Culture - Extension des horaires de bibliothèques : l'intention est là, mais la main restera au terrain
Le rapport Orsenna sur les bibliothèques, tout en jugeant nécessaire l'extension des horaires d'ouverture, estime que le soutien de l'Etat sera nécessaire et qu'il serait périlleux de forcer la main des collectivités par une mesure nationale. Au-delà de cette question, le rapport conçoit les bibliothèques de demain comme des "maisons de service public culturel" aux missions très larges. La ministre de la Culture semble adhérer à cette idée. On en saura plus début avril.
Le 20 février, à l'occasion d'un déplacement à la médiathèque des Mureaux (Yvelines, 32.000 habitants), Emmanuel Macron, accompagné de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a reçu officiellement le rapport d'Erik Orsenna, de l'Académie française, et de Noël Corbin, inspecteur général des affaires culturelles, sur les bibliothèques. Intitulé, de façon poétique, "Voyage au pays des bibliothèques - Lire aujourd'hui, lire demain", ce rapport était surtout attendu pour ses préconisations sur l'extension des horaires d'ouverture de ces établissements culturels, même s'il aborde bien d'autres aspects. L'académicien avait en effet été chargé d'une mission sur la question en juin 2017 et a mené pour cela un véritable tour de France des lieux de lecture (voir nos articles ci-dessous du 15 juin et du 8 septembre 2017).
"Attention à la maladie du jacobinisme"
Le chef de l'Etat et sa ministre de la Culture ne se sont guère avancés lors de la remise du rapport. Dans un communiqué du 20 février, Françoise Nyssen indique en effet qu'une "journée professionnelle", organisée par le ministère le 9 avril prochain, "permettra de mettre en œuvre les préconisations d'Erik Orsenna pour transformer les bibliothèques en maisons de service public culturel de proximité, au service de la culture, de l'éducation, de l'inclusion numérique, de la lutte contre les inégalités et de l'égalité des territoires". La ministre a par ailleurs affirmé que "le projet de transformation des bibliothèques est en cours avec les collectivités territoriales".
Une chose est toutefois acquise : l'Etat accompagnera les collectivités - comme il a commencé à le faire dans la loi de finances pour 2018 en augmentant de huit millions d'euros l'aide aux collectivités territoriales pour l'extension des horaires d'ouverture de leurs bibliothèques -, mais il ne leur forcera pas la main par une mesure nationale. Le rapport d'Erik Orsenna et Noël Copin est d'ailleurs très clair sur ce point : "Ces réseaux sont fragiles. Ils doivent être accompagnés, aidés, orientés parfois, mais attention à cette maladie chez nous toujours menaçante, la maladie du jacobinisme : la verticalité écrase les initiatives locales, ankylose les énergies"...
Extension des horaires : un engagement d'Emmanuel Macron
Lors de la campagne pour la présidentielle, Emmanuel Macron avait évoqué le sujet des horaires, s'étonnant que les bibliothèques des grandes villes françaises accueillent le public une quarantaine d'heures par semaine, alors qu'elles sont ouvertes jusqu'à 98 heures à Copenhague. Le programme du futur chef de l'Etat indiquait sur ce point : "Dans une logique de contractualisation avec les collectivités locales, l'Etat prendra à sa charge les dépenses supplémentaires liées à l'ouverture en soirée et le dimanche des bibliothèques municipales et poursuivra le plan de mobilisation en direction des bibliothèques universitaires."
La réflexion sur une plus large ouverture des bibliothèques a toutefois été engagée en 2014 par le précédent gouvernement, mais n'a donné jusqu'alors que peu de résultats (voir notre article ci-dessous du 24 avril 2017). Le rapport d'Erik Orsenna et Noël Copin relève d'ailleurs que seules 130 des 16.500 bibliothèques et points de lecture de France ouvrent le dimanche, soit moins de 0,8%.
Il est vrai que le rapport rappelle aussi la complexité de la question, face à l'extrême diversité des situations et à l'importance des enjeux. Les 7.700 bibliothèques et 8.800 points d'accès aux livres emploient en effet 38.000 agents et 82.000 bénévoles, accueillent chaque année 27 millions de personnes (ce qui en fait les équipements culturels les plus fréquentés après les cinémas) et occupent une surface de 6,5 millions de mètres carrés, soit "l'équivalent de cent musées du Louvre". Leurs budgets annuels représentent un total de 1,7 milliard d'euros, pour l'essentiel à la charge des collectivités territoriales.
Un objectif de 45 à 50 heures par semaine à partir de 20.000 habitants
Malgré cette complexité, le rapport d'Erik Orsenna et Noël Copin fixe néanmoins des objectifs pour l'extension des horaires d'ouverture. A partir d'une collation des expériences étrangères, il estime ainsi que la durée d'ouverture devrait tendre vers une moyenne de 45 heures par semaine dans les communes de plus de 20.000 habitants et de 50 heures pour les villes de plus de 100.000 habitants. En outre, ces dernières devraient disposer d'au moins une bibliothèque ouverte le dimanche.
Les chiffres publiés dans le rapport montrent que la moyenne actuelle est de 38 heures à Paris, seule la BPI (Bibliothèque publique d'information du centre Beaubourg) atteignant 60 heures. Pour mémoire, la durée moyenne est de 65 heures à Stockholm, 72 heures à Stuttgart, 78 heures à Londres ou à Helsinki, 84 heures à Amsterdam, 88 heures à New York et effectivement 98 heures à Copenhague.
Le rapport estime aussi que le coup de pouce de huit millions d'euros à la dotation générale en faveur des bibliothèques devrait permettre à l'Etat d'apporter un soutien financier à environ 200 projets d'extension des horaires, mais sans couvrir pour autant l'intégralité des surcoûts. Les auteurs en profitent au passage pour demander le maintien des emplois aidés dans les bibliothèques, dans la mesure où ils constituent un "chaînon indispensable entre les professionnels et les bénévoles". Dans les petites communes, ils préconisent de mutualiser des locaux et des personnels d'accueil entre la bibliothèque et la Poste.
Le rapport égratigne aussi l'Etat, qui presse les collectivités d'élargir les horaires d'ouverture de leurs bibliothèques, mais ne fait pas grand chose pour les bibliothèques universitaires. Moins de quinze d'entre elles sont en effet ouvertes le dimanche sur l'ensemble du territoire, pour un total de 2,5 millions d'étudiants.
Vers des "maisons de service public culturel"
Erik Orsenna et Noël Copin ne se cantonnent pas à la question des plages d'ouverture. Reprenant les conclusions du colloque sur "La bibliothèque du XXIe siècle", organisé dans le cadre de la mission à l'automne dernier (voir notre article ci-dessous du 27 septembre 2017), et les annonces de Françoise Nyssen devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale (voir notre article ci-dessous du 8 novembre 2017), le rapport retient l'idée d'une transformation progressive des bibliothèques en "maisons de service public culturel".
Celles-ci verraient ainsi leur rôle renforcé dans toutes les pratiques culturelles, ce qui coïncide avec l'usage actuel des bibliothèques, où les visiteurs ne viennent pas seulement pour lire (voir notre article ci-dessous du 20 juin 2017). Il s'agirait notamment de multiplier les partenariats, de développer les réseaux de lecture publique avec l'Education nationale, d'encourager la lecture "au-delà des murs des bibliothèques", de lutter contre la fracture numérique, ou encore d'accompagner la recherche d'emploi dans le cadre d'actions d'insertion. Le rapport va même jusqu'à suggérer, "lors de la rénovation ou construction de nouvelles bibliothèques, [de] privilégier (surtout dans les villes petites et moyennes) la mutualisation d'espaces avec des services intervenant dans le champ de la cohésion sociale (PMI, CCAS, Pôle emploi) et les maisons de services au public".
De son côté, le ministère de la Culture préconise aussi que chaque département compte au moins une "bibliothèque référente" pour l'apprentissage du français - notamment à destination des migrants - et que trois bibliothèques au moins dans chaque département proposent au public un module de sensibilisation aux "Fake News".
Il faut désormais attendre le 9 avril pour connaître les suites données au rapport et les moyens qui permettront de les concrétiser.