Faibles rémunérations et départs en retraite fragilisent l’avenir de l’agriculture française
Alors que le Salon de l’agriculture vient de refermer ses portes, les questions relatives au maintien de l’emploi dans les exploitations ont fait partie des sujets abordés dans les allées et autres tribunes du parc des expositions de la porte de Versailles. Tout l’enjeu est d’arriver à revaloriser les revenus pour attirer les jeunes sachant que 160.000 départs en retraite sont prévus d’ici à 2030. Pour ce faire, différentes pistes sont sur la table.
L’aspect social de la transition de l’agriculture vers un modèle plus performant pèse de tout son poids dans les discussions en cours visant tant à assurer l’avenir de l’agriculture française qu’à élaborer la future PAC 2021/2027. Alors que la moitié des agriculteurs a plus de 50 ans, on évalue à au moins 160.000 le nombre de départs en retraite au cours des dix prochaines années. Environ un tiers des quelque 400.000 exploitations seront à reprendre. "C’est colossal", commente André Bernard, vice-président de l’Apca (l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture) et président de la chambre de Paca.
Pointant "l'urgence sociale dans les campagnes", la Confédération paysanne anticipe un scénario catastrophe : "Sans installations à la hauteur, nos territoires se videront et l'industrialisation poursuivra son œuvre destructrice de l'autonomie, de la rémunération paysanne et de la planète."
Arrêt des aides publiques à "l'agriculture industrielle"
Tout l’enjeu consiste donc à assurer la transmission et attirer les jeunes dans un secteur d’activité plutôt malmené ces derniers temps. "Le comportement des jeunes changent, ils ne veulent plus de travail alimentaire mal considéré et privilégient le temps de travail et la vie de famille", constate Jacques Morineau, président de la plateforme "Pour une autre PAC". Pour les professionnels, le problème le plus important de l’agriculture aujourd’hui est celui du revenu qui est trop faible à la fois pour permettre aux exploitants de recruter et alléger leur charge de travail, que pour attirer les jeunes. "Pour cela il est indispensable de leur assurer un revenu décent, soit un peu plus du Smic", convient André Bernard.
Mais au-delà des salaires, c’est le modèle économique lui-même qui doit être réinterrogé afin d’arriver à "une rémunération correcte du travail par le marché". Le syndicat agricole Confédération paysanne, des ONG comme Oxfam, Les Amis de la Terre ou Greenpeace, et deux syndicats d'enseignants et de salariés ont demandé ensemble le 23 février l'arrêt des aides publiques à "l'agriculture industrielle", afin de bâtir une "transition sociale et écologique de l'agriculture". Le "projet de société" de la Confédération paysanne repose sur "l'agriculture paysanne", la "souveraineté alimentaire des territoires", et "la présence de paysans nombreux" plutôt que la concentration des exploitations à l'oeuvre depuis plusieurs décennies.
Aide à l’actif plutôt qu’à l’hectare
André Bernard préconise de son côté le développement de nouveaux modèles telle la structuration des filières pour aller capter de la valeur ajoutée ou encore les projets innovants de diversification et de valorisation en circuits courts pour générer des revenus supplémentaires, mais aussi les nouvelles missions confiées à l’agriculture en faveur du réchauffement climatique tel le captage du carbone.
Un autre débat porte sur l’évolution des règles d’attribution des aides de la PAC, certains souhaitant abandonner la répartition en fonction du nombre d’hectares pour passer à une répartition en fonction du nombre d’actifs travaillant dans une exploitation (plus une ferme a une masse salariale importante, plus elle perçoit d’aides). "Nous en constatons que les aides à l’hectare ont perverti le système : on a confondu la productivité du travail et celle du sol", fait valoir Jacques Morineau.
En moyenne, la subvention est de 200 à 250 euros par hectare, "ce qui est avantageux pour une ferme de 100 ha (soit 25.000 euros) mais ne représente quasiment rien pour une ferme de 10 ha si l’on compare au coût d’un actif, soit environ 30.000 euros charges comprises", poursuit le président de "Pour une autre PAC", fervent défenseur de ce modèle qui "favoriserait l’emploi et le revenu". Jacques Morineau cite en exemple son exploitation de 260 hectares qui emploie huit personnes. "Une exploitation conventionnelle de même taille emploie deux à trois personnes", précise-t-il.
Majorer les démarches de progrès
La Confédération paysanne et les Jeunes Agriculteurs sont également favorables à l’aide à l’actif, voyant dans l’aide à l’hectare un "poison" incitant à l’agrandissement des exploitations et au développement de l’agriculture industrielle.
Certes, mais passer à une aide à l’actif désavantagerait la France qui emploie moins de main d’œuvre que d’autres pays du fait de l’évolution technologique. "Je ne vois pas l’intérêt mécanique de cette évolution", se porte en faux André Bernard favorable à une évolution du dispositif devenu obsolète mais en "accompagnant et majorant les aides de ceux qui sont dans des démarches de transition et de progrès" de type agriculture biologique, le bas carbone, etc. "Ce sont les exploitations de taille raisonnable qui engagent ces évolutions, car elles offrent une meilleure valorisation des produits", argue le président de la chambre d’agriculture de Paca.
"Pour une autre PAC" considère qu’il est plus important d’avoir une meilleure répartition des aides pour favoriser l’emploi en agriculture et un type d’agriculture plus en phase avec les attentes de la société. "Il y a plusieurs moyens de faire de l’aide à l’actif", souligne Jacques Morineau, cela peut être du plafonnement des aides par exemple à 25.000 euros par exploitation ou une aide aux petites fermes de maraîchage et d’arboriculture.
La question sera au cœur d’"ImPACtons" le débat national lancé le 23 février jusqu’au 31 mai sur l'affectation des budgets européens de la PAC afin de permettre au gouvernement de bâtir d'ici l'été le plan stratégique demandé à chaque pays de l'UE par la Commission européenne.
Les régions se préparent à gérer la politique de renouvellement des générations
À compter de 2022, la quasi-totalité de la dotation jeunes agriculteurs (aide au démarrage des exploitations) sera gérée par les régions qui se verront transférer les moyens humains (agents de l’État) et financiers (crédits). Cet outil constitue une part importante des crédits publics dirigés vers la politique de renouvellement des générations (environ 80% hors aides fiscales). Dès lors, "les régions géreront 90% des crédits publics en faveur du soutien au démarrage et à l’animation de la politique de renouvellement des générations (environ 160 millions d’euros)", fait valoir Régions de France, annonçant "un basculement de gouvernance très fort sur cette politique qui était très nationale".
Mais, "dans un souci de clarification", l’association espère bien récupérer la gestion de l’intégralité de cette politique. "Au-delà des dispositifs européens, les régions veulent que la totalité des crédits d’intervention, d’animation et de soutien au démarrage leur soient confiés, ce qui serait cohérent avec les nouvelles compétences des régions en matière d’orientation, mais aussi les Sraddet".
L’enjeu est également de pouvoir rééquilibrer les crédits qui sont à 95% fléchés sur les porteurs de projet et très peu (5%) à la transmission. Or, "en aidant surtout le démarrage au détriment de la reprise, on favorise le démantèlement des exploitations, les agrandissements de celles existantes, avec le risque que certaines surfaces ne soient plus exploitées", fait valoir Régions de France dont l’intérêt est "d’avoir des projets partout qui soit viables économiquement et durable écologiquement".
Une réflexion coconstruite par les régions et les acteurs socioprofessionnels doit donc être engagée sur "le rééquilibrage des outils et à qui ils s’adressent pour avoir une politique globale du renouvellement des générations à la fois sur le volet création mais aussi transmission". Lors du salon de l’agriculture, certains acteurs, dont les chambres d’agriculture ont appelé à l’organisation d’assises sur le renouvellement des générations.