Elisabeth Borne défend une nouvelle "stratégie des mobilités"
Auditionnée le 19 juillet par la commission du développement durable de l'Assemblée puis par celle de l'aménagement du territoire du Sénat le 20 juillet, la ministre des Transports est revenue sur les grands axes de sa "feuille de route", notamment la "grande loi d'orientation" qui sera débattue au Parlement au premier semestre 2018. Elle a aussi annoncé la nomination "dans les prochains jours" d'une personnalité chargée de mener les concertations avec les parties prenantes en vue de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.
"Il nous faut changer de paradigme" pour "passer d'une politique d'équipement à une stratégie des mobilités", a déclaré Elisabeth Borne ce 20 juillet. La ministre des Transports était auditionnée devant la commission de l'aménagement du territoire du Sénat après l'avoir été la veille par celle du développement durable de l'Assemblée nationale. Pointant "l'impasse" dans laquelle les deux précédents quinquennats avaient conduit la politique des transports, avec 10 milliards d'euros de projets non financés, Elisabeth Borne a souligné qu'il fallait "s'occuper de la mobilité pour tous dans tous les territoires".
"Bâtir des chaînes de mobilité"
Critiquant des projets d'infrastructures "très datés dans leur conception", elle a regretté que les citoyens et les élus aient été placés "face à une alternative entre 'on ne change rien et [la qualité] ne s'améliore pas' ou 'on met une ligne à grande vitesse'" et appelé les "ingénieurs" à "faire preuve d'imagination". Il faut selon elle "raisonner davantage en termes de services". Se disant "déconcertée quand elle voit la fréquentation des TER", insuffisante à ses yeux, elle juge nécessaire de "bâtir des chaînes de mobilité pour donner toute sa mesure au mode ferroviaire qui doit être un transport de masse". "Il faut mettre chaque mode dans son domaine de pertinence, avec plus de voyageurs dans les trains", a-t-elle souligné, évoquant aussi la "révolution digitale" qui peut faciliter l'intermodalité. "Si vous êtes capable d'organiser un déplacement dans lequel vous démarrez à vélo, vous continuez en TER et vous finissez en autopartage, ceci de façon fluide, vous évitez de prendre votre voiture."
"Pause" dans les nouvelles infrastructures : le Lyon-Turin concerné
Commentant la "pause" dans les constructions de nouvelles infrastructures annoncée début juillet par le président de la République, Elisabeth Borne a affirmé devant les députés que le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin faisait partie des projets concernés. La ministre a toutefois fait état de la "spécificité" du projet qui "a été financé à 40% par l'Union européenne, mais aussi à 35% par l'Italie, et qui fait partie des réseaux trans-européens, donc c'est aussi une question et un aspect qu'on devra prendre en compte dans les décisions qu'on devra prendre sur ce projet". L'éventuelle suspension du projet Lyon-Turin a rapidement été saluée par ses opposants, parmi lesquels Eric Piolle. "Une sage décision", a déclaré dans un communiqué le maire écologiste de Grenoble, qui avait retiré l'an dernier le financement de sa ville au projet. "La priorité doit être donnée sans plus attendre au maintien du réseau ferré du quotidien, trop souvent fragilisé, et aux travaux sur les lignes TER." De son côté, la coordination des opposants au Lyon-Turin a assuré, par la voix de son représentant, Daniel Ibanez, que "le bon sens c'est d'arrêter ce projet".
Le Parlement en arbitre
Les Assises de la mobilité, qui vont se tenir à partir de septembre, doivent préparer une "grande loi d'orientation sur les mobilités", qui sera présentée au Parlement pour être débattue au premier semestre 2018, a encore confimé Elisabeth Borne. C'est le Parlement qui aura in fine à arbitrer entre les différents projets : "nous allons nous contraindre à équilibrer de façon prévisionnelle, année par année et dans la loi, nos programmes d'investissement. Et ces choix structurants, qui peuvent être difficiles comme on peut l'imaginer, c'est bien le Parlement qui les portera", a assuré la ministre.
Elle est également revenue sur la nécessité de "trouver de nouvelles ressources" pour financer l'entretien des infrastructures, et notamment de "trouver un moyen de faire participer les poids lourds, notamment les poids lourds en transit, qui souvent se fournissent en carburant à l'extérieur de nos frontières et ne paient pas de TICPE", taxe sur le carburant qui avait été augmentée pour compenser l'abandon de l'écotaxe. "Je n'ai pas de solution clé en main mais nos voisins ont trouvé la bonne façon de cibler la taxation sur les poids lourds en transit et ça marche", a-t-elle noté.
Ouverture à la concurrence des TER : la concertation va bientôt s'engager
Elisabeth Borne veut aussi permettre aux régions d'ouvrir leurs lignes TER à la concurrence avant la date butoir de 2023. "Dans les prochains jours, une personnalité de haut niveau sera nommée pour mener la concertation avec les parties prenantes : organisations syndicales, régions, entreprises", a annoncé la ministre devant les sénateurs. "Je suis convaincue que pour répondre aux besoins des usagers, aux attentes des régions et aux légitimes inquiétudes des agents concernés, nous devons très rapidement nous mettre au travail", a-t-elle ajouté. "Ce que nous souhaitons faire, c'est donner la liberté aux régions", a expliqué Elisabeth Borne.
Les services ferroviaires gérés par les régions et opérés par la SNCF dans le cadre de délégations de services publics, pourront être ouverts à la concurrence à partir de 2019 et au plus tard en 2023, selon les textes européens, dont l'application en France nécessite une modification législative. La ministre souhaite intégrer l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire dans la future "grande loi d'orientation sur les mobilités". Selon elle, on a "trop souvent voulu aller au bout du bout de l'échéance", mais "les scénarios où on passe du rien au tout ne sont certainement pas les bonnes méthodes. N'attendons pas le big bang, ne reculons pas, permettons d'avancer de façon pragmatique, de tester".
Elisabeth Borne a par ailleurs fait état, devant les sénateurs, de la nécessité de "rassurer les salariés". "Il faudra certes ouvrir le secteur ferroviaire à la concurrence (...) et préparer le cadre social de l'ouverture en Ile-de-France (progressivement entre 2025 et 2039, NDLR). Mais cette réforme nécessaire ne pourra être réussie qu'à condition de se faire avec les agents de la SNCF et de la RATP", a-t-elle souligné.
Les régions se disent prêtes
Dans un communiqué diffusé ce 20 juillet, les régions se disent "prêtes à fixer avec l'Etat les modalités et les conditions nécessaires à la passation des futurs appels d'offres" dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des TER. "Dès à présent, les régions volontaires ont pu initier cette préparation, en fixant dans le cadre du renouvellement de leurs conventions d'exploitation attribuées directement à SNCF Mobilités, les modalités permettant de sortir de la convention, avant son échéance, des sous-réseaux de services TER en vue de leur mise en concurrence ou d'une exploitation en régie", indique Régions de France. Les régions rappellent avoir engagé à l'été 2016 une réflexion sur les modalités pratiques de mise en œuvre de la concurrence. Dans ce cadre, un groupe de travail réunissant élus et techniciens des régions a mené 22 auditions auprès des opérateurs et de leurs associations représentatives, des distributeurs, des gestionnaires d'infrastructures, des autorités réglementaires, des usagers et des syndicats représentatifs de la SNCF, à l'exception de CGT Cheminots qui a décliné l'invitation. "Ces auditions ont montré une forte appétence des opérateurs ferroviaires et européens pour devenir des acteurs à part entière sur le marché français", souligne Régions de France qui affirme que les régions seront "particulièrement attentives" au "renforcement de la transparence du secteur". Côté clients, "la fluidité de l'information voyageurs et des systèmes de distribution apparaît être une forte préoccupation", relèvent les régions. "A ce titre, la réforme territoriale amène les régions à mettre en œuvre des outils d'information et de distribution uniques et homogènes à l'échelle des territoires régionaux, en lien avec les agglomérations. Les régions souhaitent que l'Etat garantisse les conditions de l'interopérabilité entre ces outils développés sur chaque territoire", souligne le communiqué. Celui-ci rappelle aussi l'attente des parties prenantes "pour que l'ouverture à la concurrence soit porteuse d'innovation et de meilleure qualité de service pour les voyageurs, tout en évitant le moindre dumping social (…)." Ainsi, "il apparaît important aux yeux de tous que le cadre des transferts de personnels soit clairement défini en amont", souligne Régions de France.