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Europacity : deux visions de l'avenir qui s'affrontent sur le Triangle de Gonesse

Depuis plusieurs années, Immochan, filiale du groupe Auchan, travaille avec un investisseur chinois à la création d'un méga-complexe sur le Triangle de Gonesse dans le Val-d'Oise, en pleines terres agricoles. Si l'Etat et une bonne partie des collectivités soutiennent le projet, les opposants restent nombreux et mobilisés. Ils avancent un projet alternatif, présenté comme une vitrine de l'agroécologie en milieu périurbain...

La mobilisation contre le projet Europacity ne faiblit pas. Les opposants ont présenté aux habitants du secteur un projet alternatif début juin 2017 et une manifestation rassemblant 500 à 800 personnes a eu lieu le 21 mai dans le centre-ville de Gonesse pour affirmer le refus du projet qui doit voir le jour en 2024... sur des terres agricoles.
Ce projet d'Europacity a été dévoilé en 2011. Il est porté par Immochan, la filiale immobilière du groupe Auchan, en partenariat avec un investisseur chinois, Dalian Wanda, spécialisé dans l'immobilier et le divertissement. Son coût : 3,1 milliards d'euros.
Il s'agit d'un méga-complexe, "concept inédit" d'après le député-maire PS de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, avec la création d'un centre commercial immense (230.000 m2), des loisirs (150.000 m2) et des espaces culturels (50.000 m2). Il vise quelque 31 millions de visiteurs par an, et s'étend sur 80 hectares de terres, actuellement agricoles, sur le Triangle de Gonesse dans le Val-d'Oise. Il illustre le phénomène d'artificialisation des terres qui, après quelques années de répit, est reparti à la hausse, comme le montre la FNSafer dans son dernier rapport.

Manque d'intégration, consommation énergétique...

Dès son démarrage, le projet a suscité des critiques : son manque d'intégration dans le territoire, l'absence de cinéma dans la partie culturelle, la consommation énergétique de la piste de ski prévue dans le projet, l'impact du projet sur l'emploi local, et la concurrence avec les commerces alentour, notamment de centre-ville…
Après un débat organisé de mars à juillet 2016 et un rapport d'experts du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), pointant les effets sur le tissu économique local, le groupe Auchan a présenté une nouvelle copie en décembre 2016, annonçant des évolutions et la possibilité de phaser le projet.

Un projet alternatif pour l'agroécologie

Insuffisant pour mettre fin aux critiques. Les inquiétudes majeures du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, qui se positionne contre le projet, concernant l'emploi, la qualité de vie des habitants du territoire et les aspects écologiques, n'ont pas trouvé de réponses dans le dossier présenté par l'investisseur.
Pour sa part, le Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG) soutient, à la place du méga-complexe, un autre projet, porté par le groupement Carma (Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine et agricole), qui rassemble des acteurs du monde agricole (Fermes d'avenir, Biocoop, le réseau Amap…). Né de l'appel à projets "Inventons la Métropole du Grand Paris", mais non sélectionné, ce projet est conçu comme une vitrine francilienne de l'agroécologie en milieu périurbain. Il prévoit un "Farm Lab" permettant aux porteurs de projets de s'informer sur les nouveaux métiers liés à la terre et sur les filières de formations, un espace santé et un pôle recherche et enseignement.

"Un atout considérable"

Les autres collectivités territoriales et l'Etat soutiennent quant à eux le projet. "Il fait partie d'un projet plus vaste de développement économique du Triangle de Gonesse, explique ainsi à Localtis Jean-Pierre Blazy. Ce projet qui s'étend sur 300 hectares, avec 80 hectares pour Europacity, doit permettre au territoire de retrouver de l'attractivité." S'il dispose d'atouts, avec notamment deux aéroports, Roissy et Le Bourget, le territoire souffre d'une image négative, conjonction entre le climat des banlieues parisiennes de cette zone et les nuisances liées aux liaisons aériennes (bruit, pollution…). Associé à la candidature du territoire pour l'Exposition universelle de 2025*, le projet Europacity représente un "atout considérable", défend le maire. "Dans ce Grand Paris du XXIe siècle, qui intègre la périphérie, on pourra aller voir une exposition à Europacity comme on va voir une exposition au Grand Palais", affirme-t-il.
Une gare du Grand Paris Express est prévue sur la ligne 17 du Triangle de Gonesse. "Elle n'est pas destinée seulement à Europacity, qui ne représente qu'un tiers du projet du Triangle de Gonesse", détaille Jean-Pierre Blazy, précisant qu'Immochan devrait aussi participer à son financement (80 millions d'euros au total). Il s'agit de l'une des critiques du collectif CPTG.

7.400 à 8.100 emplois

Quant aux emplois promis, entre 7.400 et 8.100 selon les estimations de la présidente de la commission particulière du débat public, le maire est plus prudent. "Il faut travailler dès maintenant sur la question de la formation pour que les emplois prévus puissent bénéficier à la population locale, explique-t-il, et pour le moment, ni l'Etat ni la région Ile-de-France ne nous assurent de nous accompagner dans ce domaine."
Côté commerce, le maire de Gonesse considère qu'il ne devrait pas y avoir de concurrence avec les commerces existants, les boutiques prévues étant plutôt orientées vers le haut de gamme. "Nous ne savons pas quels commerces seront présents", assure pourtant à Localtis Bernard Loup, président du collectif CPTG. Et sur la question de l'agriculture, le projet s'étendant sur 80 hectares de terres agricoles, le maire assure avoir choisi la zone la moins facilement exploitable pour les agriculteurs.
Mais "à ce stade, nous avons encore beaucoup d'interrogations, souligne toutefois Jean-Pierre Blazy, car l'investisseur n'a pas précisé tous les éléments de progression sur lesquels il compte travailler. Nous en saurons plus d'ici la fin de l'année".

Rester vigilant sur les exigences

La région Ile-de-France, qui soutient également le projet, reste elle aussi vigilante sur les exigences en termes d'emploi, d'environnement, de commerce et de transport. "Les services de la région resteront attentifs aux aspects environnementaux (gestion du chantier, ferme urbaine, parc des neiges) et en particulier au bilan hydrique et carbone du projet ainsi qu'à la gestion des déblais et remblais, et à l'approvisionnement en énergie, signale-t-on ainsi à la région. Les enjeux d'accessibilité des emplois à la population locale et de différenciation commerciale afin de préserver l'activité existante sont également des aspects essentiels."
Même topo du côté du département du Val-d'Oise. Dans le rapport voté en juillet 2016, si les élus du département émettent un avis favorable sur le projet, considéré comme très innovant et prospectif, ils formulent quelques exigences, comme la mise en place par Europacity de dispositifs de partenariats avec les TPE-PME et sa participation au campus des métiers et des qualifications, à travers des actions de formation et l'appui à l'apprentissage et l'alternance. Ils demandent aussi à ce que les infrastructures viaires et de transports collectifs nécessaires à la bonne desserte d'Europacity soient réalisées tous modes confondus (ferroviaire, bus, routier, circulations douces).

* La décision doit intervenir le 26 juin 2017.