Hébergement social : les maires de dix grandes villes tirent la sonnette d’alarme
Dans un courrier adressé le 27 octobre 2022 à Élisabeth Borne et Olivier Klein, les maires de dix grandes villes dénoncent la suppression, sans concertation avec les élus locaux, de 14.000 places d’hébergement social en 2022 et 2023 et demandent à l’État de prendre ses responsabilités face aux "milliers de personnes" actuellement sans abri et sans solution. Alors que la trêve hivernale démarre le 1er novembre, le ministère garantit la suspension des expulsions locatives et la réactivité des services de l’État en cas de grand froid, tout en justifiant sa politique de restructuration du parc d’hébergement social et de priorité donnée au Logement d’abord.
À la veille du déclenchement de la trêve hivernale, dix maires de grandes villes ont écrit le 27 octobre 2022 à la Première ministre et au ministre du Logement pour dénoncer la baisse prévue des places d’hébergement d’urgence pour les personnes sans abri. "Si nous convenons que les nuitées hôtelières ne représentent des solutions ni pérennes ni qualitatives pour les personnes, nous constatons sur nos territoires que cette réduction de places n'est assortie d'aucune alternative viable", déplorent les maires écologistes et socialistes de Strasbourg, Rennes, Lyon, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Nancy, Rouen, Grenoble, Nantes et Villeurbanne. "Ces mises à la rue pures et simples sont intolérables et il revient ainsi aux collectivités, sans financement complémentaire, d'assumer les conséquences de ces choix non concertés", poursuivent-ils.
Cette interpellation fait suite à celle des associations qui, après la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, demandaient il y a un mois au gouvernement et au Parlement "de ne pas en revenir à une funeste gestion de l'hébergement au thermomètre" (voir notre article du 27 septembre 2022). Dans sa version initiale, le PLF pour 2023 prévoyait le financement de 186.000 places d’hébergement d’urgence, contre 193.000 places en 2022 et de l’ordre de 200.000 places en 2020 – un niveau qualifié d’"exceptionnel" du fait de la crise sanitaire.
Objectif : supprimer 14.000 places en deux ans tout en maintenant un nombre "significativement élevé" de places d’hébergement
Dans le but de poursuivre la transformation du parc existant et d’affirmer la priorité à la politique de Logement d’abord, le gouvernement prévoit en effet de supprimer 14.000 places, dont la première moitié en 2022 et l’autre moitié en 2023, a confirmé le ministère chargé de la ville et du logement à la presse le 27 octobre. En 2022, cette baisse "a eu lieu en partie", avec notamment des fermetures de places d’hôtel jugées non-qualitatives et onéreuses mais également l’ouverture de 1.000 places en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), précise le ministère. Ce dernier fait valoir les économies induites par cette transformation du parc d’hébergement et qui permettraient, à budget constant, de financer davantage de places que la cible initialement fixée. Le ministère du Logement assure que le nombre de places d’hébergement actuellement ouvertes est aujourd’hui "significativement élevé" et supérieur aux 193.000 financées au titre de l’année 2022. Le nombre de places aurait "vocation à se stabiliser entre 195.000 et 200.000". "La fin de la gestion au thermomètre permet l’approche structurelle que nous souhaitons pousser", justifie le ministère du Logement.
En attendant, "des milliers de personnes, parmi lesquelles des centaines d’enfants, restent sans solution pérenne ni perspective d’avenir claire", cela "malgré les solutions complémentaires de mise à l’abri proposées par les collectivités territoriales et les associations de solidarité", alertent les maires dans leur lettre. S’alarmant de la possible remise en cause de l’ouverture de places supplémentaires dans la période hivernale, ils demandent au gouvernement d’"appliquer le droit pour garantir un toit à toute personne vulnérable à la rue, quel que soit son statut administratif, et d’associer plus fortement les villes" dans la politique d’hébergement.
Continuité sur la suspension des expulsions locatives pendant la trêve hivernale
Sur la gestion de la trêve hivernale, le ministère du Logement se veut rassurant, indiquant que les préfets ont pour instruction de garantir, dans la continuité de 2020 et 2021, "une limitation très franche voire absolue des expulsions locatives, en tout cas sans solution d’hébergement". Alors que l’Observatoire des impayés locatifs sera réuni la semaine prochaine, le ministre du Logement ferait preuve d’une "vigilance constante" en la matière, d’où des ajustements mis en place concernant les boucliers tarifaires électricité (voir notre article du 30 septembre 2022) et gaz. Selon le ministère, qui s’appuie sur des remontées du terrain, il n’y aurait actuellement "pas de hausse significative des impayés de loyer".
Par ailleurs, "en cas de grand froid et d’aléa climatique particulier", le ministère déclare qu’il se mobilisera avec les préfets de département pour renforcer ponctuellement les moyens en matière de veille sociale, de maraudes, d’horaires d’ouverture des accueils de jour et éventuellement d’ouverture de places d’accueil supplémentaires. Suite à la réunion qui a eu lieu avec les associations et la secrétaire d’État chargée de l’enfance le 19 octobre dernier (voir notre article), il a été décidé qu’un Observatoire des besoins serait construit de manière partenariale pour assurer un meilleur partage d’informations, en plus du dispositif de cellule de crise piloté par la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) destiné à prendre en charge toutes les "situations individuelles avec des enfants à la rue".
Logement d’abord : 400.000 bénéficiaires depuis 2018
Le ministère du Logement réaffirme surtout la priorité accordée au Logement d’abord, avec un deuxième plan quinquennal qui sera précisé "dans les prochaines semaines". Il assure que cette politique a permis, depuis 2018, à 400.000 personnes d’accéder à un logement social ou un logement accompagné – intermédiation locative ou pension de famille. Pourtant, selon les maires signataires de la lettre, "force est de constater qu’un nombre toujours plus important de personnes demeurent dans des conditions indignes dans les grandes villes françaises". Dans son dernier rapport (voir notre article du 2 février 2022), la fondation Abbé-Pierre avait attribué des bons points au gouvernement sur le déploiement du Logement d’abord, tout en soulignant que certains publics, dont les jeunes sortants de l’aide sociale à l’enfance et les personnes en situation irrégulière, étaient des points aveugles de cette politique.