Foncier agricole : une loi d’urgence qui appelle déjà une suite
Énième réforme de la régulation du foncier agricole, la proposition de loi adoptée lundi s'attaque au problème des transmissions de terres via des cessions de parts. Une réforme d'urgence appelant toujours la "grande loi foncière" attendue par la profession.
Depuis quelques années, toutes les tentatives de réguler le marché foncier agricole ont échoué. La réforme adaptée par le Parlement, en début de semaine, fera-t-elle exception ? À voir. La proposition de loi portant "mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers des structures sociétaires" constitue "une première étape opérationnelle, pragmatique, avant que nous n’entamions le chantier d’une grande loi foncière", a reconnu le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, le 13 décembre devant l’Assemblée, saluant toutefois une loi "ambitieuse et nécessaire".
L’enjeu de ce texte porté par le député LREM des Hautes-Pyrénées Jean-Bernard Sempastous est de renforcer le contrôle de cessions de terres via des parts de sociétés. Un phénomène en plein essor (les deux tiers des terres sont aujourd’hui dans les mains de sociétés), qui se fait au détriment du modèle traditionnel de l’exploitation familiale et encourage la concentration ou l’accaparement des terres. Le recensement agricole publié ce vendredi, avec la disparition de 100.000 exploitations en dix ans, rappelle d’ailleurs l’urgence d’agir, comme l’a souligné le ministre de l’Agriculture. Car le système actuel de contrôle de cessions de parts est facile à contourner, les réformes conduites depuis 2014 n’ont été que des pis-aller.
Éviter les agrandissements excessifs
La proposition de loi, cosignée par un grand nombre de députés, a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire (CMP) le 1er décembre. Le Sénat a salué à cette occasion un dispositif "attendu, équilibré et constructif". Le mécanisme imaginé par le député prévoit de soumettre à autorisation administrative les cessions de titres sociaux qui conduisent à une prise de contrôle de la société, en vue d’éviter les agrandissements excessifs. Pour que le préfet de département puisse enclencher la procédure de contrôle, il faut que la transaction se situe dans une fourchette comprise entre 1,5 à 3 fois la surface agricole utile régionale moyenne (Saurm) fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Le seuil a été relevé en CMP (de 1 fois la Saurm à 1,5) conformément au souhait du Sénat, afin de ne pas viser la majorité des opérations mais de se concentrer sur les plus importantes. Par ailleurs, les transactions au sein d’une même famille sont préservées, dès lors que l’acquéreur s’engage à poursuivre l’exploitation. Le lien de parenté a été étendu au quatrième degré afin d’aller jusqu’aux cousins germains. Les transactions entre associés de longue date sont permises, mais encadrées.
Installation des jeunes
Les demandes d’autorisations seront instruites par la Safer (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) qui veillera notamment à ce que le projet ne porte pas atteinte aux exploitations existantes et contribue au développement du territoire. En cas de dépassement du seuil, les sociétaires devront s’engager à prendre des mesures compensatoires en se délestant de terrains ou en les mettant à disposition de jeunes agriculteurs, par voie amiable ou en recourant à la Safer.
Le texte facilite également l’installation des jeunes agriculteurs en permettant au préfet de suspendre une demande d’autorisation pour recueillir un plus grand nombre de candidatures. L’installation des jeunes est un des grands enjeux des années à venir. "La moitié des agriculteurs ont plus de 50 ans et leurs exploitations sont à la veille d’être transmises : il faut agir maintenant !", a déclaré Jean-Bernard Sempastous, pointant également "la baisse du nombre d’exploitations, qui met en danger notre souveraineté alimentaire".
Une évaluation de l’impact de loi sera effectué à horizon de trois ans. La FNSEA, les Jeunes Agriculteurs et les chambres d’agriculture saluent "une étape importante dans la lutte pour l’accès au foncier pour les jeunes". Cette "loi d’urgence" constituent selon eux un "prélude" et "ne suffira pas à remettre de la stabilité, de la modération et de la sécurité dans le marché foncier agricole". "Nous attendons de pied ferme la grande loi foncière lors du prochain quinquennat."
Autoroute
Confortées dans leur missions (instruction des demandes, avis, mise en œuvre des mesures de compensations), les Safer voient dans la réforme "une véritable avancée", un "dispositif inédit et novateur" qui contribuera "plus efficacement au renouvellement des générations d’agriculteurs". Des interrogations demeurent cependant "sur la mise en œuvre de ce dispositif, notamment sur la complexité de la procédure et sur les curseurs qui seront mis en place". Des améliorations pourront être apportées "après quelques années de fonctionnement", suite à l’évaluation, se satisfont-elles.
Très impliqué sur ces sujets depuis plusieurs années, le député socialiste de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier se montre plus circonspect et n’a pas caché son "amertume" lundi. "Si le contournement de la loi par le phénomène sociétaire était un chemin de traverse, nous sommes en train d’en faire une autoroute !", a-t-il lâché.