François Rio (Avuf) : "Fermer les antennes universitaires, ce serait condamner les villes moyennes à l'appauvrissement"

De 15 au 17 octobre 2024, l'Association des villes universitaires de France (Avuf) a réuni 120 congressistes - élus, techniciens - et 70 chercheurs à l'occasion de son congrès à Poitiers. François Rio, délégué général, donne le pouls. En réaction à l'évocation d'éventuelles fermetures d'antennes universitaires au sein de villes moyennes, il se dit beaucoup plus confiant sur leur capacité de pérennité qu'il y a dix ans. Il défend aussi la contractualisation entre l'État et les universités et les régions. 

Localtis - Le congrès de l'Avuf s'est tenu du 15 au 17 octobre à Poitiers. Quel est l'état d'esprit de l'Avuf ?

François Rio - Nous avions une petite appréhension mêlée d'espérance car pour la première fois, nous nous sommes jumelés avec un colloque scientifique qui réunit des chercheurs, sociologues, économistes, géographes, historiens, etc. qui travaillent sur l'université comme objet scientifique. L'enjeu était de faire dialoguer ces chercheurs et scientifiques rigoureux avec des "opérationnels", des élus, des directeurs des services, plus pragmatiques. Nous avons travaillé à la valorisation de la recherche ; à savoir comment la recherche nourrit l'innovation dans les territoires… Les chercheurs réunis par le colloque scientifique participent également aux travaux de l'Avuf et ouvrent leurs sessions de communication scientifique à nos congressistes. Nous avons environ une cinquantaine de collectivités présentes, parfois avec les élus et les techniciens. Pour la première fois, nous avons aussi deux collectivités ultramarines, Mayotte et la Réunion. Au final, cela représente 120 congressistes, mêlés à 70 chercheurs. 

Dans certaines villes moyennes et régions qui accueillent des antennes d'universités, l'inquiétude monte. Va-t-on devoir fermer les portes des sites comme l'a affirmé récemment Guillaume Gellé, à la tête de France Universités, au quotidien les Echos ? (1)

Effectivement, cela a été évoqué par un représentant de France Universités lors de notre congrès, qui n'a pas démenti le mot de Guillaume Gellé ; il avait tenu ces propos dans le cadre du congrès de Régions de France et affirmé qu'il y aura des fermetures d'antennes (1). À notre avis, le risque est modéré, surtout dans les villes où les antennes sont fortement enracinées à la fois par des partenariats en recherche, à la fois par une implication forte de la collectivité qui finance des locaux, parfois des personnels et des doctorants, etc. Aujourd'hui, l'enracinement des antennes que le ministère de l'ESR appelle maintenant "campus distants" est beaucoup plus fort qu'il y a dix ans, quand la présidente de l'université de Montpellier Paul-Valéry disait qu'elle allait fermer son antenne de Béziers. Je suis beaucoup plus confiant aujourd'hui sur la capacité de pérennité des antennes. 
Cette menace cependant n'est pas nouvelle. Nous sommes dans une période de tension budgétaire. Il faut faire des ajustements. "Campus distant", "antennes"… nous, nous les appelons les "villes universitaires d'équilibre". Ces "villes universitaires d'équilibre" ne se résument pas simplement à de l'enseignement universitaire : il y a parfois des grandes écoles, des établissements consulaires, des établissements paramédicaux, sociaux… En tout cas, ces antennes sont importantes car c'est l'université qui ainsi est présente dans ces villes moyennes. 

Le fait pour certaines antennes universitaires d'être en déficit budgétaire ne fait-il pas peser un vrai risque de fermeture, qui plus est dans un contexte de contrainte budgétaire ?   

Il faut savoir que le rapport de la Cour des comptes "Université et territoires" de février 2023 a montré que le coût moyen par étudiant dans ces antennes est plus faible que dans les campus principaux. De plus, les collectivités contribuent fortement à leur coût de fonctionnement. Malgré cela, il reste un coût marginal, donc elles peuvent être tentées de fermer ou de demander à la collectivité de financer davantage. Dans un contexte de contrainte budgétaire avec une demande d'économies de 5 milliards de la part de l'État, cela ne va effectivement pas être simple. C'est un rapport de force. On connaît par exemple une université qui a demandé à la collectivité de s'engager à hauteur de 100.000 euros par an pour maintenir une filière AES (administration économique et sociale). Ce type de situation risque de se reproduire. Mais dans certains endroits, cela ne sera pas possible, la collectivité ne pourra pas. Donc certaines antennes vont peut-être disparaître mais ce serait complètement paradoxal car elles ont des taux de réussite en moyenne supérieur à ceux des grands campus et elles contribuent très largement à la démocratisation de l'enseignement supérieur.
Notre nouveau président, François Grosdidier, élu depuis juillet 2024 à la tête de l'Avuf et maire de Metz, l'exprime ainsi : à la distance sociale peut s'ajouter une distance géographique qui fait que les jeunes de ces territoires poursuivent moins leurs études supérieures. C'est une privation pour ces individus mais également pour ces territoires : ils sont de fait privés des compétences nécessaires aux besoins économiques de ces territoires souvent industrialisés ou en cours de réindustrialisation. Fermer les antennes universitaires, ce serait condamner les villes moyennes à l'appauvrissement.

Il est "essentiel de travailler pour l'accessibilité à notre enseignement supérieur, et cela ne doit pas être l'apanage des grandes métropoles", a déclaré le nouveau ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Patrick Hetzel, lors de la passation de pouvoir avec Sylvie Retailleau. L'Avuf a-t-elle eu l'occasion d'échanger avec lui ?

Cela montre qu'au moins l'État en a conscience. C'est récent, cet intérêt croissant du ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche – Sylvie Retailleau s'était déplacée à notre colloque l'an dernier - pour la recherche et l'enseignement supérieur sur tous les territoires. Nous le constatons au niveau de toutes les directions : à la sous-direction de la vie étudiante, de l'immobilier… nous ne sommes pas trop inquiets en définitive. Une rencontre est prévue d'ici Noël 2024 entre notre président et le nouveau ministre. Ce sujet de l'ancrage territorial des universités, notamment dans les villes moyennes, sera l'un des premiers sujets évoqués avec le nouveau ministre.

La vice-présidente de la région Hauts-de-France, Manoëlle Martin, chargée de l'enseignement supérieur à Régions de France, plaide pour une contractualisation entre l'État et les universités et qui associe les régions. Qu'en pensez-vous ?

Cela va tout à fait dans le sens d'un débat que nous avons eu concernant l'impact des universités sur leurs relations avec les collectivités locales ces dernières années. La contractualisation est une bonne chose de manière générale. On sait désormais que les universités sont différentes d'un lieu à l'autre, que leur écosystème et la contribution des acteurs socio-économiques sont différents sur chaque territoire. Donc le contrat est probablement l'avenir dans le financement des universités. D'ailleurs il existe un contrat pluriannuel depuis longtemps. Mais depuis peu, il existe un nouveau contrat, mis en place par Sylvie Retailleau, qui s'appelle le contrat d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) qui ne représente que 0,8% de la subvention de charge de service public des universités. Il était aussi envisagé que ce type de contrat puisse faire l'objet d'abondements de la part des collectivités territoriales dans leur diversité : région, EPCI, pourquoi pas départements.
Mais ce que Manoëlle Martin annonce est déjà dans la loi pour la programmation pluriannuelle de la recherche votée fin 2020 pour les années 2021 à 2030 qui prévoyait qu'un volet du contrat puisse être signé par les collectivités. Il y a eu une tentative d'introduction de volet territorial pour les régions Occitanie et en Auvergne-Rhône-Alpes, pilotée par les recteurs délégués dans ces deux régions mais cela n'a pas abouti, pour des raisons différentes. Donc c'est dans la loi, c'est dans l'air du temps mais les modalités restent à affiner. Pour les régions, cela a du sens d'autant qu'elles ont un rôle de chef de filât – qui se cherche un peu - mais on ne peut pas demander à tous les EPCI qui contribuent au fonctionnement d'une université de signer ce contrat. Cela n'aurait pas de sens.
François Grosdidier a eu sa première réunion avec Manoëlle Martin de Régions de France justement. On a décidé de travailler ensemble, dans le cadre de ces contrats, éventuellement dans le cadre des contrats de plan État-régions (CPER) – mais l'on ne sait pas si l'on aura de nouveau des CPER en 2028. En tout cas, jusqu'au dernier CPER, le dialogue n'a pas été à la hauteur des enjeux.

Où en est l'acte II de l'autonomie des universités ? Sylvie Retailleau avait prononcé un discours en mars 2024 en ce sens...

Annoncé par le président de la République puis proposé en expérimentation par Sylvie Retailleau, l'acte II de l'autonomie des universités est en cours d'expérimentation au sein de neuf établissements parmi lesquels quelques grandes universités mais également des petites et moyennes universités et des grandes écoles (2). Ces neuf établissements ont d'ailleurs demandé à ce que deux thèmes s'ajoutent au champ de l'expérimentation : la valorisation de la recherche pour l'innovation et la vie étudiante. Nous regardons cela avec beaucoup d'attention. Cette expérimentation leur apporte plus de manœuvre pour choisir leur stratégie sur la gestion du patrimoine, du personnel, de la valorisation de la recherche, de la formation en fonction des opportunités des collaborations avec des partenaires locaux, y compris les collectivités… Tout cela va dans le bon sens nous semble-t-il.

En quoi l'autonomie des universités a-t-elle changé la relation avec les collectivités territoriales ?

Il faut rappeler que trois mouvements ont eu lieu en même temps. L'accroissement de l'autonomie de l'université, qui a été lancé avec la loi LRU, dite Pécresse 2008, a eu lieu au même moment que l'accroissement de la mise en compétition des universités ; je pense aux Idex (pour Initiative d'excellence) ou I-Site (pour Initiative science-innovation-territoires-économie) qui font partie des programmes "investissements d'avenir" (3) qui s'est traduit par un apport de financements supplémentaires mais pas forcément pérennes et une logique d'appel à projets ; le tout parallèlement à un mouvement de fusions. Il a fallu essayer de regrouper des établissements, y compris des grandes écoles, au sein de ce qu'on appelle les EPE, les établissements publics expérimentaux (il en existe une quinzaine). Donc c'est difficile de dire ce qui a le plus influencé la relation des universités avec les collectivités. Mais ce qui est sûr, c'est que la relation a changé et nous tirons un bilan plutôt optimiste de la qualité des relations de ces 15 dernières années. Cette relation interfère aussi avec la question du financement : certaines universités sont très dépendantes de l'unique subvention de l'État (la subvention pour charge de service public) et pour d'autres, c'est à peine plus de la moitié parce qu'elles ont des partenariats avec les industriels, d'autres ont développé des politiques de formation continue… ou ont diversifié leurs ressources et obtiennent des moyens supplémentaires dans le cadre d'appels à projets. Nous constatons que ces démarches d'appels ont tendance à favoriser les universités déjà les plus riches avec un risque de décrochage des universités les plus pauvres et c'est certainement là que ces dernières risquent de se tourner le plus vers les collectivités. 

(1)-"Certaines devront faire le choix, peut-être, de fermer leurs antennes, a-t-il lancé, la semaine dernière, au Congrès de Régions de France. Il faut avoir conscience de cela. Nous sommes arrivés à une situation où des choix économiques de ce type devront sûrement être faits." – Antoine Gellé dans les Echos du 8 octobre 2024.

(2)-Les neuf établissements pilotes qui expérimentent les nouvelles mesures d'un acte II de l'autonomie sont Aix-Marseille université ; université de Pau et de Pays de l'Adour ; université de Bordeaux ; université de Rennes ; université de Perpignan ; université Paris-Panthéon-Assas ; Sorbonne université ; École centrale de Lyon ; université de Haute-Alsace.

(3)-Programmes d'investissement de l'État français dont le but est de créer en France des ensembles pluridisciplinaires d'enseignement supérieur et de recherche qui soient de rang mondial.