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Feuille de route sur l'économie circulaire : les collectivités dans la boucle

Dévoilée le 23 avril avec un mois de retard sur le calendrier prévu, la feuille de route du gouvernement pour développer l'économie circulaire prévoit des mesures fiscales et législatives ciblant les territoires, qu'il s'agit de "mettre en mouvement autour de projets porteurs de sens". L'intégration de cet enjeu très transversal dans les stratégies locales et dispositifs existants prendra du temps. Il figurera au menu de la prochaine Conférence nationale des territoires.

Sujette à crispations et ayant fait l'objet d'une laborieuse phase d'élaboration, à laquelle les représentants de collectivités se sont estimés peu associés (voir notre article dans l'édition du 25 janvier 2018), la feuille de route visant à développer l'économie circulaire a été présentée le 23 avril dans les locaux d'une usine SEB dans les Pays de la Loire par Édouard Philippe et la secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique, Brune Poirson.

Pénaliser l'obsolescence programmée

Pourquoi la dévoiler sur le site du spécialiste du petit électroménager ? "Car parmi la cinquantaine de mesures de ce plan en figurent plusieurs qui visent à allonger la durée de vie des produits et développer le réemploi", a indiqué le Premier ministre. Des observateurs craignaient une impasse dans ce domaine. Le gouvernement sauve la mise et égrène de bonnes intentions : un affichage sur une base volontaire puis obligatoire dès 2020 de la "réparabilité" de certains produits (équipements électriques, électroniques, meubles) - l'Ademe développera pour ce faire un indice de réparabilité sur le modèle de l'étiquette énergie - et une meilleure information et cartographie des réparateurs. "La réparation, secteur faisant face à des difficultés, reste le parent pauvre du plan", déplore l'association Halte à l'obsolescence programmée (HOP). Sur la garantie légale de conformité - un consommateur peut faire réparer, même si cela est méconnu et mal appliqué, son bien gratuitement ou se faire rembourser s'il constate un défaut jusqu'à deux ans après l'achat - HOP applaudit les mesures reprises à partir de ses propositions (faciliter le dépôt de plainte auprès de la DGCCRF et son travail de contrôle). "Nous irons plus loin en portant au niveau européen une augmentation de la durée de garantie légale pour certains produits", a ajouté Édouard Philippe.

Régionaliser la dynamique

La part belle est laissée aux régions dans la déclinaison territoriale de cette feuille de route, dont les dispositions se traduiront "d’ici 2019 par des mesures législatives à travers la loi de transposition de la nouvelle directive européenne sur les déchets et dans les travaux d’élaboration des lois de finances à venir". Cette feuille de route confie ainsi aux conseils régionaux "un rôle de soutien à l'animation dans les territoires des démarches d'économie circulaire". Des stratégies régionales de transition vers l'économie circulaire y seront développées. Lesquelles dépasseront "le cadre formel des plans et schémas régionaux obligatoires" et pourront inclure "un volet d'observation, notamment pour les flux de ressources et les créations d'emploi". Pour mieux gérer ces ressources un outil existe, que la Bourgogne-Franche-Comté a été la première à tester : le bilan de flux de matières (en savoir plus ici). Cette feuille de route incite d'autres régions à se lancer. Et à mieux tenir compte des besoins de l'économie circulaire et valoriser ses métiers dans les formations professionnelles qu'elles organisent.

Commande publique responsable

Identifié comme "décisif" durant les travaux d'élaboration de la feuille de route, le levier de la commande publique va être activé pour déployer l'économie circulaire, notamment en incitant les administrations à donner les biens amortis et en bon état dont elles n'ont plus l'usage, via une interface web de dons développée en lien avec le site des ventes domaniales, un guide d'aide à la pratique destiné aux administrations, etc. Est par ailleurs évoqué, sans détail ni calendrier précis, l'objectif "d'intégrer l'économie circulaire dans les stratégies de commande publique" et d'abaisser notamment le seuil (100 millions d'euros HT d'achats annuels) à partir duquel une collectivité doit adopter un schéma de promotion des achats publics socialement responsables (Spaser). L'exemplarité de l'État, de ses opérateurs et des collectivités est aussi mobilisée à travers l'objectif d'utiliser au moins 50% de papier recyclé à compter de janvier 2022, d'utiliser à terme (étude à finaliser avant) des pneumatiques rechapés ou rechapables pour leurs flottes de véhicules lourds et des téléphones issus du réemploi dans leurs services.

Collecte et tri : réinventer les règles

De la guerre des logos sur les consignes de tri, le pictogramme Triman sort vainqueur et le "point vert", déjà rendu facultatif, va disparaître. "A compter de 2021, Triman figurera sur tous les emballages et produits destinés aux ménages relevant des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP)", a confirmé le Premier ministre. Une idée revient sur le tapis : étendre la filière REP emballages ménagers aux emballages professionnels, avec en tête "l'objectif d'augmenter le pourcentage de bouteilles et canettes collectées dans le secteur des cafés, hôtels et restaurants". Mieux collecter et trier les déchets d'emballages ménagers issus de la consommation hors foyer est aussi un vieux serpent de mer. "La loi de transition énergétique pour la croissance verte prévoit l'extension des financements des éco-organismes à cette collecte", rappelle la feuille de route.
Pour capter ces flux il est proposé aux collectivités qui le souhaitent de tester des dispositifs de "consigne solidaire". Le but ? Créer une incitation au retour du déchet consigné dans une visée solidaire : "Une bouteille ou canette collectée contribue ainsi au financement d'une grande cause, au Havre nous l'avons expérimenté et cela a permis de financer la création d'une banque alimentaire", a raconté Édouard Philippe. Pour retenir "les solutions les plus adaptées à leurs besoins, en particulier dans les zones urbaines les plus denses", les collectivités volontaires pourront lancer des appels à projets et "s'appuyer sur les technologies numériques, l'économie collaborative ou des machines automatiques de récupération de bouteilles et canettes", un soutien spécifique à la tonne collectée étant prévu via les éco-organismes pour financer ces opérations.

TGAP, TVA et nouvelles filières

Concernant la REP, le Premier ministre a souligné la nécessité d'étudier la mise en place de nouvelles filières pour les jouets, articles de sports de loisirs et de bricolage, et de simplifier les instances de gouvernance des filières existantes. Et sur le plan de la fiscalité, "de rendre d'ici la fin du quinquennat le recyclage compétitif par rapport à la mise en décharge en jouant sur les deux curseurs que sont d'un côté une hausse de la TGAP et une baisse de la TVA sur le recyclage". Dans le cadre de la conférence nationale des territoires, une concertation sur ce projet d'augmenter les tarifs de la composante déchets de la TGAP et sur ses modalités devra être menée. "Une trajectoire pluriannuelle devra être proposée pour laisser le temps aux acteurs de s'adapter", indique la feuille de route. 
Pour motiver les collectivités à passer à la tarification incitative des déchets, des mesures d'incitation sont prévues, notamment en diminuant les frais de gestion perçus par l'État pendant les premières années de son déploiement ou en réduisant les contraintes administratives qui freinent sa mise en œuvre. D'autres mesures visent la valorisation des biodéchets et un "pacte de confiance défini au niveau national" est évoqué pour mettre en place des filières vertueuses de production de matières fertilisantes et supports de culture issus de l'économie circulaire. Sur le plan réglementaire, des adaptations sont visées pour "favoriser l'économie circulaire et établir, par exemple, "une liste évolutive de déchets ne pouvant plus être admis en installations de stockage ou en incinération car devant faire l'objet d'une valorisation", ou encore "revoir à partir de 2019 les règles d'acceptation en décharge et en incinérateur des déchets de personnes morales - entreprises, collectivités locales, administrations, associations - en n'acceptant ces déchets qu'après justification via une attestation par un prestataire".