Faire du pastoralisme un "atout pour le développement durable des territoires"
Deux députés veulent redonner ses lettres de noblesse au pastoralisme qui répond à de nombreux enjeux actuels : entretien des chemins, préservation des prairies d'alpage, captage du carbone, lutte contre les incendies...

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Malgré son importance pour l’entretien des paysages et pour l’activité économique de certaines vallées de montagne, le pastoralisme est un "angle mort" des politiques publiques. Il faut remonter à la loi pastorale de 1972 pour trouver une politique digne de ce nom, alors qu’il fait face à de nombreux enjeux : impacts du changement climatique et accès à la ressource en eau, préservation des prairies, prédation, statut social des bergers, partage de l’espace avec d’autres activités, notamment le tourisme, la foresterie ou la chasse.
Après un an de travaux, une quarantaine d’auditions et trois déplacements dans le Massif central, les Pyrénées-Atlantiques et le Vercors, les députés du Cantal et de la Drôme Jean-Yves Bony (Droite républicaine) et Marie Pochon (Écologiste et social) ont présenté leur rapport d'information "sur le rôle du pastoralisme dans l’aménagement du territoire, les causes de son déclin et les conséquences pour le développement durable des territoires ruraux" le 9 avril. Il alertent sur le déclin amorcé de cette activité ancestrale et formulent 45 propositions visant à lui redonner un élan à l’aune des enjeux actuels. Selon eux, le pastoralisme comporte encore 35.000 troupeaux et représente 20% de l’élevage en France. Mais le contexte général de l’élevage est celui d’une érosion rapide : 2,64% d’exploitations en mois chaque année. La filière ovine est ainsi passée de près de 13 millions de têtes en 1981 à 7,5 millions en 2012 et à environ 5 millions aujourd'hui, soit une baisse de près de 60 %. "Ces difficultés doivent nous alerter, car il ressort clairement de nos travaux que le pastoralisme est un atout pour nos territoires. La première raison est sociale", insiste Jean-Yves Bony. Les exploitations agropastorales génèrent 8,5 milliards d’euros chaque année et 10 milliards d’euros de services non-marchands, pour plus de 250.000 emplois, estiment les rapporteurs. À elle seule, la filière laitière en montagne représente 65.000 emplois directs et indirects. Or une baisse annuelle constante d’environ 5% du volume de lait collecté pendant 5 ans se traduirait par la perte d’environ 10.000 emplois, selon le rapport.
Modification des "structures de vie"
"Dans les territoires ruraux où le pastoralisme est fragilisé, on observe ainsi une modification des structures de vie. Certains villages de montagne se peuplent de résidences secondaires au détriment du maintien des populations permanentes", déplore le député du Cantal.
La mission d’information préconise de redorer le blason du berger en lui garantissant de meilleures conditions de travail (avenant spécifique aux conventions collectives, formation continue y compris pour les saisonniers, développement de "brigades" de bergers de remplacement, état des lieux et rénovation des cabanes de bergers…). Constatant les pertes d’emploi dans les filières de l'aval (transformation laitière et valorisation des fromages d'estive, abattage et découpe de la viande…), les députés préconisent des aides spécifiques pour les abattoirs territoriaux, de renforcer les soutiens de l'État aux collectivités territoriales pour atteindre les objectifs fixés par la loi Égalim (50% de produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine et 20% de bio dans la restauration collective) et de mieux assurer la transparence et la régulation des marges des différents acteurs de la chaîne de commercialisation des produits du pastoralisme. Marie Pochon se montre également favorable à une compétence alimentaire pour les communautés de communes et au soutien d’initiatives comme la "sécurité sociale de l’alimentation".
"Le pastoralisme joue un rôle majeur pour l'entretien des chemins d'accès, la préservation des prairies d'alpage et la lutte contre les incendies", souligne encore Jean-Yves Bony. Malgré ces services, il est régulièrement l’objet de conflits d’usages engendrés par la présence des troupeaux et de chiens de protection par exemple. Afin de désamorcer ces conflits, le rapport propose de créer des "espaces de dialogue" et de réunir au moins une fois par an des "comités départementaux pastoraux" sous l'égide du préfet qui réuniront l'ensemble des acteurs représentant des éleveurs et des bergers, chambres d'agriculture, associations, collectivités locales, services de l'État. S'agissant des attaques, les rapporteurs constatent qu'elles "n’ont pas augmenté en proportion de l’augmentation du nombre d’individus et qu’elles ont plutôt tendance à légèrement diminuer dans l’absolu, montrant peut-être le début d’une efficacité des mesures de protection". Ils estiment qu'il faut améliorer les outils technologiques d'aide au comptage et soutenir la recherche pour "mieux comprendre les déterminants de la prédation".
Convoitises
Alors que les prairies sont de plus en plus l’objet de "convoitises" (marché carbone, compensations en faveur de la biodiversité, implantation d'énergies renouvelables), les rapporteurs estiment que les outils de la loi pastorale de 1972 restent d’actualité mais ne sont pas suffisamment déployés, faute de moyens. C’est le cas des associations foncières pastorales : le pays n’en compte que 400 sur les quelque 35.000 exploitations pastorales. "Des moyens financiers doivent être alloués pour permettre l’embauche de plus de salariés dans ces structures", estiment-ils. Ils recommandent aussi de donner plus de moyens aux Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) en étendant à vingt ans contre cinq actuellement leur droit de préemption sur les bâtis abandonnés. Ils relèvent qu’en Occitanie, les Safer ont eu recours à l’imagerie satellitaire et l’intelligence artificielle, via le logiciel WaSaBI, pour recenser 91.000 hectares de terres abandonnées. Autres propositions : reconnaître les zones pastorales dans les documents d’urbanisme, aider les collectivités à les recenser alors qu’elles sont aujourd’hui largement émiettées et permettre aux troupeaux de paître dans des zones non entretenues "sans autorisation préalable des propriétaires". Une mesure émanant de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, pour lutter contre les incendies.
Les députés demandent une meilleure prise en compte du pastoralisme dans les aides de la politiquer agricole commune (PAC) et de "sortir l’agriculture des accords de libre-échange qui exposent les éleveurs français à des conditions de concurrence non-soutenables". Ils dénoncent à cet égard les effets pour la filière ovine de l'accord signé avec la Nouvelle-Zélande en 2022. Déjà au début des années 1980, l’ouverture du marché commun aux productions d’Australie et de Nouvelle-Zélande par le biais de l’Angleterre avait provoqué "un effondrement brutal du prix de la viande d’agneau et de la laine". Une question qui se repose aujourd'hui pour la viande bovine avec le Mercosur.