Politique de la ville - Epareca, un établissement "original" selon la Cour des comptes
Peut-on en même temps se réjouir de voir jouer Epareca dans la cour des promoteurs (qui plus est dans une cour où les promoteurs privés ne veulent pas aller : les quartiers de la politique de la ville) et lui reprocher de prendre des risques ? La Cour des comptes se garde bien de le faire, dans un rapport rendu public le 7 octobre, sur les comptes et la gestion de l'Etablissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) pour les exercices 2001 à 2012.
L'avis général des magistrats est même assez positif sur cet "outil d'intervention original, doté de prérogatives de puissance publique, ayant pour mission de restructurer le commerce ou l'artisanat de proximité dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville". Rien à redire non plus sur le fait qu'il "n'intervient qu'à défaut de l'initiative privée, dans une logique transitoire qui vise le retour au droit commun au plus tôt, dès que les résultats d'exploitation sont conformes à la prévision nominale et que les conditions d'environnement urbain sont stabilisées".
La Cour se félicite même que "malgré les difficultés liées aux interventions dans les quartiers prioritaires, l'Epareca (*) s'est imposé comme l'unique promoteur national public de commerces sur le territoire français". Résultats à l'appui : "Sur l'ensemble des sites en exploitation par l'Epareca au 31 décembre 2012 (296 locaux en exploitation), le taux de vacances des commerces est de 13,5% (40 locaux). Avant l'intervention de l'Epareca, le taux de vacances était de 37,1%, ce qui permet de mesurer l'utilité économique de cet organisme."
Evaluer le retour en termes d'emplois
La Cour ne doute pas non plus que d'autres indicateurs pourraient justifier l'utilité de l'établissement public, comme le nombre d'emplois maintenus ou créés, ou encore l'effet de levier des opérations. C'est le sens de sa recommandation n°7 : "Mesurer l'effet levier et le nombre d'emplois générés par les opérations de l'Epareca."
"L'établissement travaille à la mise en place d'indicateurs", assure son ministre de tutelle, Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, dans sa réponse publiée en annexe du rapport. "L'établissement a engagé, en relation avec l'Anru, une mission conjointe dont l'un des objectifs est d'analyser cet effet levier", précise son autre ministre de tutelle, Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, dans sa réponse signée avec Carole Delga, secrétaire d'Etat chargé du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.
L'évaluation en termes d'emplois créés ou maintenus serait mesurée à deux phases clés d'intervention : lors de la mise en investissement des centres commerciaux, puis après leur cession à un investisseur privé. Bercy met en garde : "La nécessité de rééquilibrer l'offre commerciale dans un centre en difficulté pour assurer sa pérennité et sa rentabilité peut conduire à réduire provisoirement son volume, l'effet positif sur l'emploi devant alors être mesuré à moyen terme."
Pour une "démarche globale de maîtrise des risques de l'établissement"
"Le succès d'une opération nous semble devoir être apprécié à titre principal au moment de la revente finale à un investisseur privé", estime aussi Annie Guillemot, présidente du conseil d'administration d'Epareca, et Thierry Febvay, son directeur général. Et cela également pour ce qui concerne "les risques et les échecs" rencontrés par l'établissement public.
"Le rapport indique à plusieurs reprises que l'activité de l'établissement présente des risques. Nous confirmons naturellement l'existence de ces risques qui expliquent en bonne partie la faiblesse de l'initiative privée et qui renforcent la nécessité d'une intervention publique telle que la mène notre établissement", réexplique les représentants d'Epareca.
Car si la Cour constate que "la gestion est globalement maîtrisée", elle invite à établir une "démarche globale de maîtrise des risques de l'établissement" qui prendrait en compte quatre de ses recommandations (soit la moitié !). Il faudrait par exemple "renforcer la maîtrise des risques de recouvrement : rédaction des contrats d'assurance, suivi des créances des locataires, suivi financier des partenaires (Ndlr : réclamer aux collectivités les subventions promises !), relance des créanciers défaillants" (recommandation n°2). Ce à quoi Patrick Kanner a répondu que, promis, la définition d'une politique de gestion des impayés de loyers et de charges sera proposée au conseil d'administration d'Epareca.
Des améliorations des processus budgétaires déjà dans le COP
Le ministre a également indiqué que les trois autres recommandations concernant l'amélioration des processus budgétaires sont déjà à l'ordre du jour du contrat d'objectif et de performance (COP) 2013-2015 signé il y a un peu moins d'un an, le 23 décembre 2013. Il s'agit de "mettre en place un dispositif de contrôle interne comptable et financier formalisé" (recommandation n°3). Mais aussi de "renforcer les modalités du contrôle financier afin de les adapter aux risques financiers et économiques de l'établissement (seuil de visa préalable moins élevé pour les marchés d'investissement, audits périodiques des zones de risques identifiées dans le cadre de la cartographie des risques financiers établie conjointement par l'ordonnateur, le contrôleur financier et le comptable public)" (recommandation n°4). Et enfin de renforcer la procédure des achats publics en mettant "en place un pilotage centralisé de l'ensemble des achats et actualiser le guide de procédure" (recommandation n°5).
Les collectivités retiendront également que la Cour suggère à Epareca de leur facturer désormais les "expertises flash". Aujourd'hui financées intégralement par Epareca, ces expertises, d'un montant de 10.000 euros environ, apportent un premier éclairage sur les perspectives de reploiement commercial d'un site sans préjuger d'une intervention future de l'établissement. Un cofinancement s'imposerait selon la Cour, au motif qu'elles constituent "un outil d'aide à la décision" pour les collectivités.
Rompre avec la politique de guichet
La Cour des comptes est plus sévère sur ce qu'elle considère être la "politique de guichet" de l'établissement. Elle note à juste titre que sur les 200 zones commerciales et artisanales qui nécessiteraient une intervention d'Epareca, seules 15 pourront faire l'objet d'une intervention de l'établissement entre 2013 et 2015. "Une priorisation des interventions en fonction de l'urgence des situations sur l'ensemble du territoire français, et non seulement au profit des collectivités ayant connaissance de son existence, est nécessaire", estime-t-elle, reconnaissant que l'actuelle direction d'Epareca a la volonté de résoudre cette difficulté par une actualisation de l'état des lieux des commerces en zones prioritaires de la ville et la mise en œuvre d'une nouvelle grille d'intervention, établie depuis le 26 novembre 2013, prenant en compte le nécessaire rééquilibrage territorial de l'établissement.
Car pour la Cour, il n'y a pas de doute : "Si la volonté de la collectivité est première dans la capacité de l'établissement à investir sur un territoire, il n'en reste pas moins que l'Epareca est un opérateur public national et doit, à ce titre, favoriser les actions les plus urgentes, tout en veillant à la durabilité économique de l'investissement." Elle conseille donc que, dans le cadre de la démarche de sensibilisation menée par Epareca dans les territoires peu investis, "ce ciblage des zones [puisse être] réalisé de manière systématique à partir d'une demande de recensement auprès des nouveaux référents locaux Epareca dont la création est prévue dans le COP 2013-2015" (recommandation n°1).
Pour mémoire, la dernière recommandation (n°8) porte sur la gouvernance d'Epareca (durée des mandats des présidents, élus parlementaires et locaux, ainsi que sur les conditions de réélection des administrateurs).
Interdiction de recours à l'emprunt : et alors ?
La Cour note que "le recours à l'emprunt, même s'il en est fait un usage modéré, est consubstantiel à l'activité de l'Epareca dont le décret statutaire prévoit qu'il est autorisé à emprunter dans la limite de 20 millions d'euros". Elle semble par ailleurs regretter qu'Epareca ne puisse recourir à un emprunt de plus de douze mois auprès d'un établissement bancaire (**) "Cette situation pourrait devenir problématique si le montant des dotations et subventions venait à être réduit ou si le montant des engagements de l'Epareca venait à augmenter de manière significative", prévient la Cour en appelant à clarifier l'applicabilité des textes. "Nous vous confirmons que l'Epareca est soumis à l'interdiction d'emprunt", tranchent Christian Eckert et Michel Sapin dans leur réponse qui n'ouvre pas vraiment la voie à une quelconque "clarification".
A l'Epareca, on n'est pas vraiment inquiet, car si l'établissement ne peut pas emprunter directement, il peut le faire – et le fait – via ses sociétés filiales d'investissement créés ad hoc avec la Caisse des Dépôts pour porter des centres commerciaux et artisanaux. Le tout en veillant à ne pas dépasser les 20 millions d'euros fixés dans ses statuts.
Pour aller encore plus loin les deux partenaires ont installé le 18 juin dernier, lors des Journées nationales d'échanges des acteurs de la rénovation urbaine (Jeru), la société foncière commune, baptisée "Foncièrement quartier" au capital de 100.000 euros pour commencer (détenu à 60% par Epareca et à 40% par la Caisse des Dépôts). Dans les deux ans à venir, Epareca prévoit d'apporter 6,5 millions d'euros d'actifs immobiliers et la Caisse des Dépôts d'apporter environ 4,5 millions d'euros en numéraire. "Ainsi dotée de 11 millions d'euros de fonds propres, la société pourra, en complément des emprunts, disposer d'une capacité d'investissement de 15 millions d'euros permettant d'acquérir dans les deux ans à venir une quinzaine de nouveaux centres commerciaux et artisanaux de proximité dans les quartiers de la politique de la ville", s'était alors félicité Epareca (voir notre article ci-contre du 18 juin 2014).
Valérie Liquet
(*) Renseignement pris auprès de la direction de la communication d'Epareca, on parle bien d' "Epareca" (sans article) et non pas de "l'Epareca", comme le fait la Cour des comptes.
(**) Selon l'article 12 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 qui interdit aux organismes divers d'administration centrale (Odac), auxquels est assimilé Epareca, de recourir à un emprunt d'une durée supérieure à 12 mois auprès d'un établissement bancaire.