'est trouvée confortée en écoutant les conclusions du président du comité Jacques Rapoport. "La gratuité, idée évidemment attractive, n'est pas en mesure de répondre aux défis qui se posent dans les transports publics et est même de nature à les aggraver", a résumé l'ancien président de SNCF Réseau, qui a également été directeur général adjoint de la RATP. Une telle mesure ne ferait baisser la circulation automobile que d'environ 2%, ce qui n'aurait qu'un effet minime sur la qualité de l'air. "Quel automobiliste francilien qui utilise sa voiture tous les jours le fait parce que le pass Navigo (l'abonnement, NDLR) est trop cher ? Ce n'est évidemment pas ça la raison (...) : c'est l'insuffisance de l'offre, c'est l'irrégularité, c'est l'inconfort", a relevé Jacques Rapoport.
Avec la gratuité, la fréquentation des transports publics, elle, augmenterait de 6 à 10%, au détriment surtout de la marche et du vélo - "ce qui n'est évidemment pas le but recherché", a pointé le responsable.
Ces nouveaux flux auraient un impact négatif sur la qualité de service des transports collectifs franciliens, avec des effets marqués sur les réseaux de tramways et de bus, notamment en banlieue. "Sur le métro, la hausse du trafic, bien que semblant modérée (+4%), interviendrait sur des lignes déjà chargées (ligne 13, ligne 9, ligne 1…)", selon le rapport.

Une mesure jugée contraire à l'équité sociale et très coûteuse

La gratuité, en outre, ne serait pas une mesure d'équité sociale, puisqu'elle profiterait à ceux qui peuvent payer. "C'est en faisant payer ceux qui le peuvent que l'on peut financer des tarifs sociaux. En Île-de-France, plus d'un million d'usagers bénéficient de tarifs réduits ou de la gratuité", a relevé Jacques Rapoport.
Enfin, "nous n'avons identifié aucun financement alternatif qui soit à la hauteur du sujet", 22% des coûts étant actuellement payés par les passagers, a-t-il reconnu. Les recettes commerciales des transports publics franciliens s'élèvent à 3,3 milliards d'euros par an (dont 2,5 milliards directement payés par les usagers), qu'il faudrait compenser. Il faudrait donc augmenter les impôts à hauteur de 500 euros par ménage et par an, a-t-il calculé. Sans parler des investissements supplémentaires pour faire face à la hausse de la fréquentation, et de la hausse attendue des coûts d'exploitation, en raison notamment de la mise en service du métro du Grand Paris. Il paraît en effet impossible d'augmenter à nouveau le "versement transport" payé par les entreprises, déjà porté à 3% de la masse salariale : il entraînerait, selon une évaluation de la direction générale du Trésor la destruction de 30.000 emplois et la perte de 0,7 point du PIB régional, soit un peu plus de 4 milliards d'euros. Le ministre de l'Economie "Bruno Le Maire est le premier à venir me voir pour dire que, pour le Brexit (et attirer des entreprises venues du Royaume-Uni), ça serait bien qu'on baisse le versement transports en Île-de-France", a ironisé Valérie Pécresse.

De nouvelles pistes de réflexion

Plus généralement, le rapport du comité Rapoport lance plusieurs pistes de réflexion "pour une mobilité plus durable et plus équitable". Il propose notamment d'élargir le périmètre de l'actuelle "zone de circulation restreinte" de Paris, en ciblant l'interdiction de tous les véhicules diesel à l'horizon 2024 et en accompagnant cette mesure d'aides à l'acquisition de véhicules moins polluants, sous condition de revenus. Autres mesures à envisager : la mise en place de voies réservées aux véhicules partagés (transports collectifs et voitures occupées par plus de trois passagers) sur les axes routiers structurants, la création d'une plate-forme de covoiturage régionale, l'adaptation des infrastructures routières à l'usage du vélo et le développement d'infrastructures spécifiques pour rendre les déplacements à vélo plus sûrs et plus simples ou encore la réintroduction de la distance dans la tarification pour lutter contre l'étalement urbain.