Face à la complexité du FSE, la Cour des comptes rappelle les lignes rouges
La gestion du Fonds social européen est "affectée par d’importants dysfonctionnements de gestion qu’il convient de corriger", constate la Cour des comptes dans un référé. Son contrôle s'est exercé sur le volet "compétitivité et emploi" du FSE pour la période 2007-2013. Or celui-ci fait apparaître un solde à payer de 229 millions d'euros qui restent bloqués à Bruxelles.
C’est une plongée dans les méandres du Fonds social européen (FSE) tant décrié par les bénéficiaires. Dans un référé de juin, publié le 19 septembre, la Cour des comptes constate que la programmation 2007-2013 du FSE (avant donc le transfert aux régions d’une partie de ces fonds) a été "affectée par d’importants dysfonctionnements de gestion qu’il convient de corriger". On pourrait penser qu’au moment de la négociation sur la future programmation 2021-2027, la rue Cambon réchauffe les plats. Eh bien non car les comptes de cette programmation n’ont toujours pas été validés par la Commission européenne, alors que Paris a déposé le dossier depuis mars 2017…
La France a bénéficié de 5,5 milliards d’euros sur la période (soit environ 5% des dépenses sociales du pays), dont 4,5 au titre de l’objectif "compétitivité et emploi" qui fait l’objet de ce contrôle. Or la Cour indique que les comptes de 2007-2013 font apparaître un solde de 229 millions d’euros toujours bloqués à Bruxelles, en raison d’un différend. La Cour égratigne au passage la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), l’autorité d’audit des comptes, qui a donné un "avis sans réserve" à la clôture des comptes, alors que la Commission a constaté un écart de 288 millions d’euros entre les sommes provenant des déclarations annuelles certifiées et le rapport de clôture. Soit un montant d’irrégularités trois fois supérieur aux 2% autorisés. A cela s’ajoute une différence d’appréciation sur la possibilité de "compenser des dépenses inéligibles certifiées par de nouvelles dépenses éligibles non certifiées". Ce que récuse Bruxelles. "Ce différend persistant entre la CICC et la Commission européenne témoigne de l’excessive complexité des règles européennes, complexité qui nuit à l’efficience du dispositif", déplore la Cour.
Recours massif aux "réserves de trésorerie"
Mais la machinerie bruxelloise n’est pas seule en cause : la Cour pointe tout particulièrement le recours massif aux "réserves de trésorerie" constituées par les autorités françaises. Alors que les maquettes financières tablent sur un taux de cofinancements européens de 50%, il suffit au moment des conventionnements avec les bénéficiaires d’appliquer un taux moindre (42% en moyenne) pour dégager une marge de crédits européens. Celle-ci s’est élevée entre 365 et 388 millions d’euros, soit 8% environ des sommes dues aux bénéficiaires. Une pratique légale, à condition de ne pas utiliser les crédits ainsi obtenus pour financer des opérations de la programmation précédente. C’est pourtant ce qu’a fait la DGEFP (Direction générale à l’emploi et à la formation professionnelle), à hauteur de 115 millions d’euros. Cette dernière est invitée par la Cour à "cesser sans délai" ces pratiques. Pour la programmation 2021-2027, "la constitution de la réserve ne devrait plus être autorisée par la réglementation européenne", précise cependant la rue Cambon.
La Cour dénonce aussi la logique de rattrapage qui prévaut lors de chaque programmation, au détriment de la qualité des projets. En clair, après un démarrage lent, la France a accéléré la cadence de la consommation des crédits, pour éviter les "dégagements d’office" (la restitution des crédits non consommés dans les temps). "La logique de consommation des crédits a prévalu sur la qualité des dispositifs cofinancés", constatent les magistrats. D’une manière générale, le bilan de réalisation de la programmation "reste difficile à établir". Et ce en raison d’un "trop grand nombre d’indicateurs" et d’un nombre "très élevé d’opérations" entraînant "émiettement et dispersion" : près de 11.500 structures bénéficiaires et plus de 63.000 dossiers programmés pour près de 7,1 millions de bénéficiaires...
Suspensions de paiement en série
Les nombreuses irrégularités de la programmation ont entraîné des suspensions de paiement en série visant 71 Plie (plans locaux pour l’insertion et l’emploi), l’Afpa et trois régions (Ile-de-France, Midi-Pyrénées, Paca). Ce qui a nécessité des "plans de reprise" d’envergure. L’un des contentieux les plus marquants a opposé la région Paca à la Commission qui avait ordonné une "très longue suspension de paiement". Celle-ci n’a pu être compensée que par une "réserve de trésorerie de 14 millions d’euros".
Pôle emploi n’est pas épargné : 30% de ses dépenses ont été rejetées, nécessitant là encore un important plan de sauvetage. La Cour dénonce l’absence de stratégie, le financement de très petites opérations à la journée (par exemple pour l’accompagnement de chômeurs de longue durée), le tout avec un "coût de gestion supérieur au coût de la prestation". Mais les dysfonctionnements observés ont pu être corrigés. "En devenant organisme intermédiaire pour la programmation 2014-2020, Pôle emploi a su mettre en œuvre un pilotage centralisé et organisé de l'utilisation des crédits du FSE et de l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ)", constate la Cour.