Gouvernance du sport : un rapport choc pour en finir avec l'entre-soi et l'omerta
Après six mois de travaux, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations sportives a remis un rapport très sévère, épinglant dirigeants fédéraux, ministère ou Agence nationale du sport. La création d'une autorité administrative indépendante pour traiter les questions d'éthique dans le sport figure en tête des préconisations.
En rugby, on appelle "tampon" l'action de se heurter volontairement et violemment à un adversaire. Et le moins que l'on puisse dire est que les auteures du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale "relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu'elles ont délégation de service public", publié le 23 janvier, ont adressé un gros tampon aux dirigeants du sport français, ministre compris.
Tout au long des quelque 250 pages de leur rapport (419 avec les annexes !), la présidente de la commission d'enquête, Béatrice Bellamy, et la rapporteure, Sabrina Sebaihi, fustigent "un défaut de culture démocratique", "un entre-soi" et "une omerta" autour de questions aussi sensibles que les violences sexuelles et sexistes, les violences psychologiques et physiques, les discriminations et la haine ou encore la gestion financière des fédérations. Un seul chiffre pour illustrer cette situation : un enfant sur sept subit des violences dans le milieu sportif avant sa majorité.
Avalanche de témoignages
Durant les six mois d'enquête qu'elles ont menée, la rapporteure et la présidente déclarent avoir été "très vite confrontées à une avalanche de témoignages de victimes et de lanceurs d'alerte, dénonçant des abus, des violences, des discriminations, des dysfonctionnements".
De surcroît, la commission a estimé avoir "été confrontée à des mensonges, inexactitudes, approximations, expressions de déni et de désinvolture dans des proportions sans doute sans précédent historique". Ainsi, "un grand nombre d'auditions de responsables, y compris celle de la ministre, ont été suivies de démentis par les médias ou par des observateurs, de lettres de rectification adressées à la commission par les intéressés afin d'éviter des poursuites pour faux témoignage". La commission a également dénoncé "les difficultés qu'elle a rencontrées pour accéder à un certain nombre de documents demandés au ministère des Sports".
Pour un "choc de contrôle"
Sur le fond, les travaux ont mis en lumière "le caractère systémique et structurel de dysfonctionnements qui trouvent leur origine dans l'organisation de la gouvernance du monde sportif et la relation particulière qui le lie à l'État". Des dysfonctionnements qui constituent "autant d'obstacles à la prévention, la détection et la répression de dérives dans des conditions optimales". Face à ce qu'elle estime être une "double défaillance", de l'État et des dirigeants des fédéraux, la rapporteure en appelle à un "choc de contrôle, de démocratie et de transparence", lequel "ne pourra être assuré que par une autorité administrative indépendante".
La création d'une telle autorité constitue la clé de voûte des soixante-deux propositions de la commission. Qu'il s'agisse de soumettre la prochaine génération de contrats de délégation à son contrôle pour en faire de véritables outils au service du renforcement de l'éthique, d'instaurer un pouvoir de sanctions financières à l'encontre des fédérations ne respectant pas leurs obligations éthiques, de prononcer des mesures d'inéligibilité ou de suspension à l'égard d'un dirigeant ou d'assumer la compétence disciplinaire des fédérations en matière de violences, la création d'une telle autorité administrative indépendante est brandie comme "la" solution.
Selon la commission, la création d'une autorité administrative indépendante "recueille le consensus le plus large". Elle rappelle que c'est ce "regard extérieur indépendant" qu'avait préconisé l'actuelle ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, lorsqu'elle présidait, en 2018, l'association Rénovons le sport français.
L'Agence nationale du sport en question
Mais le rapport va plus loin. Il préconise de conditionner les soutiens publics au mouvement sportif à des engagements précis et vérifiés en matière d'éthique et le versement des subventions de l'Agence nationale du sport (ANS) à la démonstration par les fédérations de la bonne réalisation du contrôle d'honorabilité des éducateurs bénévoles. Inscrit dans la loi depuis 2006, ce contrôle n'a, à la fin de 2023, pas du tout commencé pour trente fédérations et ne couvre pas toutes les personnes qui doivent l'être pour douze fédérations.
L'existence même de l'ANS est par ailleurs remise en cause. Il lui est notamment reproché d'avoir complexifié la "dilution des responsabilités au sein d'une gouvernance enchevêtrée", le tout "au détriment des capacités de contrôle et d'action de l'État". Le rapport préconise qu'au lendemain des Jeux olympiques soit réalisé "un bilan complet de l'efficacité et de la pertinence de la nouvelle gouvernance du sport, en particulier de l'Agence nationale du sport, étant entendu que ce bilan ne pourra avoir pour seul critère la performance de la France aux Jeux". Un bilan qui "devra permettre une évaluation complète de l'action de l'ANS ainsi que de l'opportunité de son maintien".