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Edouard Philippe, un Premier ministre très local

En nommant ce lundi 15 mai Edouard Philippe à Matignon, Emmanuel Macron a choisi un élu local et parlementaire qui se revendique "homme de droite" tout en faisant valoir la propension des maires à "dépasser les clivages". Par son parcours ancré au Havre dans le sillage d'Antoine Rufenacht, le nouveau Premier ministre est naturellement un bon connaisseur des rouages des collectivités, qui a entre autres plaidé pour une "prise en compte de la diversité géographique" et pour un Etat qui, au lieu d'imposer et d'interdire, apporte une ligne claire aux territoires.

Le fait qu'Emmanuel Macron n'ait jamais été titulaire d'un mandat électif avant de faire son entrée dimanche à l'Elysée a régulièrement été relevé, dans une République où ses prédécesseurs, par leur passé d'élu local et/ou de parlementaire, pouvaient se prévaloir d'un ancrage territorial (certes très francilien dans le cas de Nicolas Sarkozy) à même d'apporter une connaissance des réalités de "la France des territoires". Lors de son audition en mars dernier par les élus départementaux par exemple, Emmanuel Macron avait dû se justifier sur ce point. "Je dois vous apprendre une nouvelle, c'est qu'on peut avoir un lien avec les territoires sans être élu des territoires (…). Je suis un enfant de la province", avait-il fait valoir, évoquant ses racines dans la Somme et les Hautes-Pyrénées : "C'est entre ces deux départements dont les logiques et les réalités sont profondément hétérogènes que j’ai construit mon identité, mon parcours, mes sensations, mon rapport au pays (…). C’est cela ma relation avec les territoires. Elle est familiale et d'expérience."
Député de la 7e circonscription de la Seine-Maritime, maire du Havre, président de la communauté de l’agglomération havraise... celui qu'Emmanuel Macron a nommé ce lundi 15 mai à Matignon remplit en tout cas à peu près toutes les cases pour ne pas risquer d'être qualifié de "hors-sol".

Un parcours public-privé avec la Normandie pour ancrage

Né en 1970 à Rouen, fils d'enseignants, Edouard Philippe est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et ancien élève de l'ENA (promotion Marc-Bloch, 1995-1997). Il commence sa carrière au Conseil d'Etat en 1997, en se spécialisant dans le droit des marchés publics. Durant ses études à Sciences Po, il milite deux ans au PS pour soutenir Michel Rocard, avant de se rapprocher de la droite.
En 2001, il rejoint l’équipe municipale d’Antoine Rufenacht, alors maire du Havre et devient adjoint au maire chargé des affaires juridiques. En 2002, il est candidat à l’élection législative dans la 8e circonscription de la Seine-Maritime. Cette même année, Alain Juppé lui propose de participer à la fondation de l'UMP, où il occupera les fonctions de directeur général des services jusqu’en 2004.
Il est ensuite avocat au sein du cabinet franco-américain Debevoise & Plimpton LLP et est élu conseiller régional de la Haute-Normandie (2004-2008). Membre de l'éphémère cabinet d’Alain Juppé au ministère de l'Ecologie (mai-juin 2007), il rejoint le groupe Areva en tant que directeur des affaires publiques (2007-2010).
En 2008, Edouard Philippe est élu conseiller général de la Seine-Maritime dans le canton du Havre-5. Il est aussi nommé adjoint au maire, chargé du développement économique et portuaire, de l’emploi, de la formation, de l’enseignement supérieur et des relations internationales, puis, en 2009, chargé de l’urbanisme, de l’habitat, du Grand Paris et du développement portuaire.
Le 24 octobre 2010, il est élu maire du Havre après la démission d’Antoine Rufenacht. Et devient président de la communauté de l’agglomération havraise deux mois plus tard.
Suppléant de Jean-Yves Besselat, député de Seine-Maritime (7e circonscription, Le Havre ouest) depuis 2007, il devient député en mars 2012, après le décès de celui-ci, mais ne siège pas, l’Assemblée ayant suspendu ses travaux pendant la campagne de l’élection présidentielle. Il est élu lors des élections législatives qui suivent.
En mars 2014, la liste qu’il mène aux municipales du Havre est élue dès le premier tour, avec 52,04% des suffrages exprimés. Il est également réélu à la communauté de l’agglomération havraise.

"Transgresser" pour "une majorité d'un nouveau type"

"Il est très attaché au Havre, son grand-père était docker", raconte un de ses amis. Dans cette ville portuaire qui voit défiler des porte-conteneurs de 400 mètres de long, la protestation contre la loi Travail a été l'une des plus fortes. Après la défaite d'Alain Juppé à la primaire de la droite fin novembre, le député-maire a d'ailleurs mis l'accent sur sa ville plutôt que sur l'Assemblée, faisant savoir en janvier dernier qu'il renoncerait à se présenter aux législatives pour conserver son fauteuil de maire, le "plus passionnant" des mandats.
Edouard Philippe a écrit des chroniques sur la campagne chaque semaine depuis janvier dans Libération. Dans l'une d'elles, il conseillait à Emmanuel Macron de "transgresser" pour "constituer une majorité d'un nouveau type". Ce germanophone se définit comme "beaucoup plus libéral qu'Alain Juppé" et confiait en 2015 s'entendre "très bien" avec "Bernard Cazeneuve, qui a le sens de l'Etat". 
Ce lundi, Alain Juppé, tout en réaffirmant son soutien aux candidats de droite aux législatives, a aussitôt salué la nomination du nouveau Premier ministre, jugeant que celui-ci a "toutes les qualités" pour le poste. Dont celle de "connaître parfaitement les rouages de l'activité parlementaire". "Avec un Premier ministre de droite, le Parlement a besoin de gauche", a pour sa part réagi le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis.
A moins d'un mois des élections législatives, cette nomination est apparue comme un défi lancé aux Républicains. Parmi les responsables LR, d'autres noms circulent pour intégrer le gouvernement, dont ceux de Bruno Le Maire ou de Benoist Apparu.
Cette nomination "a du sens, elle casse la droite", s'est félicité un membre du premier cercle du nouveau chef de l'Etat. Chef de file LR pour les législatives, François Baroin a averti que ceux qui "se rapprochent de Macron" avant le scrutin des 11 et 18 juin seront "exclus" du parti.
Avant même la quête d'une majorité parlementaire, Edouard Philippe devra initier la mise en oeuvre des engagements immédiats du nouveau président, dont une loi sur la "moralisation de la vie publique". Député, Edouard Philippe avait voté contre la loi sur la transparence adoptée en 2013 dans la foulée de l'affaire Cahuzac. Dans sa première déclaration d'intérêts en 2014, il n'avait pas renseigné le montant de ses revenus de maire et de président de la communauté d'agglomération, ni ceux perçus comme avocat, expliquant pour cette activité privée "ne pas être certain de comprendre la question".

Les maires, au-delà des "clivages partisans" ?

Vingt-huit élus LR et UDI ont jugé lundi que leurs familles politiques "doivent répondre à la main tendue" par Emmanuel Macron avec la nomination d'Edouard Philippe. Cette nomination "représente un acte politique de portée considérable" et "la droite et le centre doivent prendre la mesure de la transformation politique qui s'opère sous leurs yeux", plaident dans un communiqué commun ces élus, dont le député Benoist Apparu et la sénatrice Fabienne Keller, le député Thierry Solère, le maire de Tourcoing Gérald Darmanin et le maire LR de Nice Christian Estrosi. Nathalie Kosciusko-Morizet a fait savoir en fin de journée qu'elle signait cet appel, tout comme Jean-Louis Borloo. Autres élus signataires : Grégoire de Lasteyrie, maire LR de Palaiseau, Alain Chrétien, maire de Vesoul, Christophe Béchu, sénateur-maire d'Angers, Dominique Bussereau, député et président de la Charente-Maritime – et président de l'Assemblée des départements de France –, le député-maire de Reims Arnaud Robinet, le député-maire de Coulommiers Franck Riester, le député-maire UDI de Valenciennes Laurent Degallaix, le maire LR de Toulouse Jean-Luc Moudenc – et président de France urbaine - et le maire de Mulhouse Jean Rottner.
"Il est très signifiant que dans l'appel signé par toute une série d'élus du centre et de la droite, il y ait un grand nombre de maires. Parce que les maires sont très souvent dans cette logique", celle de "dépasser les clivages partisans", a commenté Edouard Philippe ce lundi soir sur le plateau du journal de 20 heures de TF1. Or les maires "sont les élus les plus populaires", a-t-il ajouté.
Quelques heures plus tôt lors de la passation de pouvoirs sur les marches de Matignon, Bernard Cazeneuve ayant déclaré qu'il quittait ses responsabilités "en homme de gauche", Edouard Philippe a réaffirmé : "Je suis moi-même un homme de droite."
Il s'agit aujourd'hui, assure-t-il, de "tenter quelque chose qui n'a jamais été tenté", dans "une logique de recomposition de la vie politique" et de "refus du sectarisme". Faisant de "la liberté - la liberté individuelle et les libertés publiques" - sa "valeur cardinale" et de "la défense se l'autorité de l'Etat" une priorité, le nouveau Premier ministre a évoqué, toujours lors du 20 heures, les "défis majeurs" sur lesquels son gouvernement devra se "concentrer" : "L'éducation, la sécurité, redonner une fiscalité qui permet la compétitivité de l'économie française, redonner à la France une place en Europe."

Défense et illustration du cumul des mandats

Un rapide coup d'œil sur l'activité parlementaire d'Edouard Philippe au cours de ces dernières années le pose certainement comme un bon connaisseur des subtilités du droit des collectivités. Les objets de ses questions au gouvernement en donnent un aperçu : la répartition territoriale de la CVAE, "la pérennité du transfert partiel de compétences des communautés d'agglomération vers les syndicats mixtes en matière de gestion et d'assainissement de l'eau", "la représentation des maires des communes associées au sein des organes délibérants des EPCI dont leurs communes de rattachement sont membres", "la situation des agents non-titulaires" de la fonction publique territoriale, " le champ d'application de la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, s'agissant des contrats conclus par les SPL"... Sans oublier une série de questions pointues centrées sur le droit des marchés publics.
On y trouve aussi son adresse, en 2012, au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, sur le cumul des mandats. Avec une prise de position qui prend évidemment aujourd'hui un relief particulier, à l'heure où les candidats aux législatives de juin vont être soumis à la nouvelle règle du non-cumul : "Pouvez-vous sérieusement prétendre devant cette assemblée que l'absence de députés exerçant des responsabilités exécutives locales serait demain une garantie de meilleure qualité du travail législatif ? Sur des sujets tels que le logement, le droit de l'urbanisme, les relations entre l'Etat et les collectivités locales, l'investissement public, la sécurité, l'aménagement du territoire ou l'action sociale, pensez-vous vraiment que le Parlement s'en trouvera plus éclairé et plus compétent ?"

Relations Etat-collectivités : un besoin de "clarté"

En 2014, Edouard Philippe fait partie de la toute petite poignée de députés UMP ayant voté pour la loi sur la fusion des régions, tout en ayant critiqué la méthode d'élaboration de la nouvelle carte. "J'ai voté la loi, en mon âme et conscience, parce que je suis un partisan de l'union des deux Normandie. Est-ce que c'est un bon texte ? Je n'en suis pas certain. Est-ce qu'il a été bien préparé ? Je ne le crois pas", commentait-il peu après lors du Congrès des maires.
Participant à une plénière sur l'intercommunalité et la réforme territoriale organisée dans le cadre de ce grand rendez-vous de l'AMF en novembre 2014, le député-maire du Havre s'était d'ailleurs fait remarquer - et applaudir - en livrant quelques-unes de ses convictions sur les relations Etat-collectivités.
"C'est très bien les schémas. C'est très bien les schémas co-construits, mais je ne suis pas sûr qu'à force de co-construire des schémas dans des systèmes politiques instables, on va arriver à avancer", déclarait-il par exemple. "On est toujours, en France, dans une tension entre une aspiration à l'uniformité du droit (…) et la nécessaire adaptation à la diversité de la géographie. Aujourd'hui, le législateur s'inscrit de plus en plus dans la prise en compte de la diversité géographique. C'est bien", devait-il également estimer.
Et Edouard Philippe de poursuivre : "Il y a un acteur dont la doctrine n'est pas d'une immense clarté, c'est l'Etat (…). On peine à comprendre la politique publique mise en œuvre par l'Etat quand celui-ci interdit des extensions d'agglomérations alors que les conditions légales sont réunies, en disant 'ça n'est pas opportun', quand il interdit, pour des raisons qui ne sont pas motivées, la création par exemple d'un pôle métropolitain (…). Reconnaissez qu'il y a quelque chose d'extrêmement troublant, quand on est maire, à se dire que dans certains cas on va nous imposer des choses, que dans d'autres - alors qu'on pourrait le faire et qu'on réunit toutes les conditions pour le faire - on va nous les interdire, sans au fond qu'il n'y ait aucune ligne directrice cohérente. Je trouve ça très préoccupant. C'est très bien, la réforme territoriale ; c'est très bien, le pouvoir des élus… (…) Mais on a besoin, pour faire notre boulot d'élu local, d'un Etat clair, d'un Etat qui nous dit ce qu'il veut faire."

 

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