Commande publique - Entité adjudicatrice ou pouvoir adjudicateur : une qualification aux multiples conséquences
Dans un arrêt du 10 avril 2015, le Conseil d'Etat est venu rappeler les conséquences de la qualification d'entité adjudicatrice ou de pouvoir adjudicateur pour les collectivités, tant sur les pouvoirs du juge des référés que sur la procédure de passation du marché.
En l'espèce, la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ajaccio et de Corse-du-Sud (CCI2A) avait lancé une procédure en vue de la passation d'un marché relatif au remplacement du matériel et du système de gestion des parcs de stationnement des véhicules de l'aéroport d'Ajaccio ainsi que leur maintenance. La société Automatismes Corses avait déposé sa candidature mais n'avait pas été retenue parmi les trois candidats autorisés à présenter une offre. Elle avait alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia, soutenant de nombreux manquements tels que le non-respect du délai minimum de réception des offres. Ce dernier avait favorablement accueilli cette demande et annulé la procédure litigieuse. Suite à cette décision, la CCI2A décide de se pourvoir en cassation devant le Conseil d'Etat.
La qualification d'entité ou de pouvoir adjudicateur dépend de l'objet du marché
La haute juridiction administrative a tout d'abord censuré le raisonnement du juge des référés quant à la qualification de l'objet du marché en cause. La CCI2A avait lancé la procédure de passation de son marché en tant qu'entité adjudicatrice. En effet, si la CCI2A, établissement public administratif, est un pouvoir adjudicateur en vertu de l'article 2 du Code des marchés publics (CMP), c'est également une entité adjudicatrice au titre de l'article 134 du même code lorsqu'elle exerce des "activités d'opérateurs de réseaux". Parmi ces activités, l'article 135 du CMP vise notamment celles "relatives à l'exploitation d'une aire géographique permettant d'organiser et de mettre à disposition des transporteurs, des aéroports, des ports maritimes, des ports fluviaux, ou d'autres terminaux de transport". Pourtant, le juge des référés a refusé de regarder la CCI2A comme une entité adjudicatrice pour le marché en cause, considérant qu'il "relevait davantage d'un service rendu aux usagers de l'aéroport que d'un service en lien avec le transport aérien au sens de l'article 135 précité". Selon le Conseil d'Etat, le juge des référés a inexactement qualifié l'objet du marché, la CCI2A devant bien agir en qualité d'entité adjudicatrice en l'espèce.
Cette erreur dans la qualification de l'objet a entraîné d'importantes conséquences, d'une part sur l'étendue des pouvoirs du juge des référés, d'autre part, sur les procédures applicables.
Les pouvoirs restreints du juge du référé précontractuel pour les marchés des entités adjudicatrices
Cet arrêt vient rappeler que le juge du référé précontractuel ne détient pas les mêmes pouvoirs selon qu'il statue sur le marché d'un pouvoir adjudicateur ou sur celui d'une entité adjudicatrice. En effet, si l'article L. 551-2 du Code de justice administrative (CJA) lui permet d'annuler la procédure de passation du marché d'un pouvoir adjudicateur, l'article L. 551-6 du même code ne prévoit pas une telle possibilité d'annulation pour les marchés passés par une entité adjudicatrice. En l'occurrence, le juge des référés avait annulé la procédure litigieuse, ce qui lui était possible puisqu'il avait qualifié la CCI2A comme un pouvoir adjudicateur. Toutefois, suite à la requalification de l'objet du marché par le Conseil d'Etat, la CCI2A agissait en tant qu'entité adjudicatrice et le juge des référés a donc commis une erreur de droit en annulant la procédure puisqu'il ne disposait pas d'un tel pouvoir.
Une procédure plus souple pour les marchés des entités adjudicatrices
D'autres conséquences découlent sur la procédure de passation litigieuse puisque tous les manquements avérés par le juge des référés ne sont dès lors plus fondés. En effet, les procédures ne sont pas les mêmes pour les pouvoirs adjudicateurs et pour les entités adjudicatrices. Considérant la CCI2A comme un pouvoir adjudicateur, le juge des référés avait annulé la procédure sur plusieurs points. Toutefois, suite à la requalification de la qualité de la collectivité par le Conseil d'Etat, la procédure était bien régulière. C'est notamment le cas pour le délai minimum de réception des offres qui avait été fixé à 33 jours par la CCI2A. Le juge des référés avait sanctionné ce délai sur le fondement de l'article 57 du CMP qui impose pour les pouvoirs adjudicateurs un minimum de 52 jours. Toutefois, le Conseil d'Etat précise que ce n'est pas cette disposition qui s'appliquait ici mais l'article 165 du même code, fixant un délai minimum de 22 jours pour les entités adjudicatrices. Aucun manquement aux règles de procédure n'était donc à relever. Il en est de même pour le nombre de candidats admis à présenter une offre. Si l'article 60 du CMP impose pour les pouvoirs adjudicateurs un minimum de 5 candidats, il ne s'applique pas, en vertu de l'article 165 du même Code, aux marchés négociés des entités adjudicatrices. Le juge des référés ne pouvait donc pas utilement sanctionner la procédure à ce titre, la CCI2A n'étant soumise à aucun nombre minimum de candidats.
Les sages du Palais Royal ont suivi les conclusions du rapporteur public et ont annulé l'ordonnance du juge des référés.
L'Apasp
Référence : CE, 10 avril 2015, n°387128