Exonérations d'impôts locaux : un manque à gagner parfois exorbitant pour les collectivités
Après des années d'opacité, la transparence grandit sur le coût, pour les collectivités territoriales, des mesures d'exonération d'impôts locaux décidées nationalement. Un rapport au Parlement du ministère de l'Action et des Comptes publics, que Localtis s'est procuré, confirme ce que des associations d'élus locaux redoutaient : les collectivités territoriales les plus fragiles paient un lourd tribut.
Le courtois mais ferme rappel à l'ordre que le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale a formulé, en séance le 16 novembre dernier, n'a pas été vain. Quelques jours plus tard, Bercy a remis au Parlement le rapport sur "le coût pour les collectivités territoriales des mesures d'exonération et d'abattement d'impôts directs locaux" (à télécharger ci-dessous). En inscrivant, en octobre de l'année dernière, la réalisation de ce rapport dans le projet de loi de finances pour 2017 (à l'article 14, devenu l'article 33 lors de la promulgation de la loi), les députés voulaient faire toute la lumière sur "le coût réel de la perte de recettes pour les collectivités" qu'engendrent les exonérations d'impôts locaux décidées par le Parlement, comme l'avait expliqué le député François Pupponi, auteur de la disposition. Lors de la discussion de l'amendement dans l'hémicycle, celui qui était alors aussi maire de Sarcelles était, avec ses collègues, encore troublé par les informations révélées quelques instants plus tôt sur le sujet par la rapporteure générale de l'époque, Valérie Rabault. "Pour 2015, il fallait compenser 4 milliards - 2 milliards sur la taxe d’habitation, 1,7 milliard sur le foncier bâti et 252 millions sur le foncier non bâti", avait-elle déclaré, d'après le compte rendu de l'Assemblée nationale. Or, "le montant réellement compensé […] s’élève à 1,8 milliard !", avait-elle précisé. Un montant jugé "extrêmement faible".
Le rapport que le gouvernement a remis avec deux mois de retard aux parlementaires confirme que les collectivités subissent un important manque à gagner, en raison de la compensation partielle par l'Etat des exonérations de fiscalité directe locale. Au fil du temps, cette compensation s'est érodée. En effet, la plupart des compensations d’exonérations sont calculées en ne prenant pas en compte l'évolution des taux fixés par les collectivités. Le taux constaté au moment de la mise en place de l’exonération sert de référence. En outre, les compensations d'exonérations de fiscalité locale font partie des concours financiers de l’Etat. Depuis 2008, elles ont été progressivement intégrées aux "variables d’ajustement" qui permettent, à l'intérieur d'une enveloppe de dotations constante ou en en baisse, de financer la croissance de certaines dotations (notamment celles qui ont un objectif de solidarité).
Des difficultés accrues pour les villes pauvres
Parmi les allocations compensatrices, celles qui concernent des exonérations de taxe sur le foncier bâti apparaissent particulièrement faibles. Ainsi, en 2016, les communes n'ont perçu que 39,7 millions d'euros pour l'exonération de cette taxe au profit les personnes de condition modeste. Si elle n'avait pas été intégrée en 2009 aux "variables d'ajustement", l'allocation se serait élevée à 177,6 millions d'euros (pour un montant exonéré proche de 306 millions d'euros).
Les compensations pour les exonérations de taxe sur le foncier bâti mises en place sur décision de l'Etat dans le but d'aider la construction de logements sociaux ou le développement des quartiers de la politique de la ville sont également largement amputées. Par exemple, l'abattement de 30% sur la base d’imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) dont bénéficient les logements sociaux situés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville donne lieu à une compensation à un taux figé avoisinant 40%. En 2016, les collectivités territoriales et les groupements ont par conséquent été obligés de renoncer à près de 156 millions d'euros de recettes de taxe foncière. Dans le détail, la perte a atteint 91,7 millions d'euros pour les communes, 5,5 millions d'euros pour les intercommunalités et 58,5 millions d'euros pour les départements. Sans disposer de ces chiffres, France urbaine et l’Association des maires Ville et Banlieue alertaient déjà dans un communiqué, en octobre 2016 : "La charge du mécanisme d’exonération dont bénéficient les bailleurs sociaux pèse essentiellement sur les budgets des villes les plus pauvres", pointaient les deux associations d'élus locaux. Qui appelaient à mettre un terme à cette "iniquité" allant à l'encontre, selon elles, des efforts réalisés en direction des quartiers de la politique de la ville.
La transparence progresse
Peu de temps après, la Cour des comptes a dressé les mêmes constats. La tendance à la diminution des compensations d'exonérations de fiscalité locale est "susceptible de désavantager les collectivités en situation structurellement difficile au regard de leurs indicateurs de richesse et de charges", considérait-elle dans son rapport sur les finances publiques locales d'octobre 2016. En conclusion, les magistrats appelaient les administrations centrales de l'Etat à un meilleur "suivi" des dégrèvements et exonérations d’impôts locaux et à plus de transparence à l'égard des collectivités territoriales. Enfin, la Cour jugeait qu'il serait "de bonne gestion" de s’assurer de l'"efficacité" de ces dégrèvements et exonérations.
A l'égard de l'enjeu de transparence, des progrès sont à observer. En témoignent le rapport de Bercy et l'annexe au projet de loi de finances pour 2018 consacrée aux transferts financiers de l'Etat. Paru en octobre dernier, ce "jaune budgétaire" a détaillé (page 74) les montants des compensations et dotations de compensations versées aux collectivités territoriales dans leur ensemble, du fait des exonérations de fiscalité locale décidées nationalement.