Florence en lutte contre la "globalisation" commerciale
La capitale de la Toscane peut se prévaloir d'être l'une des plus belles villes au monde, attirant d'innombrables touristes chaque année. Mais la dérégulation commerciale décidée par l'Italie à la fin des années 1990, en application d'une directive européenne, a rapidement transformé la ville. Depuis 2012, la municipalité se bat contre cette "globalisation" commerciale et a fait parler d'elle dans un litige qui l'opposait à une célèbre chaîne de fast-food. Le succès est au rendez-vous mais la ville tente à présent de réguler le marché des plateformes de location de meublés, en s'inspirant de la politique mise en place à Paris. Les explications de Dario Nardella, maire de Florence et président du réseau des grandes villes européennes Eurocities.
Les 28 et 29 juin, le Parlement de Strasbourg accueille les deuxièmes Assises européennes du centre-ville, sous l'égide de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. Organisé par l'association Centre-ville en mouvement, l'événement permettra à de nombreux maires d'Europe et du monde d'échanger sur leur vision du centre-ville. Vitalité commerciale, aménagements urbains, animation culturelle, mobilité, obligations environnementales... la rencontre sera ainsi l'occasion de mettre en avant les projets les plus innovants. Localtis, partenaire de ces assises, est allé à la rencontre de maires et de spécialistes du centre-ville, français et européens. Après le Français Philippe Laurent et le Belge Jean-Luc Calonger, place à l'Italien Dario Nardella.
Localtis - Les villes moyennes françaises luttent depuis plusieurs années pour maintenir une activité commerciale diversifiée au sein de leur centre-ville. En quoi l'expérience d’une ville comme Florence peut-elle leur être utile ?
Dario Nardella - Compte tenu de son attractivité touristique, Florence bénéficie évidemment d’une situation très particulière, que ne connaissent sans doute pas – du moins à ce degré – la plupart des villes. Pour autant, Florence a une grande expérience en matière de lutte contre la globalisation commerciale, qui a beaucoup dégradé la qualité des activités dans le centre historique de notre ville, et menaçait la diversité commerciale que vous évoquez.
En 1998, l’Italie a adopté une loi de transposition d’une directive européenne libéralisant les activités commerciales, supprimant notamment les licences communales jusque-là en vigueur. Les maires ont alors perdu le pouvoir de réguler l’ouverture des activités commerciales dans leur cité. À Florence, cela s’est rapidement traduit par une transformation de la configuration de la ville – pas seulement commerciale –, sous la pression du tourisme de masse. Depuis plusieurs années, nous nous battons contre cette dérégulation. Dans un règlement municipal de 2012, nous avons utilisé l’arme de la conservation du patrimoine culturel, tant matériel qu’immatériel, ayant une valeur supérieure à la liberté du commerce, afin de pouvoir déroger à cette loi. Nous avons dans ce cadre interdit les fast-food et les mini markets dans le centre historique de la ville. Florence est d’ailleurs restée célèbre pour son combat contre l’installation d’une chaine de fast-food bien connue en face de la cathédrale du Duomo. Face à la large mobilisation de nos concitoyens, la firme avait finalement renoncé à toute action juridique.
Nous nous sommes également employés à protéger le Ponte Vecchio des fabricants de souvenir et des vendeurs de sandwichs, en n’y autorisant que les activités historiques. Nous avons ainsi créé une banque de données des activités commerciales classées comme historiques – les cafés, les librairies, les magasins qui ont plus de 50 ans d’existence dans la ville… –, afin de réguler les installations.
Quels autres moyens, peut-être plus accessibles à des villes ne bénéficiant pas d’un tel héritable historique et culturel, pourraient selon vous être sollicités pour revitaliser les centres-villes ?
Nous utilisons pour notre part également le levier économique et financier. Nous avons ainsi supprimé la taxe foncière pendant trois ans pour toute nouvelle entreprise qui s’installe dans le centre de la ville. La ville envisage également de racheter des fonds de commerce pour les louer, à des tarifs avantageux, à des artisans qui souhaiteraient s’installer dans le centre historique.
Nous avons aussi recours au règlement urbain. Un plan est en cours d’élaboration afin d’interdire la création de nouveaux hôtels dans le centre-ville. Il faudra en fermer un existant pour pouvoir en ouvrir un nouveau. De même avec les restaurants, alors que le centre historique de la ville en compte plus de 2.000 ! En outre, depuis 2016, et sauf dérogation, tout nouveau commerce ou restaurant qui ouvre doit proposer 70% de produits issus de circuits courts ou typiques de la Toscane.
Qu’en est-il des plateformes de location de meublés ?
Compte tenu de son attractivité, notre ville est particulièrement confrontée à l’explosion des meublés touristiques. Elle compte ainsi le plus grand nombre d’appartements Airbnb par rapport à la population d’Italie : 260 pour 10.000 habitants. Nous avons été la première ville italienne à conclure un accord avec cette entreprise pour qu’elle encaisse directement le paiement de la taxe de séjour. Cela nécessite toutefois une loi. Nous allons donc lancer dans les prochaines semaines une loi d’initiative populaire – ce qui nécessite de recueillir 50.000 signatures – pour mettre en œuvre ce dispositif. Il sera proche de celui mis en œuvre par la ville de Paris, en prévoyant un nombre maximum de journées de location par an – que chaque maire pourra librement fixer – et en limitant à deux le nombre de biens pouvant être proposés à la location sur ces plateformes. Sur le modèle de ce qui a été mis en œuvre à Florence, la loi redonnera également aux maires le pouvoir de réguler les activités commerciales de leur ville, via la même dérogation "culturelle". Si la juridiction administrative a en effet toujours confirmé la légitimité de notre règlement, ses bases restent fragiles. Cela permettra ainsi d’éviter les contentieux.