Emmanuel Macron : un traitement "radical" pour l'hôpital et la médecine de ville
Réorganiser le travail à l'hôpital, passer d'un financement à l'acte à un financement sur "objectifs de santé publique", logements dédiés pour les soignants, meilleure rémunération des médecins de ville assurant des gardes… Emmanuel Macron a présenté ce vendredi 6 janvier son plan pour sortir le système de santé de ce qu'il qualifie de "jour de crise sans fin". Nombre de mesures passeront, à l'échelle des "bassins de vie", par une "feuille de route" élaborée dans le cadre des CNR territoriaux et impliquant tous les professionnels de santé.
Il présentait pour la première fois des voeux spécifiques aux soignants. L'Élysée avait prévenu la veille que ce serait l'occasion de "dévoiler des mesures concrètes". Dans un discours d'une heure prononcé ce 6 janvier devant un parterre de soignants au centre hospitalier Sud Francilien (CHSF) de Corbeil-Essonne, Emmanuel Macron s'est d'abord livré à un "diagnostic", évoquant "l'épuisement personnel et collectif, ce sentiment parfois de perte de sens qui s'est installé, le sentiment au fond de passer d'une crise à l'autre".
Le chef de l'État a assuré vouloir "aller beaucoup plus vite, beaucoup plus fort et prendre des décisions radicales". Mais il n'existe pas de "recette miracle", a-t-il aussi souligné. Car même si le numerus clausus a été supprimé, "on va vivre dans les années qui viennent une situation qui va plutôt se dégrader en termes d'offre" car "on ne forme pas des médecins en un ou deux ans"… et parce que de nombreux départs à la retraite sont en vue.
"Dégager du temps de médecin"
Dans ce contexte, "notre défi collectif c'est à court terme de dégager du temps de médecin, de soignant face au patient", a-t-il dit, s'engageant notamment à "accélérer le recrutement des assistants médicaux" (qui peuvent réaliser des actes simples et des tâches administratives), pour en porter le nombre de "près de 4.000" actuellement à 10.000 d'ici fin 2024 et ainsi les "généraliser". Même logique côté hôpital, avec la volonté de placer des emplois administratifs "au service des équipes soignantes". Et de former, "avec les régions", davantage d'infirmiers.
Emmanuel Macron a par ailleurs invité à une réorganisation du travail à l'hôpital "d'ici au 1er juin" pour le rendre plus attractif : "On doit tout faire pour garder les soignants." "Ce qui veut dire qu'on doit ensemble travailler à une meilleure organisation du temps de travail", a-t-il déclaré, déplorant une "hyper-rigidité" dans l'application des 35 heures et un système qui "ne marche qu'avec des heures supplémentaires".
D'ici juin également, il s'agira de donner davantage de "liberté d'organisation" au sein de chaque établissement et de chaque service. Il a indiqué qu'un "tandem administratif et médical", "sur la base d'un projet", serait instauré à la tête de chaque hôpital et a souligné que le conseil d'administration de l'hôpital devait avoir "toute sa place".
Bientôt la fin de la T2A ?
Et surtout, il a annoncé la "sortie de la tarification à l'acte" à l'hôpital au profit d'un financement sur "objectifs de santé publique". "Je ne vais pas vous dire 'On va sortir progressivement de la T2A', je l'ai déjà dit en 2018", non "on doit sortir de la T2A dès le prochain PLFSS" (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) "pour aller vers un nouveau financement qu'on doit rebâtir en profondeur et dans la concertation", a-t-il assuré, poursuivant : "Personne ne peut plus supporter que les établissements se fassent une concurrence visible", avec une tarification qui "crée beaucoup de dysfonctionnements dans le système" et "prend mal en compte le soin non programmé" et les soins "qui prennent du temps".
La formule proposée : "Pour l'hôpital public, il faut qu'il y ait une part structurante de la rémunération qui repose sur des objectifs de santé publique qu'on négocie à l'échelle d'un territoire". Des objectifs qui impliqueront une "coopération" ville-hôpital.
Évoquant par ailleurs les "conditions de vie" des soignants, notamment "dans les bassins de vie où le logement est cher", avec de surcroît des horaires atypiques rendant sensible la question des transports, Emmanuel Macron a dit vouloir bâtir d'ici mai prochain "avec les élus locaux" un "plan d'action partagé" visant notamment à offrir "un parc de logements dédiés", ainsi qu'un accompagnement en termes de déplacements.
En termes de carrières des hospitaliers, le président a chargé le ministre François Braun d'identifier les points de blocage en vue du prochain PLFSS en termes d'évolutions de carrières, de formations et de reconnaissance de ces formations.
Permanence des soins : rémunérer l'engagement
Autre grand principe énoncé ce vendredi par Emmanuel Macron : "redistribuer les efforts pour assurer la permanence et l'universalité des soins". En établissement, cela concerne entre autres la rémunération du travail de nuit… et cela doit impliquer les cliniques "avec la même intensité" que les hôpitaux.
S'agissant de la permanence des soins en ville, face à la difficulté de "trouver un médecin de garde", les CNR santé territoriaux auraient permis d'identifier "ce qui marche" sur certains territoires. Des solutions à "généraliser". L'idée maîtresse étant, dans le cadre des actuelles négociations conventionnelles, de "mieux rémunérer les médecins qui assurent la permanence des soins et ceux qui prennent en charge de nouveaux patients", ceux qui sont prêts à "à aider au coup de chauffe", "à former des jeunes", "à participer à une offre de soins sur le territoire".
Dans ce cadre, "on sort d'un financement à l'acte pour être sur un financement à la mission, à la réponse en termes de santé pour une population" et on bâtit "un pacte de droits et de devoirs" avec la médecine libérale, a insisté Emmanuel Macron, pour qui "dans chaque territoire, il va s'agir de construire une forme de solidarité collective", de "réseau territorial".
Ce sont les CNR santé, qui se sont réunis un peu partout depuis quelques mois qui vont constituer le lieu de discussion : ces CNR vont être "systématisés sur l’ensemble des bassins de vie" et vont être chargés de "bâtir d’ici à la fin de l’année une feuille de route" pour "déboucher soit sur des nouvelles CPTS [communautés professionnelles de territoires de santé] soit sur des réseaux, entre des CPTS". L'ensemble des professionnels de santé devra "s’engager sur une réponse pour pouvoir assurer la continuité des soins" et bénéficieront d'une contractualisation en termes de moyens.
Recentrer le rôle du médecin
Parallèlement, afin de "revaloriser le rôle du médecin généraliste", outre le développement des assistants médicaux, le chef de l'État mise sur la simplification des procédures, la suppression des certificats inutiles, ainsi que la libéralisation de la "télé-expertise", aujourd'hui bridée par le seuil de 20% existant (actuellement, un médecin ne peut réaliser, sur une année civile, plus de 20% de son volume d'activité à distance, téléconsultations et télé-expertises cumulées). Il entend aussi "faire évoluer les compétences des autres professionnels de santé" : infirmiers en pratique avancée, délégation d'actes avec accès direct à ces professionnels (pharmaciens, paramédicaux…) pour la vaccination, le dépistage ou le renouvellement de certaines ordonnances… François Braun devra lister cela d'ici le mois de mars.
Tous les patients souffrant d'une maladie chronique (ALD) et ne disposant pas, à l'heure actuelle, d'un médecin traitant (leur nombre est estimé à 600.000) s'en verront proposer un "avant la fin de l'année", a assuré Emmanuel Macron. A défaut de "médecin traitant", ils auront accès à "une équipe traitante".
Enfin, Emmanuel Macron entend généraliser le service d’accès aux soins (SAS) en 2023 permettant, via le 15, d'orienter un malade "soit aux urgences, soit vers un médecin identifié".