Gestion de crise : l’information géographique à l’épreuve du feu
Réunis à Poitiers, sous l’égide de l’Afigeo et de Décryptagéo, les Geodatadays avaient fait de la donnée géographique au service de la gestion des risques le fil rouge de l’événement. Avec des catastrophes estivales qui ont mis en évidence les atouts mais aussi les limites des systèmes d’information géographique.
En Gironde, le lien entre information géographique et gestion de crise est une histoire ancienne. "L’information sur la défense incendie a été à l’origine de notre projet en 1995. Et l’existence d’une base de données des chemins forestiers et des points d’eau a été essentielle dans la gestion des incendies cet été", a assuré Bruno Lafon président de du GIP ATGeri. 30 ans après, ce qui est devenu la base Pigma compte quelque 12.000 jeux de données décrivant l’ensemble de la Nouvelle-Aquitaine. Ces données, dont une partie est accessible en open data, bénéficient surtout aux collectivités, aux services de secours et à l’Etat. La pleine association du GIP ATGeri à la gestion des incendies par l’Etat ferait cependant figure d’exception à en croire un rapide sondage auprès des représentants présents des structures de mutualisation de géodatas.
Maquettes 3D
Les données 2D des SIG sont désormais enrichies de données 3D grâce à l’exploitation de photos aériennes pour créer des "jumeaux numériques". Si ces outils sont assez courants dans les grandes agglomérations, ils sont plutôt rares à des échelles territoriales plus vastes. Le jumeau du département de l’Aude, qui permet de superposer des données descriptives à des images aériennes en 3D est particulièrement impressionnant de réalisme. Il autorise par exemple le "survol" d’un incendie et la simulation de son évolution en fonction des vents. Ce projet fait cependant figure d’exception. Pas moins de 29 jours de vol dans des conditions météo optimales ont été nécessaires pour réaliser les prises de vue. Autant dire que cette maquette aurait eu peu de chance de voir le jour sans les financements Feder dont elle a bénéficié. Un problème de "modèle économique" que n’ont pas manqué de relever les représentants de l’IGN. Le montant des investissements nécessaires aussi bien que le risque de doublons légitime la stratégie de "cartographie de l’anthropocène" entreprise par l’Institut, dont un des livrables est une maquette 3D du territoire, un "géocommun", accessible à tous (notre article du 9 juin 2022).
Crowdsourcing des données de crise
Autre défi des SIG, l’intégration des données pendant la crise. Tout l’enjeu est de faire remonter des données du terrain dans un contexte d’urgence, de croiser les sources (notamment les réseaux sociaux avec les sources officielles), de les vérifier et les mettre en forme afin qu’elles puissent être partagées. C’est la mission des volontaires numériques en gestion d'urgence (Visov). Une association dont la particularité est de s’ancrer pleinement dans l’écosystème de la sécurité civile – le ministère de l’Intérieur et les Sdis y sont représentés - et de s’appuyer sur des citoyens bénévoles maitrisant les outils cartographiques issus de la communauté OpenStreetMap. "Nous pouvons par exemple réaliser une cartographie des hébergements d’urgence et aider à sa diffusion" a expliqué un de ses membres, Donat Robaux.
Images satellitaires à la demande
La gestion de crise bascule enfin dans une nouvelle dimension avec l’arrivée des images satellitaires haute résolution en temps réel. Les satellites d’Airbus de type Pléiades, bien plus précis que Spot, sont ainsi en mesure de produire des images à une résolution de 30 cm sur des zones d’une dizaine de kilomètres carrés "en trois heures et bientôt en moins d’une heure" selon le représentant de l’industriel toulousain.
Si ces photos ont été utilisées en Gironde pour localiser les départs de feu, l’exploitation des données géospatiales passe de plus en plus par l’intelligence artificielle, autre évolution technologique majeure du secteur des SIG. Utile à l’automatisation de la reconnaissance d’objets cartographiques, l’IA est aussi mobilisée pour anticiper les risques. Chez Enedis, les conséquences d’une tempête sur le réseau de l’électricien peuvent ainsi "être simulées 24h avant l’événement", a expliqué son représentant, Pascal Pouzac. L’algorithme exploite les données météo (vent, pluie…), les caractéristiques techniques des poteaux, l’état de la végétation pour évaluer précisément les zones d’impact d’un coup de vent et ainsi aider à la planification des interventions. Un modèle dont la pertinence repose cependant sur la fiabilité des données utilisées pour faire tourner l’IA.
Dépendance à l’électricité
Pour impressionnant que soient ces outils, le cas de la Corse est venu démontrer cet été les fragilités du tout numérique. Jean-Marie Seité, maire de Galéria (Corse du Sud) et président de l’Afigeo, a pu en témoigner : "En l’espace de 20 minutes tout a basculé. L’électricité coupée, nous n’avions plus d’accès à internet, à la téléphonie mobile et à l’eau potable. Il a fallu 13h pour que ces services soient rétablis". Et l’élu d’insister pour que les antennes de téléphonie mobile soient équipées d’une alimentation de secours et servent, avant l’événement climatique, à alerter les populations. Selon l’élu, l’usage du "cell broadcast" – alerte diffusée vers tous les terminaux situés à proximité d’une antenne mobile (notre article du 10 juin 2022) – aurait pu sauver des vies en permettant notamment aux campeurs de s’abriter. Quant aux forces d’intervention, le doublonnage de l’information numérique par une carte papier reste de mise confirme Enedis comme les représentants des Sdis. Car il ne s’agit pas d’être à la merci d’une panne de réseau ou d’électricité.
Synapse mobilisé pour les JO de 2024
Côté Etat, la gestion de crise passe aussi par un outil de partage de l’information, le Système numérique d'aide à la décision pour les situations de crise ou Synapse. Une plateforme SIG créée par le ministère de l’Intérieur mise à disposition des préfets. A l’occasion des JO de 2024, Synapse aidera au pilotage de cet événement qui cumule les risques. La préfecture de police de Paris a été ainsi missionnée pour créer "une base de connaissance partagée" entre les forces de police, les secours, la sécurité civile et les acteurs territoriaux (Paris 2024, Ville de Paris, Ile-de France-mobilité, Institut Paris Région, etc). Un projet qui vise à éviter les redondances, à mutualiser les ressources cartographiques et à créer un référentiel de données propre aux JO de 2024.