France urbaine : le bon élève affûte ses exigences
Les grandes villes et intercommunalités membres de France urbaine vont pratiquement toutes jouer le jeu de la contractualisation financière, même si l'association demande une amélioration du dispositif. Sur le dossier fiscalité, France urbaine campe sur ses positions et entend mener le combat de l'autonomie fiscale du bloc local. Elle attend par ailleurs des annonces sur la politique de la ville, dont la réforme de l'Anru, sachant que le gouvernement pourrait apposer sa signature sur son "pacte de Dijon". Et compte continuer de défendre sa vision des politiques locales de l'habitat lors de l'examen du projet de loi Elan au Sénat.
Plus que quelques jours avant la date couperet pour la signature des contrats sur les dépenses locales, guère davantage avant l'arrivée du projet de loi Elan au Sénat, deux semaines avant un rendez-vous au sommet sur la politique de la ville, à peu près autant avant la Conférence nationale des territoires et avant la réunion du Parlement en congrès pour y entendre parler de réforme de la Constitution… le calendrier se bouscule en ce début d'été pour les représentants des collectivités. Parmi eux, France urbaine sera de toutes les dates. Son président, Jean-Luc Moudenc, a évoqué les divers dossiers liés à ces échéances ce mardi 26 juin devant la presse, peu avant l'ouverture de la conférence des finances publiques organisée l'après-midi par cette association représentant les grandes villes, métropoles et grandes agglomérations.
Sur l'ensemble des sujets du moment, France urbaine fait valoir son attitude constructive dans ses discussions avec le gouvernement. Une attitude rendant légitime le fait de "dire un certain nombre de choses" aujourd'hui, tel que le formule Christian Estrosi, maire de Nice.
Contrats : à peine 5% de refus de signer... mais toujours des points à corriger
Ainsi, s'agissant des contrats sur les dépenses de fonctionnement des collectivités devant être signés d'ici le 30 juin, France urbaine s'affiche en bon élève. "Nous avons soutenu la méthode avec constance, tout en formulant des exigences ; certaines d'entre elles ont été entendues, d'autres pas ; nous allons continuer à les exprimer", résume Jean-Luc Moudenc. Pas moins de 95% des villes et intercommunalités membres de l'association ont ou vont signer leur contrat.
Selon le président de France urbaine, l'Assemblée des communautés de France (ADCF) et Villes de France se sont montrées tout aussi favorables à la méthode des contrats. Au niveau des associations représentant le bloc local, seule l'Association des maires de France aurait "pris une position très virulente contre le principe même du contrat, alors même que 98% des communes adhérentes à l'AMF ne sont pas concernés" et que les communes impliquées, elles, "étaient pour", relate Jean-Luc Moudenc, parlant d'un certain "déphasage"… Quant aux départements et aux régions, le refus de contractualiser aurait avant tout été lié à des enjeux extérieurs - le financement des allocations individuelles de solidarité pour les uns, l'apprentissage pour les autres -, analyse le maire de Toulouse.
Emmanuel Grégoire, adjoint en charge du budget à la mairie de Paris, rappelle que le choix de s'engager dans la contractualisation et de "faire de nécessité vertu" n'a pas empêché çà et là des "crispations". Et que les "insuffisances" des textes actuels devront être corrigées dans le prochain projet de loi de finances. Notamment dans la mesure où le dispositif contrevient au principe de la "neutralisation" de certaines dépenses contraintes. Là-dessus, "il n'y a pas de règle claire" actuellement, regrette Emmanuel Grégoire. Qui rappelle certaines des demandes de France urbaine : que la participation d'une collectivité à un syndicat soit prise en compte côté section d'investissement et non comme dépense de fonctionnement, que les mécanismes de reprise en cas de dépassement du 1,2% soient moins pénalisants, que les chambres régionales des comptes puissent remplir un rôle de "juge de paix" en cas de différend entre le préfet et la collectivité… "Il y aura dans les semaines et les mois à venir d'importantes discussions à mener avec le gouvernement" sur ces différents points, prévient l'élu parisien. En signant le contrat de sa propre métropole le 7 juin, Jean-Luc Moudenc avait lui-même évoqué la nécessité d'une "clause de revoyure".
Suppression de la taxe d'habitation : garantir l'autonomie fiscale
Parallèlement, les discussions vont bon train sur les questions fiscales. France urbaine continue de se dire "défavorable aux deux hypothèses du rapport Richard-Bur" sur la refonte de fiscalité liée à la suppression de la taxe d'habitation. L'affectation d'une part de TVA au bloc local est toujours vue d'un très mauvais œil. L'association continue de plaider pour le transfert au bloc local des parts départementales de foncier bâti et de CVAE. "Cela devra être tranché rapidement", juge Emmanuel Grégoire, sachant que le comité des finances locales s'apprêterait à faire marche arrière sur l'idée de transférer la part départementale de foncier bâti. "Lors de la dernière réunion de l'instance nationale de dialogue, le 17 mai à Matignon, le gouvernement n'a pas pris position. En principe, il va se dévoiler lors de la prochaine réunion, le 4 juillet. On aura alors peut-être l'esquisse de ce que sera la réforme fiscale", ajoute Jean-Luc Moudenc.
Une chose est sûre, France urbaine compte porter haut et fort la cause de la défense de l'autonomie financière des collectivités (ou plus exactement du bloc local...) risquant d'être mise à mal au fil de cette réforme. L'association a ainsi soutenu la proposition de résolution Courson-Jerretie, rejetée par la majorité de l'Assemblée - et par le gouvernement - le 19 juin mais faisant désormais l'objet d'un amendement au projet de révision constitutionnelle. Il s'agirait d'ajouter à l'article 72-2 de la Constitution un alinéa stipulant que "pour les communes et leurs groupements, la loi organique détermine la part minimale de leurs ressources qui est constituée de recettes fiscales dont ils peuvent, dans les limites prévues par la loi, fixer l’assiette, le taux ou le tarif."
"Nous avons tous signé. Quelle sera la suite. ? A priori, le gouvernement n'a pas prévu d'y souscrire. Il serait pourtant bien inspiré de le faire", dit Jean-Luc Moudenc. Le discours d'Emmanuel Macron devant Assemblée et Sénat réunis en congrès à Versailles le 9 juillet pourrait apporter la réponse.
Le pacte de Dijon signé par le gouvernement serait "un acte fort"
Le lendemain, le 10 juillet, c'est sur un autre terrain que France urbaine attend l'exécutif. Celui de la politique de la ville. Lors de son discours du 22 mai à l'Elysée, Emmanuel Macron avait effectivement promis des annonces pour juillet. C'est aussi ce jour-là qu'il avait lancé aux présidents de métropoles et d'agglomérations : "Banco pour le pacte de Dijon. On y va !" "Nous avons rebondi là-dessus et avons, depuis, discuté avec le gouvernement", relate Jean-Luc Moudenc, rappelant que ce "pacte" élaboré pendant plusieurs mois par France urbaine et l'ADCF, en interaction avec Jean-Louis Borloo, est un texte qui "balaie l'ensemble des enjeux de la politique de la ville" du point de vue des intercommunalités : rénovation urbaine et habitat, développement économique, numérique, mobilité, insertion, jeunesse, parentalité, périscolaire, tranquillité publique et justice…
"Le pacte a été ratifié par 80 collectivités, nous nous sommes engagés sur ce texte", insiste-t-il. Autant de territoires volontaires pour s'engager dans une "nouvelle politique de cohésion urbaine et sociale" à condition que l'Etat prenne sa part. Et à condition qu'il soit clair que "ce sont nous [les élus intercommunaux] qui sommes légitimes sur toutes ces questions", que "la politique de la ville ne peut plus être une politique communale", clame le président de Toulouse Métropole.
Les discussions avec le gouvernement auraient porté leurs fruits puisque celui-ci serait prêt à signer ce même pacte, a fait savoir Jean-Luc Moudenc. "Ce n'était pas gagné d'avance. Le fait qu'une réflexion émanant des élus soit ainsi cautionnée par le gouvernement, ce serait un acte fort", souligne-t-il, estimant que cela "permettra ensuite, en région, d'invoquer la parole de l'Etat". Et France urbaine d'espérer une signature par le Premier ministre lui-même - une façon, considère l'association, d'engager l'ensemble du gouvernement et pas uniquement le ministère de la Cohésion des territoires. D'espérer, aussi, que l'un des points cruciaux du Pacte, à savoir la nécessaire réforme de l'Anru (devenue "un outil de complication", "un organe de procédure dilatoire"…), donnera rapidement lieu à des réponses. "Là-dessus, nous attendons le gouvernement au tournant ; il faudrait que le 10 juillet, nous ayons un calendrier", prévient Jean-Luc Moudenc.
Logement social : Elan... mais aussi le prochain PLF
Parallèlement, l'association reste évidemment mobilisée sur le projet de loi Elan qui arrive bientôt au Sénat (discussion en séance publique à partir du 17 juillet). "Nous avons porté des amendements à l'Assemblée nationale, qui ont connu des fortunes diverses…", reconnaît le président, qui se dit "moyennement satisfait du texte sorti de l'Assemblée". Là encore, le credo est clair : "Les premiers acteurs des politiques de l'habitat doivent être les intercommunalités". Selon Jean-Luc Moudenc, l'examen au Sénat ne devrait pas être une lecture inutile. "Je crois comprendre que Jacques Mézard compte vraiment travailler avec le Sénat pour continuer à construire le texte", glisse-t-il en effet.
"Se battre sur Elan… et sur le prochain projet de loi de finances". France urbaine n'a toujours pas compris la logique ayant consisté à intégrer certaines décisions sur le logement social dès la précédente loi de finances, avant que ne soit finalisé Elan. Elle continue de dénoncer la baisse des loyers HLM qui a "fait chuter l'autofinancement des bailleurs sociaux". Jean-Luc Moudenc y voit toujours une contradiction au regard de l'objectif de construire davantage. Contraindre les bailleurs à une "stratégie d'emprunt renforcée" à l'heure où la capacité de désendettement des collectivités, elle, est placée sous surveillance, lui semble également contradictoire. "Il faudra vraiment revoir les choses dans le projet de loi de finances pour 2019", insiste Jean-Luc Moudenc, en indiquant que France urbaine va travailler à "une photographie, territoire par territoire, des effets concrets de cette perte d'autofinancement, qui sera prête à la rentrée et remise au gouvernement".
Les chiffres du logement social dans les territoires urbains
Dans ce contexte de réforme du secteur, France urbaine consacre un volet de son "Portrait financier" des territoires urbains, présenté le 26 juin (voir notre article ci-dessous), au logement social. Il apparaît qu'avec 3,1 millions de logements sociaux, les 84 territoires urbains étudiés concentrent 63% des logements sociaux de France (pour 46% des résidences principales).
En termes de peuplement, la règle selon laquelle "plus le taux de locataires sociaux sur le territoire est faible, plus le taux de concentration dans la ville centre est élevé" se vérifie. Ainsi, parmi les territoires urbains où le taux de locataires sociaux est inférieur à 20%, plus des deux tiers des territoires enregistrent un taux de concentration du parc social sur la ville centre supérieur à 50%.
Alors que le projet de loi Elan prévoit d'imposer le regroupement des organismes HLM gérant moins de 15.000 logements, il est utile de savoir que l'on compte en moyenne 22 organismes HLM sur l’ensemble des territoires urbains gérant en moyenne 1.600 logements chacun.
Concernant la question des attributions, les ménages demandeurs de logements sociaux des territoires urbains représentent les deux tiers des demandeurs nationaux. Sur l’ensemble des 84 territoires étudiés, on comptabilisait fin 2017 1,4 million de demandeurs. Quinze territoires ont enregistré plus de 50.000 demandeurs fin 2017. Il s'agit des EPT d’Ile-de-France, de la Métropole Aix Marseille Provence, de la Métropole Européenne de Lille et de la Métropole de Lyon. Paris enregistre environ 260.000 demandeurs.
V.L.