Fanny Lacroix : "La force des petits villages réside dans la simplicité de l'approche des grandes transitions"
Le projet s'appelle "Bien manger ensemble à Châtel-en-Trièves". Il a été récompensé du prix du jury de la première promotion de "l'Académie des territoires" jeudi 10 mars 2022. Son auteure, Fanny Lacroix, maire de Châtel-en-Trièves, revient, pour Localtis, sur l'année de formation qui lui a permis de "mettre bout à bout les différentes pièces du puzzle".
Localtis - Pourriez-vous nous décrire le contexte général dans lequel est né votre projet ?
Fanny Lacroix - Située dans le Sud Isère, en proximité immédiate des départements des Hautes-Alpes et de la Drôme, Châtel-en-Trièves est un petit village de 475 habitants, une commune nouvelle depuis 2017 issue de la réunification de deux villages : Saint-Sébastien et Cordéac. Châtel-en-Trièves a subi une vague de désertification rurale dans les années 1970 se traduisant par une fermeture des services présents sur les deux anciennes communes. Saint-Sébastien a perdu son école il y a une quarantaine d'années et, quand Cordéac a appris la fermeture de son école en 2016, les élus ont décidé de rassembler leur force pour conserver une commune forte et vivante en créant la commune nouvelle de Châtel-en-Trièves en 2017 ; ce qui a permis de conserver l'école de Cordéac et de créer cette nouvelle commune où les citoyens ont toute leur place pour innover et créer du service public en milieu rural.
Comment avez-vous eu l'idée de suivre cette première formation de l'Académie des territoires ?
En 2020, quand j'ai été élue, c'est mon premier mandat, les enjeux sont très importants. On a beaucoup de travail et on ne doit pas se rater. Alors quand j'ai vu la promotion pour l'Académie des territoires, je me suis dit que c'était une opportunité pour moi de pouvoir accéder à une formation de qualité dès mon début mandat. J'ai pensé que ça me permettrait d'être tout de suite dans le vif de l'action et d'être efficace tout de suite. J'avais eu connaissance de la formation par le biais de l'Association des maires ruraux de France qui en avait fait la promotion auprès de ses adhérents. Et c'est par ce biais que j'ai posé ma candidature.
Qu'en avez-vous retiré ?
C'était extrêmement intéressant. J'ai aimé pouvoir découvrir les différents sites régionaux de Sciences Po sur la France. Je n'avais pas eu cette chance là en étant étudiante. Comme quoi on peut réussir à faire ce genre de découvertes tout au long de la vie, ce que je trouve formidable ! J'ai aussi beaucoup apprécié la diversité de la promotion. Nous étions une vingtaine de participants qui représentions vraiment les territoires de France et la diversité des collectivités territoriales. J'ai trouvé extrêmement intéressant qu'une élue d'une petite collectivité comme la mienne de 475 habitants puisse discuter avec un élu de l'agglomération de Dunkerque sur des enjeux très différents mais pour lesquels il y a des résonances.
Quels ont été les temps forts ?
J'ai beaucoup apprécié le dialogue avec des chercheurs de très haut niveau. En tant qu'élu, on est plutôt dans un environnement de gestion, de technique. De pouvoir dialoguer avec des professionnels qui prennent le temps de réfléchir et transmettre des clés de compréhension du monde dans lequel on vit est très intéressant. Et cela, même si nous ne sommes que des élus de terrain - les premiers élus de la République en fait - je trouve très important que l'on puisse porter ces débats de société, avec les habitants de nos territoires.
Qu'est-ce que cette formation va changer dans votre pratique d'élue ?
J'ai pu définir un projet de mandat un peu plus clair. Pendant la campagne de 2020, nous avions structuré un programme politique. Grâce à la formation et le fait de formaliser une feuille de route territoriale avec le soutien d'un tutorat de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), j'ai pu construire le puzzle et mettre bout à bout les différentes pièces. Cela m'a permis de clarifier la méthodologie de projet. Désormais, j'arriverai à mettre en œuvre un projet structurant sur ma commune.
Pourriez-vous nous présenter le projet pour lequel vous avez reçu le prix du jury ?
Le projet s'appelle "Bien manger ensemble à Châtel-en-Trièves". Alors peut-être que cela peut vous paraître un peu simpliste quand on parle des transitions... moi je crois que la force des petits villages réside dans la simplicité de l'approche. Aujourd'hui ce qui m'intéresse, pour mon village, c'est de pouvoir faire société avec l'ensemble des habitants et de les emmener dans cette transition désirée qui crée du lien social. L'alimentation, le fait de pouvoir retrouver un lieu où bien manger ensemble des spécialités locales, des produits du territoire, de pouvoir cuisiner, c'est quelque chose de fondamental qui était déjà ressorti de lors de la dernière campagne des municipales. L'élément positif, dans notre village, c'est qu'on a réussi à conserver l'école. Tous les midis, les enfants de l'école viennent partager un repas dans la cantine municipale. Nous nous sommes dit que ce qui serait intéressant, ce serait de proposer un service, notamment aux plus fragiles et de pouvoir venir manger avec les enfants du village. Donc c'est ça le projet de Châtel-en-Trièves : c'est pouvoir offrir un outil de production alimentaire dans les locaux d'une colonie de vacances aujourd'hui désaffectée, réhabiliter sa cuisine collective, drainer les produits du territoire, cuisiner, etc. Tout ca dans une logique de transition afin de proposer à l'ensemble des habitants de venir manger ensemble ou d'offrir un service de portage de repas à domicile.
Concrètement où en êtes-vous dans la mise en oeuvre du projet ?
On a pu saisir l'opportunité du plan de relance : 80% de subventions pour pouvoir rénover la cuisine de l'ancienne auberge de la Marmottière, aujourd'hui désaffectée et qui devrait être en état de marche dans deux mois. L'autre élément positif c'est que nous avons candidaté au programme Territoire zéro chômeur de longue durée avec la communauté de communes du Trièves qui intègre totalement ce projet. Demain, les personnes qui pourraient venir confectionner les repas, aller chercher les produits chez les producteurs, ce seraient les chômeurs de longue durée. Nous avons une association qui s'est constituée à l'échelle locale, Pep’s Trièves. Elle porte avec nous ce projet de l'outil de production alimentaire.
Afin de répondre aux besoins de formation encore peu couverts des élus et plus particulièrement ceux des petites et moyennes villes, et sous l’impulsion de son ministre de tutelle - Sébastien Lecornu, à l’époque - l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), la Banque des Territoires et Sciences Po Paris se sont associés pour constituer l’Académie des territoires, en mai 2021. "Moins de 3% des élus locaux exercent leur droit à la formation, a regretté Caroline Cayeux, présidente de l'ANCT alors qu'elle concluait la cérémonie de remise des certificats jeudi 10 mars 2022. C'est donc de cette première promotion que Fanny Lacroix est sortie majore. Sur les 21 apprenants, 20 ont été certifiés, au terme de 100 heures de formation planifiées sur six mois, sur un rythme alternant des modules en présentiel (68 heures) sur les campus de Sciences Po en région et des modules en distanciel (32 heures). Cette première promotion avait réuni 8 maires, 9 adjoints, 4 conseillers municipaux ou délégués issus de régions de toute la France. Caroline Cayeux en a souligné la "triple diversité territoriale, démographique et des élus". |