Enfants à la rue : une hausse de 20% en un an
Près de 2.000 enfants contraints de dormir à la rue, sans solution après un appel de leur famille au 115, ont été recensés il y a dix jours, soit une hausse de 20% par rapport à l’année dernière, selon le dernier baromètre Unicef France-FAS. Après un renforcement des moyens en hiver et un "été sous haute tension" marqué par des fermetures de places d’hébergement, "on est encore dans la politique de gestion au thermomètre", dénoncent les associations, qui demandent de la continuité et un renforcement des moyens pour l’accueil d’urgence, le logement social et le plan Logement d’abord.
Le nombre de personnes en famille sans solution d’hébergement après un appel au 115 s’est élevé à 3.735 dans la nuit du 21 au 22 août 2023 et, "parmi elles, 1.990 étaient des enfants, dont 480 de moins de trois ans". C’est le "constat alarmant" de l’Unicef France et de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui ont publié le 30 août 2023 leur cinquième baromètre "Enfants à la rue". Par rapport à l’année dernière, il s’agit d’une augmentation de 20% du nombre d’enfants sans solution d’hébergement. Les associations précisent que ce baromètre est en outre "parcellaire" puisqu’il "ne permet pas de recenser les nombreuses familles qui ne recourent pas au 115, ni les mineurs non-accompagnés en situation de rue, ou encore les familles vivant en squats ou en bidonvilles".
Dix mois après l’engagement gouvernemental de tout mettre en œuvre pour qu’il n’y ait plus d’enfant à la rue (voir notre article du 19 octobre 2022), "la promesse n’a pas été tenue", a déploré Béatrice Lefrançois, secrétaire générale de l’Unicef France, le 30 août lors d’une conférence de presse. À quelques jours de la rentrée des classes, les associations rappellent que "la rue n’est pas un lieu pour les enfants" et que les conséquences sont nombreuses sur la santé physique et mentale des enfants concernés – fatigue, faim, difficultés de concentration, phobies, honte et troubles anxieux…
"Un été sous haute tension"
"Aucun territoire n’est épargné", poursuit Nathalie Latour, directrice générale de la FAS, sur la base de données régionales publiées cette année. "Des phénomènes de tension" sont particulièrement observés en Île-de-France (à Paris, mais aussi en Seine-Saint-Denis où le nombre d’enfants à la rue a doublé en un an, pour atteindre 459 la nuit du 21 août 2023), en Haute-Garonne (+ 80%), en Gironde (+ 65%), dans le Nord (+ 46%) et en Bretagne. Selon Nathalie Latour, cette situation dégradée s’explique par l’inflation, les migrations liées au contexte géopolitique instable, les difficultés d’accès à un titre de séjour et donc à un travail et le fait que "beaucoup de personnes bloquent des places d’hébergement d’urgence alors qu’elles devraient accéder à un logement".
Après une hausse des moyens pour l’hiver 2022-2023 (voir notre article du 22 mai 2023), cet "été sous haute tension" est également lié à "des demandes de fermeture des places, de remise à la rue de personnes sans aucune solution, de gel de projets de nouveaux dispositifs d’hébergement et de baisses budgétaires de l’ordre de 6 à 10% pour les associations", rapporte la porte-parole du Collectif des associations unies (CAU). Elle dénonce des consignes de "priorisation" et de "rotation" des publics jugées "absolument délétères" et contraires aux principes d’inconditionnalité et de continuité de l’hébergement d’urgence, ayant donné lieu à des recours juridiques.
"On est encore dans la politique de gestion au thermomètre avec un effort en hiver et en été on essaye de revenir à la rigueur budgétaire", estime Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé-Pierre et autre porte-parole du CAU. Or, les épisodes de canicule sont désormais récurrents. À Lyon, "il aura fallu le déclenchement du plan vigilance rouge pour qu’un gymnase climatisé soit mis à disposition", témoigne Raphaël Vulliez, représentant du collectif Jamais sans toit. Manuel Domergue juge qu’il y a également un "changement de ton" du côté des expulsions locatives, dont le nombre devrait encore augmenter avec la mise en œuvre de la loi Kasbarian "anti-squat".
Pour une "politique pluriannuelle de la rue au logement"
Après avoir échangé avec le nouveau ministre du Logement, Patrice Vergriete, les associations prennent acte du fait que ce dernier "assume qu’il y aura une hausse des besoins d’hébergement" et espèrent qu’il obtiendra des arbitrages favorables. "Les propos sont encourageants, maintenant on attend les actes", selon Nathalie Latour, qui appelle à maintenir "a minima" les 204 à 205.000 places au titre de 2023 dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative et à "anticiper la hausse" pour 2024. Autre demande : la mise en œuvre d’une "politique pluriannuelle de la rue au logement" afin de donner de la visibilité aux associations et pour transformer le parc d’hébergement – les familles se retrouvant le plus souvent à l’hôtel. Les associations souhaitent aussi un accompagnement social renforcé et plus spécifique pour les enfants.
Après des annonces jugées décevantes suite au Conseil national de la refondation (CNR) Logement (voir notre article du 7 juin 2023) et dans le cadre du plan Logement d’abord 2 (voir notre article du 20 juin 2023), il importe, selon ces acteurs, de rectifier le tir. Sans "montée en puissance" du plan Logement d’abord, de la politique du logement et en particulier du logement social, "il y a fort à craindre qu’on se retrouve l’été prochain avec des situations encore pires", alerte le représentant de la fondation Abbé-Pierre.