Enseignement des langues régionales : un développement contraint par le budget de l'Éducation nationale
Deux rapports rédigés par le ministère de l'Éducation nationale dans la continuité de la loi Molac de 2021 tentent de faire le point sur l'enseignement des langues régionales. Ils laissent surtout apparaître les lacunes de traitement de ce sujet.
"L'expansion des réseaux de langue régionale est limitée par une contrainte pesant sur les moyens de l’enseignement privé au sens large." Telle est la principale conclusion de deux courts rapports remis récemment par le gouvernement au Parlement, dont Localtis s'est procuré les copies. Ces deux rapports étaient prévus par la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac, du nom du député des Côtes-d'Armor qui en est à l'origine.
Le premier porte sur l'accueil des enfants au plus près possible de leur domicile dans les écoles maternelles en langue régionale. En effet, la loi dispose que la participation financière à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d'association dispensant un enseignement de langue régionale doit faire l'objet d'un accord entre la commune de résidence et l'établissement d'enseignement situé sur le territoire d'une autre commune, à la condition que la commune de résidence ne dispose pas d'école dispensant un enseignement de langue régionale.
Prise en charge par la commune de résidence : le ministère reste muet
En demandant un rapport sur cette question qui avait fait débat lors de l'examen de la proposition de loi au printemps 2021, les députés souhaitaient évaluer la charge financière pour les communes de résidence des élèves concernés. Cette interrogation restera en suspens… Le rapport se contente simplement d'indiquer que "le ministère [de l'Éducation nationale] ne mène pas de recensement des demandes émanant des familles elles-mêmes".
Ce premier rapport dresse toutefois un état des lieux très général de certaines modalités d'enseignement des langues régionales. On y apprend qu'au printemps 2022, tant dans le secteur public que privé sous contrat, 47.622 élèves suivaient un enseignement bilingue français-langue régionale, soit à parité horaire, soit en immersion.
Le second rapport est relatif aux conventions spécifiques et à l’opportunité de bénéficier de contrats avec l’État pour les établissements scolaires développant l’usage immersif des langues régionales pour l’année 2022. Ici, le ministère de l'Éducation national rappelle que l’enseignement des langues régionales se distingue de celui des autres langues vivantes par la participation des collectivités territoriales où ces langues sont en usage. Participation qui se matérialise par un conventionnement avec l’État (ou les rectorats) et, le cas échéant, les offices publics ad hoc.
Des conventions aux contours hétérogènes
Il ressort de l'état des lieux que la convention pour le corse signée entre l'État et la collectivité territoriale de Corse arrivait à son terme en 2021. "Le processus de renouvellement a dû être lancé [et] le ministère n'a pas été mis dans la boucle de la rédaction", pointe le rapport. En ce qui concerne le breton, la convention a été renouvelée pour la période 2022-2027. Elle a été signée par l’État, la préfecture de région et le rectorat de région académique Bretagne, les universités de Bretagne occidentale, de Bretagne sud, de Rennes 1 et de Rennes 2 et le conseil régional de Bretagne. Pour l'occitan, la convention de 2017 est arrivée à son terme en 2022 et devait être renouvelée pour la période 2023-2027. "Compte tenu de la répartition de l’enseignement de l'occitan dans plusieurs régions académiques, c’est le ministère de l’Éducation nationale qui pilote et centralise les travaux de rédaction, en cours depuis l’hiver 2023", précise le rapport. La convention portant sur le basque, cosignée par le ministère de l’Éducation nationale, la fédération des écoles Seaska et l’Office public de la langue basque (OPLB) s'est achevée en 2022. Un renouvellement est visé pour 2023 et les travaux préparatoires ont été engagés par l’académie de Bordeaux, avec l'appui de la direction générale de l’Enseignement scolaire (DGESCO). Enfin, pour l’alsacien, une convention-cadre signée par le recteur de l’académie de Strasbourg court sur la période 2015-2030.
On remarque donc une grande hétérogénéité d'acteurs et de méthodes dans la mise au point de ces conventions. On s'étonne également qu'aucune mention ne soit faite de conventions ou de projets de conventions portant sur l'enseignement du catalan, qui pourtant possède son office public, du gallo, du mosellan, du francoprovençal, du flamand occidental ou du picard – pour ne s'en tenir qu'aux langues du territoire métropolitain – qui figurent pourtant dans la circulaire du ministère de l'Éducation nationale du 14 décembre 2021 établissant la liste des langues régionales pouvant être enseignées.
Prise en charge par les collectivités
La dernière question à laquelle il était demandé au ministère de l'Éducation nationale de répondre portait sur l'opportunité, pour les écoles associatives proposant un enseignement immersif, de bénéficier de contrats simples ou d'association avec l'État. Le rapport est clair sur le sujet : les réseaux d'enseignement immersif "privilégient nettement la forme du contrat d'association". En effet, et même si le contrat simple permet une plus grande latitude dans l'organisation de l'enseignement, le contrat d’association "impose la prise en charge par les collectivités responsables des frais de fonctionnement de ces classes par le versement d’un forfait équivalent aux classes de l’enseignement public".
Le rapport se referme sur la question budgétaire. Il rappelle qu'"aucun nouveau contrat ne peut être conclu que dans la limite des crédits inscrits en loi de finances initiale" et souligne "un contexte de schéma d’emplois négatif" pour l'enseignement privé. Une conclusion qui sonne comme un avertissement alors que la demande d'enseignement des langues régionales est forte. Dans le rapport qu'il avait présenté lors de l'examen de sa proposition de loi, Paul Molac notait : "En Bretagne, 7 à 8% d’une classe d’âge est scolarisée dans une classe bilingue, alors que, d’après les sondages, 40% des parents souhaiteraient que leur enfant suive un tel cursus."