Etat d'urgence : le Conseil constitutionnel censure l'interdiction de séjour
Alors que le gouvernement s'apprête à faire entrer dans le droit commun nombre des dispositions de l'état d'urgence, le Conseil constitutionnel a censuré, le 9 juin, l'interdiction de séjour (incluant l'interdiction de manifester) contenue dans ce régime d'exception.
Saisi par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution la mesure d’interdiction de séjour prévue dans le cadre de l’état d’urgence. Cette mesure (article 5 alinéa 3 de la loi du 3 avril 1955) permet au préfet de département d’interdire le séjour "dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics". Ce qui inclut notamment l’interdiction de manifester. Le requérant était d’ailleurs un opposant à la loi travail qui, en 2016, s’était vu privé de la possibilité de manifester. Or dans sa décision du 9 juin, le Conseil constitutionnel estime que le législateur "n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit de mener une vie familiale normale". Le périmètre d’interdiction peut notamment inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne visée, précise-t-il. Le Conseil constitutionnel reporte au 15 juillet 2017 la date d’abrogation de cette mesure, afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité.
Etat d'urgence permanent
Cette décision ne devrait cependant pas affecter le projet de loi envisagé par le gouvernement pour faire entrer dans le droit commun cet état d’exception créé en 1955 dans le contexte de la guerre d’Algérie (on rappellera au passage que la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, avait déjà été présentée par le gouvernement Valls comme un moyen de sortir de l'état d'urgence). L’interdiction de manifester ne figure pas en effet dans l’avant-projet de loi diffusé dans la presse le 7 juin. Ce texte, qui devrait être présenté en Conseil des ministres le 21 juin, en même temps qu'un nouveau projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, devrait en revanche reprendre plusieurs dispositions maîtresses du dispositif : les assignations à résidence, les perquisitions administratives, les fermetures de lieux de culte, les zones de protection et de sécurité. Une sorte "d’état d’urgence permanent", qui va à l’encore de la promesse d’Emmanuel Macron de sortir de ce régime d’exception instauré après les attentats du 13 novembre 2015 et reconduit cinq fois depuis lors (avec plusieurs aménagements à la clé).
Dans tous ces cas de figure, le préfet sera décisionnaire sans que l’autorité judiciaire ait son mot à dire. Un garde-fou a toutefois été prévu puisque ces mesures seront exclusivement réservées à la lutte contre le terrorisme. Ce qui n’était pas le cas auparavant, l’état d’urgence ayant même été utilisé pour assigner à résidence des militants écologistes au moment de la COP21 à Paris en décembre 2015, afin de les empêcher de manifester. Un de ces militants avait d’ailleurs saisi le Constitutionnel d'une QPC. Or dans sa décision du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel avait jugé conformes à la Constitution les assignations à résidence prises dans le cadre de l’état d’urgence (article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955). Et contrairement à la mesure d’interdiction de séjour, il n’avait pas vu dans cette assignation à résidence d’atteinte à la liberté d’aller et venir. Les Sages avaient cependant émis deux conditions. En premier lieu, les assignations à résidence ne peuvent être prononcées "que lorsque l'état d'urgence a été déclaré" (ce qui pourrait poser un problème constitutionnel au projet de loi gouvernemental). Par ailleurs, elles doivent être "justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence".
Référence : décision du Conseil constitutionnel n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017.