Poitiers ouvre grand les portes du Palais des Ducs d’Aquitaine (86)

Palais comtal et ducal, puis Palais de justice après la Révolution et jusqu’en 2019, le Palais des Ducs d’Aquitaine est un des rares témoins de l’architecture civile médiévale en Europe. Ses dimensions vertigineuses (50 m de long, 17 m de large, soit 850 m² de splendeurs) et son immense salle des pas perdus, qui accueillait autrefois les troubadours autour d’Aliénor d’Aquitaine, ont traversé les siècles.

En 2016, l’État annonce le déménagement de la Justice dans de nouveaux locaux, dans l’ancien lycée des Feuillants. Dès lors, la Ville de Poitiers décide de faire l’acquisition du Palais. En 2019, le Tribunal de Poitiers quitte les lieux. Mais avant de décider la nature de la future reconversion et de définir un projet, la municipalité, alors dirigée par le maire PS Alain Claeys, décide de commencer par ouvrir les lieux aux habitants. Dès 2019, ces derniers peuvent découvrir cette merveille, jusque-là connue seulement des justiciables et des professionnels. D’importants travaux de recherche, d’aménagements et de restructuration seront nécessaires pour adapter le site à de nouveaux usages. Et cela va prendre du temps…

Point névralgique de la ville

Dès 2017, un comité de pilotage initie un préprogramme. La ville poursuit la démarche de réflexion et d’enrichissement des usages, en lançant une concertation en 2018. Une exposition itinérante va circuler pendant un an, en 16 étapes : dans les maisons de quartiers, des mairies du Grand Poitiers, à l’Université, mais aussi dans une galerie commerciale, faisant participer un grand nombre de personnes. En complément à cette exposition, des « Rendez-vous des idées » sont organisés, et permettent de prendre en compte l’avis des habitants. Ils recueillent près de 3 000 contributions. En parallèle, un défi « hackathon » est ouvert au grand public, en lien avec la thématique du Palais, et va permettre d’enrichir le regard porté sur le projet.

En 2019, la ville inaugure l’événement Traversées, un parcours artistique et culturel, qui invite à (re)découvrir 20 lieux parfois méconnus du grand public ou non accessibles, à travers le regard de 30 artistes, pour une durée de 3 mois. Au cœur de cet événement : le Palais des Ducs d’Aquitaine, réouvert au grand public, avec une volonté forte d’expérimenter de nouveaux usages.

Dans le cadre de Traversées, la Scet, filiale de la Caisse des Dépôts, est missionnée pour réaliser une étude de publics, impacts et retombées, qui vise aussi à calibrer les moyens et investissements nécessaires pour le projet. Une enquête est menée auprès de plus de 1 000 personnes. Cette démarche, conjuguée aux résultats de la concertation de 2018, conduit à conforter les premières hypothèses et surtout l’intérêt exprimé par les publics pour se (ré)approprier l’édifice, et voir se développer des projets culturels et patrimoniaux.

Un appel d’offres est entrepris auprès d’équipes d’architectes, puis un dialogue compétitif est lancé. L’agence Atelier Novembre Architectes en sort lauréate en 2021. Elle a déjà réalisé la transformation du Cent-Quatre à Paris (les anciennes Pompes Funèbres de la ville de Paris reconverties en espace culturel grand ouvert sur la ville dans un quartier populaire de la capitale). Le Cent-Quatre sera une source d’inspiration pour la suite du projet.

Nouvelle équipe municipale

La municipalité de Poitiers se fait remettre les clés du Palais en janvier 2020. Mais les élections municipales de juin 2020 marquent l’arrivée d’une nouvelle équipe autour de Léonore Moncond’huy (EELV), qui décide de poursuivre le projet du quartier du Palais.

Charles Reverchon-Billot, maire adjoint chargé des espaces publics et délégué aux droits culturels, en témoigne : « Il n’y avait pas de sujet. Nous étions convaincus. Si la mairie ne se saisissait pas du projet, personne d’autre ne l’aurait fait. » La nouvelle équipe municipale réoriente néanmoins légèrement le projet en adoptant « le principe d’un projet évolutif, avec la possibilité d’expérimenter dans le temps, d’échouer parfois, mais en tout cas de ne rien figer », poursuit l’élu. Le projet de créer des espaces numériques très technologiques, type espaces gamers, est ainsi abandonné : « Ce type d’équipement vieillit très vite. C’est pourquoi nous misons plutôt sur la polyvalence et la réversibilité. Nous souhaitons que tous les espaces puissent servir à tout », indique l’élu. Le fil directeur est celui d’une ouverture à la population, pour construire un lieu de débat animé participant pleinement de la vie culturelle, citoyenne et scientifique du territoire, en lien avec les acteurs qui le composent, et en phase avec les enjeux autour du collectif.

Sous leur impulsion, dès 2020, la Salle des pas perdus, traversante, est ouverte gratuitement et tous les jours au public et une série d’événements et de propositions est programmée. 130 000 visiteurs découvrent avec stupeur la charpente spectaculaire de la nef, au cours de l’année 2022.

Un plan guide pour le réaménagement du centre ancien

Au sein de l'équipe de maîtrise d'œuvre, c'est l'Atelier Jacqueline Osty et associés qui est en charge de la conception et de l'aménagement des espaces urbains et paysagers. Cette mission se décline dès le Palais et ses espaces adjacents, et dans l'ensemble du quartier. Ce schéma directeur a déjà fixé les contours d’un réaménagement urbain harmonieux du centre ancien. À moins de 10 minutes à pied du Palais se trouve en effet un ensemble urbain à (re) découvrir, rassemblant en quelques rues la cathédrale Saint-Pierre, l’église Sainte-Radegonde, l’Espace Mendès France, le baptistère Saint-Jean, et le musée Sainte-Croix, à proximité de la rivière Clain. Par exemple, dans la rue de la Cathédrale, qui devait être refaite pour moderniser les réseaux de gaz notamment, une amélioration de l’éclairage, des essences végétales plantées, des pavés, est actuellement à l’étude. « Le principe d’une réinvention itérative est indiqué dans le cahier des charges des architectes, précise Charles Reverchon-Billot, l’élu chargé des espaces publics. Aujourd’hui, nous connaissons le programme fixé. Mais nous continuons de tester les assises, les jeux pour enfants, etc. et ceci au-delà du Palais. »

Les grandes lignes maintenues, mais assouplies

En poste depuis 2018 au sein de la direction Culture Patrimoine de Poitiers, Nadège Gauthier assure la coordination du projet du Palais. Elle a donc participé aux réflexions depuis le début. « Ce projet se mène dans une grande continuité : les grandes lignes fixées au départ sont maintenues, mais avec des principes plus souples pour une plus grande adaptabilité et plasticité des usages, et davantage de réversibilité. Nous avons ici 6 000 m² très enclavés dans le centre-ville, il faut donc que les espaces soient modulables. Depuis que la ville a racheté le Palais, et du fait de la programmation variée et de l’ouverture du site, un fort lien d’attachement s’est noué entre les habitants et le lieu. Des gens viennent y travailler avec leur ordinateur, flâner… Cela nous a permis d’expérimenter le lieu en tant que maître d’usage pour affiner le travail et les échanges avec le maître d’œuvre. Nous avons ainsi pu tester différentes configurations d’événements et évaluer l’acoustique, les circulations, etc. Cela nous a beaucoup servis, car nous connaissons désormais les contraintes, et nous pouvons donc mieux affiner et défendre certains points essentiels. C’est vraiment un état d’esprit. La préfiguration urbaine dans l’espace public permet de faire vivre le lieu et d’enrichir le projet tout en avançant sur sa réhabilitation », témoigne-t-elle.

Une équipe projet et des médiateurs

Pour parvenir à ces échanges avec la population, l’équipe se compose d’une coordinatrice, d’un régisseur général et de 4 médiateurs culturels, issus d’écoles d’arts ou guides conférenciers.

En parallèle, une équipe projet est mobilisée pour la pleine réussite de cette opération. Cette équipe transversale permet la collaboration des directions Culture Patrimoine et Patrimoine bâti, et de l’ensemble des services impliqués dans la réhabilitation du Palais et de son quartier.

Par ailleurs, des espaces de travail ont été confiés à cinq associations qui ont installé leurs bureaux dans le Palais des Ducs d’Aquitaine.