Élus locaux en Europe : des questions communes, des statuts divers

La délégation sénatoriale aux collectivités et l'Association française du conseil des communes et régions d'Europe ont organisé le 30 mai un colloque sur le statut de l'élu local en Europe. Il en est ressorti que les élus locaux font face à des problématiques similaires, en particulier les violences à leur égard. Autre enseignement : les règles concernant l'exercice de leurs mandats s'avèrent très hétérogènes. Et par rapport à leurs homologues étrangers, les élus français n'auraient pas à rougir.

Les graves violences dont des élus locaux ont été victimes récemment - à l'instar du maire de L'Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, dont le domicile a été attaqué à la voiture bélier au cours des émeutes de l'été 2023 - ne sont pas spécifiques à la France. Le phénomène est généralisé en Europe, a constaté Julien Martin, professeur de droit public à l’université de Bordeaux, peu après l'ouverture du colloque.

Ces dernières années ont été marquées par de nombreux drames en dehors des frontières de la France. Quelques-uns ont été rappelés. En 2015, Henriette Reker, une candidate à la mairie de Cologne, en Allemagne, était gravement blessée au couteau par un homme opposé à l'arrivée de réfugiés. Deux ans plus tard, Alfred Gadenne, le bourgmestre de Mouscron, en Belgique, était égorgé pour avoir licencié un employé communal. En 2019, Pawel Adamowicz, maire de Gdansk, en Pologne, mourrait à son tour, après avoir été frappé de plusieurs coups de couteau devant des centaines de personnes.

Des actes qui ne sont pas systématiquement signalés

Les violences font désormais partie de la vie des édiles. Près d'un tiers des 2.500 élus locaux interrogés dans 31 pays européens, dans le cadre d'une enquête du Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE) qui paraîtra à la fin de l'année, déclarent avoir subi des violences au cours de leur dernier mandat. Selon Fabrizio Rossi, secrétaire général du CCRE, ces violences sont d'ordre psychologique dans la majorité des cas, les violences physiques restant minoritaires. Pour certains élus, elles sont récurrentes. La maire de Cologne, qui avait été agressée peu avant son élection en 2015, a récemment fait l'objet d'une attaque à caractère sexuel au travers des mots lisibles sur une banderole de 30 mètres déployée dans un stade.

Pourtant, un nombre non négligeable d'élus locaux ne signaleraient pas à la police les actes de violence dont ils sont victimes. Une question dont certains pays s'emparent, comme l'Allemagne, qui a récemment créé "un centre d'information" où "les menaces" contre les élus "peuvent être dénoncées", a indiqué Andreas Wolter, maire adjoint de Cologne.

Le plus souvent, les pays d'Europe offrent une protection contre "la diffamation", "l'injure", "les violences et les actes d'intimidation" à l'ensemble des personnes qui exercent une fonction publique ou sont dépositaires de l'autorité publique (soit un ensemble de personnes plus vaste que les seuls élus locaux), a indiqué Julien Martin. En France, la protection est étendue à l'entourage familial des élus locaux et aux anciens titulaires de mandats locaux, une tendance renforcée par la loi de mars dernier sur la sécurité et la protection des maires et des élus locaux. Un tel élargissement semble "relativement rare" dans le reste de l'Europe.

"Devoir de se former"

Au-delà de la répression des actes de violence, le "partage d'expérience" entre pairs peut soulager les élus locaux et les aider à poursuivre leur mandat, a estimé le secrétaire général du CCRE. 

Une prise en charge par la collectivité des dépenses de justice et de celles qui sont liées aux "frais annexes" existe en France, mais "on la rencontre plus rarement à l'étranger", selon Julien Martin.

Concernant le statut de l'élu plus généralement, la France "apparaît pour un certain nombre d'États comme un modèle", a souligné son confrère Pierre Bourdon. Les conditions d'exercice des mandats locaux sont marquées par "une très grande diversité" en Europe, a constaté le professeur de droit public à l’université Cergy-Paris. Si la France et l'Italie consacrent dans la loi par exemple un droit à la formation des élus locaux, ou si la Wallonie fait même de la formation un "devoir" de ses élus locaux, de nombreux États – tels que le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche, le Portugal ou la Suisse - demeurent muets dans leurs lois sur ce sujet. En Suisse, les choses se font même "de façon beaucoup plus négociée, parfois entreprise par entreprise", ce qui occasionne "des différences très importantes entre deux communes" et leurs élus, a pointé l'universitaire. 

Concilier une vie professionnelle avec un mandat, un casse-tête

Les conditions d'indemnisation des mandats locaux sont également diverses, certains pays comme la Suède "étant très généreux", quand d'autres, "plutôt vers l'Europe de l'Est, ont une tradition de charge honorifique pour l'élu et donc de bénévolat, qui implique une indemnisation assez faible".

Malgré l'existence d'un statut en France, "il y a encore des licenciements abusifs et beaucoup de pressions de la part des entreprises pour que les maires et les adjoints donnent plus de temps à l'entreprise qu'à leur mandat", a déploré Laure Darcos, sénatrice de l'Essonne. La difficulté de "devoir conjuguer une vie professionnelle et une vie municipale" est mise en avant par de nombreux élus. Elle serait la cause de nombreuses démissions de maires. Au Luxembourg, tout élu local dispose d'un "congé politique" de cinq heures par semaine, qui fait l'objet d'un remboursement par le ministère de l'Intérieur à l'employeur. Une piste qui sera peut-être examinée par le Parlement français, lors des débats sur un prochain texte visant à renforcer le statut de l'élu local, le gouvernement de Gabriel Attal s'étant engagé à prendre des mesures pour les édiles.

› Un portrait des conseillers municipaux 

La majorité des conseillers municipaux des communes françaises de plus de 3.500 habitants consacrent entre 0 et 5 heures par semaine à leur fonction, mais plus de 20% d'entre eux lui accordent entre 6 et 15 heures hebdomadaires, selon une enquête en cours du Cevipof, dont les premiers résultats ont été présentés en exclusivité lors du colloque. Cette enquête a été réalisée auprès de plus de 2.900 conseillers municipaux de communes de plus de 3.500 habitants. 

Dans le détail, près de 70% des conseillers municipaux des communes comprises entre 3.500 et 5.000 habitants dédient entre 0 et 5 heures par semaine à leur mandat. Cette part tombe à un peu plus de 55% pour les conseillers des communes de 10.000 à 50.000 habitants. Ces derniers sont plus de 29% à accorder entre 6 et 15 heures par semaine à la fonction municipale. Leurs homologues des communes de 3.500 à 5.000 habitants faisant de même sont un peu moins nombreux (22,5%).

La fonction d'adjoint au maire est plus exigeante : près de 63% des élus qui l'exercent dans les communes de 3.500 à 5.000 habitants lui accordent plus de 16 heures par semaine. Une proportion qui monte à près de 75% chez les adjoints au maire des communes comprises entre 10.000 et 50.000 habitants.

22 % des conseillers perçoivent une indemnité, près de 60% de ces élus étant satisfaits par le niveau de celle-ci.

Près de 60% des conseillers municipaux et adjoints au maire souhaitent continuer à avoir un mandat après l'élection municipale de 2026. Mais 24,6% déclarent qu'"ils aimeraient quitter la politique" et 14,8% qu'ils "sont indécis".

Des enquêtes similaires doivent être menées dans 21 autres États européens, pour offrir une vision complète des caractéristiques des conseillers municipaux en Europe.