En attendant le plan du gouvernement, ce que préconisent le Conseil scientifique et le HCSP
Le plan de déconfinement doit être présenté ce mardi 28 avril après-midi à l'Assemblée par Édouard Philippe, avec un vote dans la foulée. Le Conseil scientifique chargé d'éclairer le gouvernement a livré samedi soir ses recommandations, tout comme le Haut Conseil de la santé publique. Deux avis qui, quels que soient les choix qui seront faits au niveau national, pourront utilement éclairer les collectivités locales pour la mise en oeuvre concrète des nécessaires mesures de protection.
Le gouvernement planchait ce lundi 27 avril sur les ultimes arbitrages pour peaufiner son périlleux plan de déconfinement qui sera présenté mardi. Ce plan sera présenté à 15 heures à l'Assemblée nationale par Édouard Philippe, avec un vote dans la foulée malgré les protestations de partis d'opposition. Ceux-ci réclamaient en effet un report du vote à mercredi, alors que seuls 75 des 577 députés peuvent se rendre dans l'hémicycle.
Pour étayer ce refus d'un report, le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, a souligné que la décision du gouvernement de présenter son plan devant les députés était une marque de considération du Parlement. Suite à cette présentation, un projet de loi devrait conduire l'Assemblée à être saisie avant le 11 mai, date du début du déconfinement, sur les éléments de nature législative. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a quant à lui indiqué dimanche avoir "demandé au président de la République qu'il y ait un débat global sur le déconfinement", qui doit avoir lieu "au plus tard le 5 mai".
En toile de fond, une équation : comment relancer l'économie sans relancer l'épidémie. À deux semaines du début du déconfinement, les questions sont nombreuses. Où rendre les masques obligatoires ? Quels tests et pour qui ? Réouverture des commerces partout ou par région ? Quid des entreprises ? Comment se déplacer ?
Des consultations tous azimuts se sont déroulées pour faire les arbitrages. Les maires ont ainsi échangé avec le président Emmanuel Macron jeudi, les régions et départements avec Édouard Philippe jeudi et vendredi. L'objectif est de "co-construire" ce plan avec élus, syndicats et patronat, a assuré le Premier ministre.
Le Conseil scientifique chargé d'éclairer le gouvernement a livré samedi soir ses recommandations pour une "levée progressive et contrôlée du confinement". Divergence notable avec les choix gouvernementaux, il préconise que crèches et établissements scolaires restent fermés jusqu'en septembre mais a pris "acte de la décision politique" de les rouvrir progressivement dès mai, en "prenant en compte les enjeux sanitaires mais aussi sociétaux et économiques". "Le Conseil scientifique est là pour donner un certain nombre d'informations mais c'est le pouvoir politique qui décide", a expliqué à l'AFP son président, Jean-François Delfraissy.
"Sur le plan sanitaire, si vous demandez à des gens qui gèrent une épidémie, ils aimeraient que tout le monde reste à domicile jusqu'à ce qu'il n'y ait plus un cas. Bien évidemment ce n'est pas possible", a pour sa part souligné Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Pourra-t-on alors partir en vacances cet été ? "Les deux mois qui viennent sont cruciaux", a expliqué Franck Chauvin. "Si le nombre de nouveaux cas par jour commence à ré-augmenter, c'est que l'épidémie va repartir, et donc il va falloir reprendre des mesures."
Pour la rentrée scolaire, qui doit être progressive, le Conseil scientifique préconise notamment le port obligatoire d'un masque anti-projection dans les collèges et lycées, pour le personnel et les élèves. Les experts suggèrent aussi le déjeuner en classe, la prise de température à la maison chaque matin avant l'école et des stratégies pour éviter les brassages d'élèves. Mais ils écartent la faisabilité et l'intérêt d'un dépistage massif. Cette note devrait servir de "base", a jugé Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale.
Au-delà des questions scolaires, le Conseil scientifique préconise d'autoriser les déplacements entre régions par transports en commun si les mesures de précaution sont respectées. Il déconseille cependant "fortement" les déplacements internationaux pendant encore quelques mois.
Les principales recommandations du Conseil scientifique…
Le Conseil scientifique a en fait rendu publics deux documents. D'une part un avis, document général de 40 pages daté du 20 avril, intitulé "Sortie progressive du confinement, prérequis et mesures phares" ; d'autre part une note de 11 pages datée du 24 avril centrée sur le champ "Enfants, écoles et environnement familial". Le Conseil se base sur le scénario suivant : "La poursuite de la stratégie avec une levée progressive, prudente et monitorée du confinement et adaptation des mesures en fonction des résultats épidémiologiques" (excluant par là même deux autres scénarios : "le confinement strict poursuivi jusqu’à l’extinction du nombre de nouveaux cas" et "la sortie totale du confinement permettant d’acquérir une immunité collective").
Masques. Le port d'un masque dans les lieux publics - pas seulement dans les transports et les lycées et les collèges - doit être "systématique" pendant les mois suivants la levée du confinement, selon le Conseil scientifique. Ainsi, pour être faisable, le déconfinement nécessite que des "masques alternatifs de production industrielle ou artisanale anti-projection" soient "disponibles pour l'ensemble de la population et distribués en priorité aux personnes en contact régulier avec le public". Les lieux recevant du public doivent proposer à leurs clients ou usagers des masques de protection et des solutions hydro-alcoolique. "Un manquement à ces règles doit pouvoir aboutir à une fermeture administrative de ces lieux", selon l'avis.
Déplacements. Les déplacements interrégionaux par transports en commun pourraient à nouveau être autorisés dès lors que les mesures barrière et les règles de distanciation sociale sont respectées. Toutefois, "la survenue d’un foyer épidémique régional peut amener à une reprise des règles de confinement à l’échelle locale et à la suspension des transports interrégionaux". Les transports urbains et péri-urbains devraient reprendre avec leurs cadences habituelles. Un "étalement des horaires" des salariés, ajouté au maintien du télétravail, devrait éviter une saturation des transports en commun à certaines heures. Les transports internationaux sont eux très fortement déconseillés jusqu'à l'été, pour "réduire le risque de réintroduction du virus sur le territoire national". Les voyageurs s'exposent à des mesures de quarantaine à l'arrivée à leur destination comme au retour en France. Le Conseil recommande également "une multiplication de l'offre" de transports scolaires pour que les élèves soient moins serrés.
Écoles. "Le port de masque doit être obligatoire" pour les collégiens et les lycéens, indique le Conseil, l'estimant en revanche "impossible" en maternelle et adaptable en fonction de l'âge en primaire. Les règles générales de distanciation physique devraient être adoptées dans tout l'établissement, les tables de classe étant notamment écartées d'un mètre. Les établissements devraient également faire en sorte que les élèves d'une classe ne croisent pas ceux d'une autre classe ou que les élèves d'un même niveau ne croisent pas leurs camarades d'un autre niveau, pour repérer les élèves à risque en cas de contamination. Et "si c'est possible", qu'ils déjeunent tous en classe, à leur table. Les parents sont invités à prendre la température des enfants chaque jour avant le départ pour l'école. En cas de symptômes, l'enfant ne devrait pas s'y rendre et les parents devraient prendre avis auprès de leur médecin traitant. Si une infection par le coronavirus est confirmée, le Conseil recommande un dépistage "le plus précoce possible" "au sein de l'établissement" des autres élèves et la "fermeture de la classe ou de toutes les classes du même niveau (...) avec éviction des élèves concernés pendant 14 jours". L'instance préconise également une "évaluation individuelle du risque" pour les enseignants "présentant des facteurs de risque" tels qu'une maladie chronique, à réaliser par leur médecin traitant avant le 11 mai. "Dans l'état actuel des connaissances, le télétravail doit être favorisé pour cette catégorie de personnel", sauf si l'évaluation individuelle du risque conclut à la possibilité d'un "travail en présentiel".
(Télé)travail. Le Conseil propose que les entreprises maintiennent le télétravail lorsqu'il est possible, "sur la totalité ou plus de la moitié du temps de travail". Pour les commerçants et artisans, il est proposé de reprendre une activité en respectant scrupuleusement les règles de distanciation sociale. "L'objectif est de reprendre progressivement une activité présentielle ne concernant si possible que la moitié des travailleurs". Pour les administrations, il est aussi proposé de maintenir les plans de continuité de l'activité permettant un télétravail pour une part importante des personnels.
Personnes à risque. Le Conseil scientifique conseille aux personnes âgées de plus de 65 ans et/ou présentant des pathologies chroniques (hypertension, diabète, maladie coronarienne) de respecter "un confinement strict et volontaire, qui les protège de risques de contamination". "Ce choix doit pouvoir être proposé aux personnes à risque qui travaillent", précise le Conseil.
Rassemblements. Pendant les deux premiers mois suivant la levée du confinement, il est "nécessaire de maintenir fermés ou interdits tous les lieux et événements" rassemblant "du public en nombre important, qu'il s'agisse de salles fermées ou de lieux en plein air".
Dépistage. Le Conseil souligne que "la connaissance du niveau d’immunité des individus et de la population est essentielle pour suivre une stratégie de levée progressive du confinement". Et que "des mesures telles que le dépistage des cas, la possibilité de dépistage des soignants hospitaliers et non hospitaliers, le dépistage élargi en lieux de confinement de type Ehpad, etc. peuvent et doivent être mises en œuvre dès maintenant, sans attendre mi-mai". La détection des nouveaux cas fait même partie des tous premiers prérequis : "capacité diagnostique des nouveaux cas reposant sur des tests RT-PCR fiables et accessibles sur l’ensemble du territoire, après une prescription médicale" ; "système efficace s’appuyant sur la médecine de ville, des plateformes numériques, et des équipes mobiles pour identifier les cas suspects et les orienter vers des structures de test" ; "lieux dédiés de diagnostic rapide des cas suspects, avec transmission rapide des résultats des tests aux individus, à leurs médecins et aux systèmes de surveillance pour le suivi de l’épidémie" ; "plateformes téléphoniques complétées par des équipes mobiles pour la prise en charge des cas diagnostiqués et de leurs contacts" ; "équipes mobiles et des outils numériques pour un traçage efficace des contacts" ; "lieux d’hébergement pour les personnes souffrant de formes bénignes de la maladie". "La disponibilité de ces outils est essentielle pour envisager une sortie de confinement", tranche le Conseil.
… et celles du Haut Conseil de la santé publique
L'avis de 39 pages du HCSP, daté du 24 avril, regroupe de nombreuses préconisations "relatives à l’adaptation des mesures barrières et de distanciation sociale à mettre en œuvre en population générale, hors champs sanitaire et médico-social". Organisées en 20 chapitres, nombre d'entre elles pourront être directement utiles aux collectivités. On relèvera notamment les chapitres suivants :
Activités sportives. La distance entre deux personnes pratiquant une activité sportive doit être suffisamment augmentée bien au-delà d’un mètre, par exemple 5 m pour une marche rapide et 10 m pour la pratique du footing ou une pratique du vélo. Ces activités doivent être pratiquées dans des zones de faible densité de population, ou si possible dans des espaces dédiés. Le HCSP ne recommande pas la reprise des sports collectifs dans une première phase du déconfinement. Un chapitre spécifique est consacré aux piscines publiques.
Nettoyage/désinfection des espaces publics. Le HCSP reprend les grandes lignes de son avis du 7 avril sur le sujet (voir notre article). Devant "l’absence d’argument scientifique de l’efficacité des stratégies de nettoyage spécifique et de désinfection de la voirie", il recommande de "ne pas mettre en œuvre" de politique en ce sens mais de "continuer d’assurer le nettoyage habituel des voiries et le nettoyage et la désinfection plus fréquents du mobilier urbain". Avec, toutefois, "une attention particulière" à accorder aux aires de jeux. Il est en outre recommandé de ne pas employer d’appareils de type souffleurs de feuilles ou jet à pression.
Nettoyage/désinfection des locaux avant réouverture des établissements recevant du public (ERP). Lors de la réouverture d'un ERP, le HSCP souligne que si celui-ci "était complètement fermé pendant le confinement et n’a pas été fréquenté dans les 5 derniers jours ouvrés avant la réouverture, la présence du SARS-CoV-2 encore infectant sur des surfaces sèches est négligeable". Dans ce cas, "un nettoyage pour une remise en propreté de tous les locaux intérieurs et des espaces extérieurs avec un protocole habituel" suffira, "aucune mesure spécifique supplémentaire de désinfection n’est nécessaire". Une précision qui devrait attirer l'attention des collectivités pour la réouverture des écoles. En revanche donc, si l’ERP était partiellement occupé pendant le confinement pour des activités diverses, il faut cette fois réaliser le protocole de nettoyage/désinfection. L'avis détaille ensuite les procédures de nettoyage/désinfection "en routine" après la réouverture.
Transports en commun. Les recommandations sont nombreuses. Là encore, port systématique d'un masque grand public par les professionnels et les passagers "dès lors que la distance d’un mètre ne pourrait être respectée", aération régulière des espaces de transports, vérification des systèmes de ventilation et de climatisation, nettoyage de chaque véhicule lors du retour au terminal, mise à disposition des distributeurs de produits hydro-alcooliques dans les transports en commun ou dans les abris bus, condamner un siège sur deux en quinconce… et "limiter l’accès des moyens de transports aux personnes devant vraiment se déplacer".
Restauration collective. Qu'il s'agisse de cantines scolaires ou d'autres lieux de restauration collective, le HCSP évoque l'opportunité d'installer des écrans de type plexiglas. Au-delà des opérations de nettoyage, il évoque les spécificités de locaux restés vacants pendant de longues semaines, vacance qui implique des opérations d’entretien et de purge du réseau d’eau froide et chaude (en suivant le même protocole que pour la surveillance des légionelles).